Depuis 1977, de nombreux essais cliniques ont tenté avec un succès partiel de vaincre la resténose, qui survient dans 25 à 35% des cas après une angioplastie coronaire. A partir de 1986, l'utilisation de stents a eu un impact favorable, mais seulement partiel (10 à 30% de sténoses). Fuster et Gallo ont prouvé en 1999 la capacité de la rapamycine d'inhiber l'hyperplasie intimale sur des coronaires de porc. Le premier stent actif implanté en mars 2000 a ouvert la voie à des essais cliniques prometteurs dans les études FIM, RAVEL et SIRIUS. Le paclitaxel, diminue le taux de resténose (3 à 9%) dans les études ELUTES et TAXUS II. Une période d'observation de trois ans sera nécessaire pour s'assurer de l'absence de complications tardives et de la stabilité des résultats.
Les stents actifs représentent le sujet le plus passionnant et le plus prometteur de la cardiologie interventionnelle aujourd'hui. En quête d'une terminologie des stents actifs sont aussi appelés thérapeutiques, habillés, enduits, coated ou drug-eluting stents. Vaincre la resténose coronaire après une angioplastie est une bataille qui dure depuis 25 ans et qui a débuté le 16 septembre 1977, date de la première angioplastie effectuée par le Dr A. Grüntzig de l'Hôpital cantonal de Zurich. Le rêve du Dr A. Grüntzig était de réaliser le traitement de la maladie coronarienne au moyen d'un cathéter chez un patient alerte et éveillé. L'histoire de la cardiologie interventionnelle se subdivise en quatre événements majeurs :
1. En 1977 : A. Grüntzig à Zurich.
2. 1986 : première implantation intra-coronaire d'un stent métallique par Jacques Puel à Toulouse et Ulrich Sigwart à Lausanne.
3. 1994 : première irradiation intra-coronaire gamma par José Condado à Caracas, suivie en 1995 par la première irradiation bêta par Vérine, Popowski et Urban à Genève.
4. 2000 : première implantation chez l'homme d'un stent recouvert de rapamycine par Eduardo Sousa à Sao Paulo, puis par Patrick Serruys à Rotterdam.
Prédire avec précision l'incidence de la resténose après une angioplastie pour un patient donné n'est pas très facile. Si l'on procède à une angioplastie au ballon seul, on peut s'attendre à un taux de resténose de 25 à 50%, selon la taille du vaisseau, la longueur de la sténose et la présence ou non d'un diabète.
L'implantation d'un stent a permis de réduire globalement de moitié le taux de resténose.2 Pour des lésions focales sur des artères de plus de 3 mm, le taux de resténose s'abaisse de 10 à 20%. Pour les lésions complexes et diffuses, les bifurcations et les longues lésions des diabétiques, le taux de resténose reste très élevé, de 30 à 50%.
Si l'on procède à une deuxième angioplastie pour traiter la resténose intra-stent, le taux de récidive est décevant que l'on utilise un ballon seul, un ballon coupant, l'athérectomie rotationnelle ou «le stent dans le stent». Dans cette situation difficile, la seule thérapeutique dont l'efficacité est bien documentée est la brachythérapie. C'est le plus souvent un rayonnement bêta qui est utilisé, permettant d'obtenir des taux de resténose de 17 à 32%, soit une diminution de moitié par rapport aux approches alternatives énumérées ci-dessus.
La resténose est déclenchée par deux mécanismes :
1. La rétraction élastique et le remodelage de la paroi coronaire, qui est contrecarrée par une action mécanique favorable du stent.
2. Une hyperplasie intimale qui est en partie stimulée par le stent et qui peut bénéficier d'un traitement pharmacologique.
La resténose est une réponse cellulaire au barotraumatisme artériel qui favorise la thrombose et un état inflammatoire. Ceux-ci stimulent la production des facteurs de croissance et de cytokines, entraînant selon une réaction en cascade une importante prolifération de cellules musculaires lisses de la média artérielle.
A cette prolifération succède une migration des cellules musculaires lisses vers l'intima, associée à une importante sécrétion de matrice extracellulaire.
Roxana Mehran3 à Washington a défini quatre types de resténose, soit focale (42%), diffuse (21%), proliférative (30%) (semblable à une véritable chéloïde intracoronaire) et totalement occlusive (7%). A mesure que l'extension de la resténose est plus importante, le risque d'une nouvelle récidive après une seconde intervention percutanée augmente lui aussi.
Nous devons à l'équipe de Valentin Fuster de New York et au canadien Richard Gallo4,5,6 d'avoir démontré que la rapamycine est capable d'inhiber l'hyperplasie intimale sur des coronaires de porc, précédemment soumises à une angioplastie. Cette recherche fondamentale a permis l'invention du premier stent à la rapamycine et son application inaugurale chez l'homme en salle de cathétérisme en mars 2000 à Sao Paulo.
L'étude First in Man (FIM) a été réalisée sur trente patients de Sao Paulo et quinze patients de Rotterdam ayant une sténose coronaire monotronculaire de novo.7,8 Ces quarante-cinq premiers patients n'ont montré aucune resténose et aucune thrombose à vingt-quatre mois et une évolution clinique sans angor. Ces premiers résultats inédits sont dus à l'effet favorable de la rapamycine, qui est un puissant immunosuppresseur utilisé dans la prévention du rejet dans la transplantation rénale, et qui a été découvert à l'île de Pâques. Ce médicament a plusieurs sites d'action et se présente comme un inhibiteur des facteurs de croissance et de la prolifération des cellules musculaires lisses.
La compagnie Cordis a mis au point un stent recouvert d'un premier polymère, contenant la rapamycine à une faible dose, recouvert d'un deuxième polymère permettant une lente diffusion du médicament sur une période de quatre à six semaines.
La première étude randomisée prospective comparant cent vingt patients bénéficiant d'un stent à la rapamycine et cent dix-huit patients dans un groupe contrôle a été réalisée en Europe.9,10,12 En comparant l'évolution angiographique et clinique des deux groupes, on a pu prendre la pleine mesure de l'efficacité de la rapamycine. En effet, le taux de resténose dans le groupe actif est de 0% à six mois contre 26% dans le groupe contrôle (tableau 1). En utilisant des mesures quantatives des diamètres coronaires, la perte moyenne de lumière artérielle fut inexistante dans le segment stenté avec la rapamycine (- 0,01 mm), alors qu'elle fut de 0,80 mm dans le groupe contrôle. En fait, du jamais vu en recherche clinique, ce résultat a bouleversé le monde cardiologique interventionnel.
Sur un plan plus clinique, la survie libre d'événements majeurs (décès, infarctus, seconde angioplastie ou pontage) est de 94% à un an dans le groupe à la rapamycine et de 70% dans le groupe bénéficiant d'un stent standard. Ce deuxième groupe est en fait victime de la resténose et de ses complications.
Les résultats de l'étude RAVEL à un an confirment l'absence totale de resténose dans ce groupe de lésion monotronculaire ainsi que l'absence d'accidents thrombotiques tardifs, qui étaient théoriquement à craindre en raison de la cicatrisation endovasculaire ralentie. Les résultats étaient par ailleurs très favorables dans le sous-groupe des patients diabétiques habituellement exposés à un risque de resténose important avec les stents conventionnels.
SIRIUS est la plus importante des études évaluant le stent à la rapamycine, puisqu'elle a recruté 1100 patients aux Etats-Unis contrôlés à huit mois par une coronarographie systématique et à neuf mois par un contrôle clinique.14
Les patients de cette étude semblent un peu moins sélectionnés que ceux de RAVEL et correspondent peut-être plus au «monde réel» et au type de patients rencontrés dans la pratique cardiologique courante. De plus, l'implantation de deux stents dans la même lésion était autorisée par le protocole.
Près de 30% des patients ont un ancien infarctus, 25% ont déjà eu une précédente angioplastie, 26% ont un diabète. Les résultats cliniques à neuf mois documentent une faible incidence de décès et d'infarctus, similaires dans les deux groupes ainsi qu'un résultat nettement favorable en terme de nécessité à réintervenir sur le vaisseau stenté : 3,9% pour le groupe traité avec le stent actif, comparés à 16,6% dans le groupe contrôle. Lorsque l'on considère les événements cardiaques majeurs de manière combinée (décès, infarctus ou réintervention), ils surviennent chez 4,9% dans le groupe à la rapamycine comparés à 17,7% pour le groupe contrôle.
Sur le plan angiographique, le taux de resténose moyen du segment vasculaire traité est de 8,9%, soit environ quatre fois moins que les 36,3% obtenus dans le groupe contrôle (tableau 1).
Le bénéfice relatif est similaire dans tous les sous-groupes évalués et le bénéfice absolu est donc généralement plus important pour les patients qui sont à plus haut risque de développer une resténose. Sur cent patients traités dans l'étude SIRIUS, les événements évités par le stent à la rapamycine sont 27 resténoses en moins pour la totalité des patients, 33 resténoses en moins pour les diabétiques, 25 resténoses en moins pour les petits vaisseaux et 27 resténoses en moins pour les longues lésions.11
Le paclitaxel est un antimitotique puissant utilisé dans le cancer de l'ovaire qui a un effet cytotoxique, bloquant plusieurs stades de la mitose et possédant probablement une fenêtre thérapeutique plus étroite en terme de dose que la rapamycine. Ce dernier point est illustré par la mauvaise tolérance clinique observée avec la forte dose utilisée dans certains essais préliminaires, ayant entraîné des complications thrombotiques, précoces et fréquentes.14
Dans l'étude ELUTES, un stent enduit de paclitaxel à différentes doses, mais sans polymère associé a été testé en clinique et comparé à un stent nu. Les doses variaient de 0,2 à 2,7 µg/mm2.
Avec la plus forte dose, le taux de resténose à six mois est seulement de 3% comparés à 21% pour le groupe contrôle (tableau 1) et des taux de 12 à 14% pour les doses intermédiaires. Cette étude révèle une étroite relation entre la dose et l'importance de l'inhibition intimale. Le résultat clinique à six mois est très favorable, sans thrombose et sans incident clinique majeur.
Les effets vasculaires de paclitaxel à une dose de 1 mg/mm2 fixée sur un stent métallique au moyen d'un polymère ont été étudiés de manière expérimentale sur un modèle animal. Cet antimitotique provoque une modulation très nette de l'hyperplasie intimale permettant l'apparition d'un nouvel endothélium très fin et atténue la réaction inflammatoire. Au récent congrès de Washington TCT 2002, Antonio Colombo de Milan a présenté les résultats de TAXUS II sur des lésions monotronculaires en comparant deux cinétiques de diffusion différente, l'une modérée et l'autre lente. Ici encore, les résultats sont très encourageants et assez similaires à ceux obtenus avec le sirolimus. La resténose à six mois dans la cinétique modérée est favorable à 8,6% dans le segment stenté comparés à 23,8% dans le groupe contrôle. De même, la diffusion à cinétique lente est associée à une incidence de resténose de 5,5% vs 20,1% pour le groupe contrôle (tableau 1). Cette étude démontre par ailleurs l'absence de tout effet de bord avec ce nouveau stent.
1. Les modèles animaux qui sont utilisés pour évaluer l'efficacité des substances actives fixées aux stents ne sont pas toujours fiables. Pour la rapamycine et le paclitaxel, les résultats cliniques ont surpassé les observations expérimentales, mais pour d'autres substances (l'actinomycine D ou le batimastat par exemple) c'est le contraire qui s'est produit et les essais cliniques se sont avérés très décevants. Ceci pose un problème de taille pour les éventuelles autres substances qui seront évaluées à l'avenir.15
2. Après les résultats obtenus avec les stents radioactifs16 qui avaient systématiquement démontré l'existence d'un important effet de bord l'on pouvait craindre que le même phénomène soit observé avec les stents actifs. Il semble désormais qu'il n'en soit rien puisqu'aucune des grandes études rapportées à ce jour n'a documenté une augmentation des sténoses aux extrémités des stents actifs.
3. Puisque les agents cytostatiques et cytotoxiques administrés localement à la paroi artérielle diminuent la prolifération et la migration des cellules musculaires lisses, on pouvait craindre qu'une réendothélialisation ralentie soit associée à des complications thrombotiques tardives. Toutes les grandes études cliniques ont utilisé un traitement anti-agrégant combiné d'aspirine et de clopidogrel pour une durée de deux à six mois. Dans tous les cas, aucune augmentation des accidents thrombotiques n'a été rapportée pour des durées de suivi de six à douze mois.
4. Même si toutes les données actuellement disponibles suggèrent que les bons résultats obtenus à six mois sont maintenus par la suite, un suivi de deux ans au plus n'est aujourd'hui disponible que pour un très petit nombre de patients. La possibilité d'un «rattrapage» du processus resténotique ne peut donc pas être formellement exclu pour l'instant et une période de suivi prolongé «cinq ans et plus» s'impose.
5. Certains sous-groupes à haut risque n'ont pas encore été étudiés et il serait prématuré de conclure que les excellents résultats obtenus chez des patients sélectionnés pourront être reproduits chez tous. Ceci s'applique par exemple aux très longues lésions, aux bifurcations, aux sténoses du tronc commun et aux lésions resténotiques. Même s'il est logique de penser que les stents actifs seront efficaces dans ces situations, seules de nouvelles études randomisées conçues à cet effet seront capables de répondre de manière définitive. Il est cependant probable que certaines approches assez complexes (athérectomie rotative ou directionnelle, brachythérapie, etc.) soient rendues rapidement obsolètes par une utilisation de plus en plus large des stents actifs.
6. Le coût supplémentaire des stents actifs constitue déjà un problème dans plusieurs pays européens où leur usage est très restreint pour des raisons budgétaires. Il est à espérer que l'apparition graduelle d'une concurrence entre plusieurs systèmes efficaces conduise à une baisse des prix. Il faut également reconnaître que le surcoût devrait être en grande partie compensé par une nette diminution des réinterventions pour resténose.17
Par les résultats de FIM, RAVEL, SIRIUS, ELUTES et TAXUS II, les cardiologues interventionnistes disposent d'une arme très prometteuse et efficace pour vaincre la resténose coronaire. Un champ nouveau s'ouvre à la nécessité absolue d'une évaluation clinique rigoureuse, même si les résultats initiaux sont confirmés ; dans les deux ou trois ans à venir, il est à prévoir que les stents «nus» seront bientôt une figure du passé et que les indications à la revascularisation percutanée seront significativement élargies.17,18,19,20