Nous revenons ici, avec le Pr Frédérique Kuttenn et le Dr Bruno de Lignières (Service d'endocrinologie et de médecine de la reproduction, Hôpital Necker, Paris), sur les termes de la controverse qui oppose depuis peu en France les sociétés savantes de gynécologie-obstétrique et de l'étude de la ménopause à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) à propos des traitements hormonaux substitutifs (THS) de la ménopause (Médecine et Hygiène du 26 février).«A partir de plusieurs récentes études américaines, réalisées avec des molécules et voies d'administration différentes de celles utilisées en Europe, et aussi sur des populations ayant un profil différent, l'Afssaps diffuse un message qui se veut essentiellement de prudence, sans peut-être suffisamment rappeler les bienfaits du traitement hormonal substitutif de la ménopause qu'il est le seul à pouvoir procurer en termes de «confort» (suppression des bouffées de chaleur, protection cutanéo-muqueuse) et de «qualité de vie» (tonus physique et psychique, dynamisme), ainsi que de protection contre la déminéralisation osseuse à l'origine de risque accru de fracture» souligne le Pr Kuttenn.Une série de questions essentielles, en termes de pratique quotidienne, de santé publique et de politique de santé, peuvent dès lors être soulevées au travers de la question du rapport bénéfice/risque des THS de la ménopause.I Quelles sont les différences essentielles entre les récentes études américaines et les pratiques observées en France et en Europe ?Pour les spécialistes parisiens d'endocrinologie, il importe ici de souligner que ces études américaines sont réalisées avec des molécules (strogènes équins : extraits d'urine de juments gravides ; progestatif de synthèse : acétate de médroxyprogestérone), une voie d'administration des strogènes orale (ayant des effets procoagulants) différentes de celles utilisées en Europe, et notamment en France où la voie d'administration transdermique d'estradiol naturel, par gel ou patch, reste la plus utilisée. Les populations américaines concernées sont elles aussi différentes, avec un fort pourcentage d'obésité, hypertension artérielle, dyslipidémie. Dès lors, il est selon eux certainement difficile d'extrapoler ces résultats aux situations française et européenne.L'Afssaps souligne avec force que les médicaments mis en cause, strogènes conjugués équins oraux associés à un progestatif synthétique, ne représentent que moins de 1% des traitements hormonaux substitutifs prescrits en France. «Toutefois, l'analyse des informations récentes par le groupe de Valérie Béral (Epidemiology Unit-Oxford) conclut à l'existence, non pas de deux mais de quatre études randomisées majeures (HERS, EVTET, WEST et WHI) qui montrent un niveau de risque vasculaire, coronarien et cérébral, identique pour tous les strogènes administrés par voie orale, qu'ils soient conjugués équins ou le 17b-estradiol naturel, y compris pour ce dernier lorsqu'il est utilisé seul et à plus faible dose. Or, si la majorité (60% : 1 200 000) des Françaises utilisatrices d'un traitement hormonal substitutif recourent à la voie percutanée, 40% (800 000 ; et pas seulement 1%) reçoivent des comprimés de 17b-estradiol, souligne le Pr Kuttenn. Notre problème, en France et en Europe, est de comprendre si les résultats américains s'appliquent aussi à l'strogénothérapie administrée non plus sous forme de comprimés, mais par voie cutanée (gels ou patchs).»Il est donc selon elle tout à fait indispensable et urgent de mener des études européennes qui tiennent compte de nos habitudes de traitement : dose d'strogène limitée, voie d'administration non orale des strogènes (qui d'après les marqueurs biologiques n'aurait pas les effets procoagulants de la voie orale), association de préférence à la progestérone naturelle. Deux questions essentielles pourraient ainsi trouver des réponses au terme d'une étude THS «voie cutanée» versus «placebo» : celle de l'innocuité et celle de la réalité d'une protection vasculaire.I Pourquoi aucun essai de ce type n'a-t-il été conduit avec les strogènes administrés par voie cutanée alors même qu'ils sont les plus prescrits en France et en Europe ?Faut-il redire ici que des études comparables à celles réalisées aux Etats-Unis coûtent plusieurs centaines de millions d'euros/dollars ? Les spécialistes parisiens observent quant à eux que, jusqu'à présent, malgré plusieurs tentatives, «personne n'a accepté de les financer, ni les organismes de recherche publique, ni les diverses firmes pharmaceutiques qui, trop souvent, se considèrent en situation de rivalité plutôt que de faire front commun, et qui sont maintenant talonnées par les fabricants de "génériques" qui ne font aucune recherche.»«Toutefois, estiment-ils, étant donné l'émotion suscitée depuis peu par la démonstration de l'existence de certains risques, il est possible que l'obtention de fonds publics européens soit facilitée. Le problème de l'opportunité d'explorer d'autres voies d'administration que la voie orale revient de façon récurrente dans la littérature scientifique anglo-saxonne ; il est donc aussi possible qu'il nous faille, une nouvelle fois, nous contenter d'attendre que les Etats-Unis veuillent bien résoudre notre problème.»(A suivre)