L'infliximab et l'étanercept sont particulièrement efficaces dans les spondarthropathies (ou spondylarthropathies) séronégatives (SpA). L'indication doit cependant être évaluée rigoureusement (SpA sévère avec échec des traitements conventionnels, évidence de composante inflammatoire et absence de contre-indication). Une fois le traitement anti-TNF entrepris, son efficacité doit également être évaluée précisément (amélioration objective et satisfaisante ou péjoration claire lors d'un essai d'interruption) à l'aide d'outils appropriés (BASDAI, BASFI, VS, CRP et, éventuellement, IRM). Les contre-indications sont les allergies à ces agents, les infections sérieuses, la sclérose en plaques et les vaccinations en cours (vaccin vivant). Les contre-indications relatives comprennent l'insuffisance cardiaque, la grossesse, les interventions chirurgicales, l'asthme, les dyscrasies sanguines et les néoplasies. Les effets secondaires sérieux sont rares mais doivent être reconnus rapidement (mycobactérioses tuberculeuses ou atypiques, pneumocystoses, cytopénies, syndromes lupiques ou démyélinisants).
Les spondarthropathies séronégatives (SpA) comprennent la spondylarthrite ankylosante (SA), les spondylarthropathies indifférenciées, les arthrites psoriasiques, les arthrites réactives et les arthropathies associées aux entéropathies inflammatoires (Crohn et RCUH). Ces entités sont définies par une atteinte axiale fréquente, l'absence de facteur rhumatoïde, et d'un point de vue physiopathologique, par une inflammation prédominant sur les enthèses.
La prévalence globale des SpA est estimée entre 0,5-1,8%, et donc comparable à celle de la polyarthrite rhumatoïde (PR).1 Bien que beaucoup de cas de SpA soient relativement bénins, la morbidité des formes sévères est équivalente aussi à celle des formes sévères de PR. Malgré cela, les études sur les traitements de fond classiques sont rares, probablement en partie à cause d'effets décevants dans les SpA : bien que la sulfasalazine ait fait la preuve d'une certaine efficacité dans les atteintes périphériques, il n'existe pas d'études contrôlées démontrant les bénéfices d'autres molécules ;2 les quelques études ouvertes portant sur le méthotrexate donnent des résultats souvent négatifs. Il en résulte qu'il n'y a pas, à l'heure actuelle, de traitement de fond classique bien établi pour les SpA, en particulier pour leurs atteintes axiales.
Nous disposons actuellement sur le marché suisse de deux anti-TNF : l'infliximab - Remicade®, un anticorps anti-TNF chimérique (souris-humain) et l'étanercept Enbrel®, une molécule de fusion entre le récepteur TNFp75 et une immunoglobuline ; le D2E7 adalimumab, un autre anticorps monoclonal, 100% humain, sera bientôt disponible. Ces molécules ont toutes les raisons de s'avérer précieuses dans la prise en charge des SpA. Le TNF semble en effet jouer un rôle important dans la pathogénie des SpA : les enthésites (inflammations au niveau des enthèses de types I (insertions des tendons, ligaments et capsules articulaires sur l'os) et II (jonctions cartilage-os)) sont riches en cellules inflammatoires lympho- et monocytaires qui expriment des quantités très abondantes de TNF. Ce TNF peut induire la synthèse d'autres molécules inflammatoires et ainsi entraîner la plupart des modifications anatomo-pathologiques qui caractérisent les SpA.3
L'évaluation précise de l'activité de la maladie et de l'efficacité des traitements est extrêmement importante dans les SpA, pour guider les décisions thérapeutiques, convaincre les patients de l'utilité des traitements, justifier leur utilisation et documenter leur efficacité auprès des assurances.
L'ASAS, un groupe international d'experts, a évalué les différents instruments disponibles dans la SA et conclu que la douleur et la capacité fonctionnelle étaient les paramètres les plus importants.4 La douleur (vertébrale ou périphérique) est facilement évaluée par des échelles visuelles analogiques (EVA). L'activité de la maladie et l'activité fonctionnelle peuvent être déterminées par des autoquestionnaires (BASDAI et BASFI). La plupart de ces paramètres peuvent être appliqués à d'autres SpA.
La CRP et la VS peuvent également être utiles, notamment pour mettre en évidence une activité inflammatoire qui justifierait un anti-TNF, mais leur sensibilité est mauvaise, même dans les SpA très actives.
Plus récemment, plusieurs travaux ont montré que l'IRM permettait de bien visualiser les enthésites actives.
Pour l'infliximab, des études ouvertes (11 patients et 50 patients)5,6 et contrôlées contre placebo (69 patients avec SA sévère de longue durée)7 ont montré que des doses de 5 mg/kg aux semaines 0, 2 et 6 permettaient une amélioration très significative sur l'activité de la maladie, la capacité fonctionnelle, la mobilité vertébrale (BASMI), la CRP, la douleur vertébrale, la raideur matinale et la fatigue (EVA). Les proportions de répondeurs (réduction >= 20% dans l'évaluation globale de la douleur ou par les critères de réponse AS Assessment Group (ASAS 20%)), et de rémissions partielles furent de 98, 94 et 70% respectivement.6
Pour l'étanercept, des résultats tout à fait comparables ont montré, dans des études ouvertes (dix patients)8 et contrôlées contre placebo (40 patients avec SA sévère),9 que des doses de 25 mg deux fois par semaine pendant six et quatre mois respectivement, permettaient aussi une amélioration très significative de la raideur matinale, du nombre d'articulations douloureuses, du nombre d'articulations tuméfiées, du BASDAI, des douleurs vertébrales nocturnes, de l'évaluation globale par le patient (EVA), de l'ampliation thoracique et de la CRP. En revanche, il n'a pas été noté d'effets sur la mobilité spinale (Schober, distance occiput-paroi) et la fatigue.9
Un aspect intéressant de l'étude anglaise était l'analyse des enthésites par IRM (pondération T2 et suppression de graisse) : sur un total de 44 lésions, 61% avaient complètement guéri à six mois, 25% étaient améliorés et seuls 14% ne s'étaient pas modifiés ; les auteurs n'ont observé aucune nouvelle lésion.8
Dans l'arthrite psoriasique, des résultats équivalents ont été obtenus avec l'étanercept dans une étude contrôlée10 et avec l'infliximab dans une étude ouverte.11 Par ailleurs, de nombreux cas rapportés font état d'effets très favorables dans d'autres SpA (SpA indifférenciées, juvéniles, associées à la maladie de Crohn, uvéites associées aux SpA). Il est cependant intéressant de noter que si les SpA associées à la maladie de Crohn répondent à l'infliximab et à l'étanercept, la colite elle-même semble répondre à l'infliximab mais pas à l'étanercept.12
Il convient cependant de relativiser ces résultats très positifs : les patients sélectionnés dans les études figuraient certainement parmi les meilleurs candidats à une réponse, avec généralement des syndromes inflammatoires nets (élévation de la CRP ou de la VS). Malgré cela, on observait chez presque 10% d'entre eux une absence presque totale de réponse, et une rémission partielle chez seulement deux tiers environ. Notre expérience personnelle est équivalente avec beaucoup de très bonnes réponses, mais aussi beaucoup de patients qui ne répondent pas du tout, généralement quand ils ne présentent pas de syndrome inflammatoire manifeste. Par ailleurs, on ne sait pas encore si on n'observera pas, comme c'est parfois le cas dans la PR, des phénomènes d'échappement, partiels ou complets. D'un autre côté, il est probablement possible d'améliorer la réponse en associant prudemment des immunosuppresseurs ou d'autres traitements, comme la sulfasalazine, aux anti-TNF.
Les bénéfices potentiels des anti-TNF peuvent-ils justifier leur coût relativement élevé ?
Pour l'Enbrel ®, il faut en effet compter environ Fr. 25 000./an pour un traitement de 25 mg 2 x/semaine. Pour le Remicade ®, il faut compter environ 15 000. pour un traitement de 3 mg/kg/huit semaines chez une personne de 60 kg), mais jusqu'à 30 000. pour 5 mg/kg/six semaines pour une personne du même poids ; ces prix ne prennent pas en compte l'immunosuppresseur (méthotrexate, ou éventuellement Arava® ou Imurek®) qu'il convient souvent d'ajouter (et peut-être toujours pour l'infliximab) dans le but d'améliorer l'efficacité, notamment en diminuant la formation d'anticorps anti-anticorps.
Le prix des SpA sévères peut cependant être encore nettement plus élevé : les coûts directs comprennent les traitements pharmacologiques (médicaments, injections, examens de contrôle, complications), les traitements non pharmacologiques (physio-ergothérapie, chirurgie), les hospitalisations et la radiologie. Les coûts indirects comprennent les pertes de gain et de productivité, ainsi que les frais d'assistance, et représentent de loin le plus gros des coûts globaux. Le prix d'un cas sévère de SpA se monte ainsi couramment à plus de Fr. 100 000./an, sans compter les coûts humains (souffrances physiques et psychiques). Si une partie substantielle de ces coûts peut être économisée par les anti-TNF, ce qui est probablement le cas dans les cas sévères, ces traitements sont économiquement bénéfiques,13 comme cela a d'ailleurs été démontré récemment pour la PR.
Sur la base de ce qui précède, les anti-TNF sont certainement indiqués dans certains cas de SpA, mais, inversement, ne le sont clairement pas dans d'autres (tableau 1).
La plupart des experts pensent que les anti-TNF ne doivent être introduits que si les traitements de fond classiques ont échoué : le manque d'études positives, en particulier pour le méthotrexate, doit en effet être tempéré par le fait que les études négatives ont généralement été conduites avec des doses faibles et/ou des patients avec longue évolution, chez lesquels les symptômes et signes dus à l'inflammation peuvent être masqués par ceux qui sont associés aux séquelles.2 Ainsi, dans notre expérience personnelle et de nombreux cas rapportés dans la littérature, des traitements comme le méthotrexate, seul ou en association avec la sulfasalazine ou la ciclosporine, se sont montrés très efficaces.
En ce qui concerne les arthrites réactives, conceptuellement (en raison de la présence de germes vivants dans certains cas), et en l'absence de données claires, les anti-TNF ne sont pas indiqués sans précaution particulière.
Il existe peu de contre-indications absolues, mais un certain nombre de situations dans lesquelles il convient d'être prudent (tableau 2). Pour la plupart des spécialistes, un FAN + ne représente pas une contre-indication, cela d'autant plus que les anti-TNF ont été utilisés avec succès dans des cas de lupus ; il convient néanmoins de surveiller attentivement la survenue éventuelle de manifestations lupiques, comme chez tous les patients traités par anti-TNF.
Des études ont mis en évidence des cas d'insuffisance cardiaque péjorée par des doses élevées d'infliximab, mais pas par les doses faibles ni par l'étanercept. Des cas rapportés en font cependant état aussi avec cette dernière molécule, ce qui impose donc la prudence.
En ce qui concerne la grossesse, les expériences menées sur la souris, même avec des suppressions totales de l'expression du TNF, n'ont pas montré de toxicité ftale. L'absence de données humaines impose cependant la prudence.
Les anti-TNF ont généralement été bien tolérés dans les études portant sur les SpA, avec seulement quelques réactions allergiques et infections. Une étude récente a analysé le sort de 180 patients mis sous étanercept entre décembre 1998 et avril 2000, principalement pour PR :14 81% des patients sont restés sous cette thérapie pour plus de six mois et 43% pour plus de douze. Quarante-trois patients (26%) ont dû arrêter l'étanercept. Seulement 2,9% des patients ont présenté des effets secondaires sérieux, parmi lesquels les infections étaient les plus courantes (abcès du psoas à Mycobacterium avium, arthrite septique, bactériémie, surinfection de prothèse) et deux décès sont survenus. Les effets secondaires sérieux, surtout infectieux et auto-immuns sont bien reflétés dans le rapport publié par le FDA Arthritis Advisory Committee en septembre 2001 (tableau 3).
On peut noter que les tuberculoses surviennent généralement précocement (
Les syndromes démyélinisants sont rares mais bien documentés ; ils sont généralement réversibles mais souvent partiellement. Il est donc important de reconnaître les présentations précoces, qui sont fréquemment atypiques (tableau 4).
Les complications néoplasiques ne semblent pas être significativement plus fréquentes avec les anti-TNF que dans les maladies pour lesquelles ils sont prescrits le plus souvent (PR et Crohn). Il faut cependant signaler plusieurs lymphomes survenus très peu de temps après le début des traitements à l'infliximab ou à l'étanercept, avec notamment des formes sévères chez des patients aux antécédents de syndromes lymphoprolifératifs ; deux cas, sur une vingtaine, ont régressé à l'arrêt de l'anti-TNF.15
La plupart des spécialistes considèrent que le bilan initial, en dehors d'un examen clinique complet, doit comporter un test de Mantoux et une radiographie du thorax. Les indications à une prophylaxie sont détaillées dans le tableau 5.
Les bilans itératifs comprennent essentiellement la formule sanguine. Les mesures itératives du FAN sont inutiles, chères et trompeuses. Elles doivent laisser la place à des examens cliniques réguliers.
Actuellement, les indications remboursées par les caisses d'assurances se limitent à PR, + polyarthrites juvéniles pour l'étanercept et maladie de Crohn pour l'infliximab.
En cas d'indication dans le cadre d'une SpA, il convient alors d'adresser une demande de remboursement au médecin-conseil de l'assurance, si possible à travers un centre universitaire ou un hôpital cantonal, en faisant valoir fermement les bénéfices des anti-TNF et les conséquences physiques et économiques des SpA graves.
Si le patient remplit les critères d'une PR, le cas peut être déclaré comme tel (un deuxième diagnostic n'est pas exclusif selon les critères 1987 de l' ACR pour la PR).
L'infliximab et l'étanercept sont particulièrement efficaces dans les SpA, notamment dans la SA et les arthrites psoriasiques. Ils sont donc clairement indiqués chez certains des patients qui en souffrent, et probablement économiquement bénéfiques chez beaucoup d'entre eux. Il faut souligner l'importance des évaluations rigoureuses de l'indication, et de l'efficacité une fois le traitement entrepris ! La tolérabilité de ces anti-TNF est généralement très bonne mais des effets secondaires sérieux peuvent survenir et doivent être reconnus rapidement.
Des études supplémentaires sont attendues pour mieux définir les meilleurs régimes thérapeutiques (doses, associations d'immunosuppresseurs), mieux prédéterminer les répondeurs, et mieux connaître les effets secondaires à long terme, les contre-indications et la surveillance nécessaire.