Nous poursuivons ici, avec le Pr Frédérique Kuttenn et le Dr Bruno de Lignières (Service d'endocrinologie et de médecine de la reproduction, Hôpital Necker, Paris), l'analyse de la controverse qui oppose depuis peu en France les sociétés savantes de gynécologie-obstétrique et de l'étude de la ménopause à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) à propos des traitements hormonaux substitutifs (THS) de la ménopause (Médecine et Hygiène du 26 février et du 5 mars 2003).I Au-delà des incertitudes actuelles, dispose-t-on aujourd'hui de données fiables permettant d'affirmer que les THS de la ménopause et si oui, lesquels jouent un rôle protecteur vis-à-vis des affections cardiovasculaires ?Pour le Pr Kuttenn, la «grande majorité» des experts est désormais convaincue que la sécrétion d'estradiol par l'ovaire joue un rôle protecteur jusqu'à la ménopause. Cette conviction repose sur les enquêtes épidémiologiques humaines et de nombreuses études expérimentales chez l'animal. La protection s'exercerait essentiellement au niveau de la paroi des vaisseaux par différents mécanismes : vasodilatation, atténuation des spasmes artériels, diminution des dépôts lipidiques, de l'agrégation plaquettaire, meilleure régénération du tissu artériel lors d'agressions.«Si tous les THS ne reproduisent pas ces bénéfices, c'est parce qu'ils ne reproduisent pas exactement les effets de l'activité ovarienne d'avant la ménopause, soulignent les deux endocrinologues parisiens. Les estrogènes administrés par voie orale abordent le foie en première intention qui devient ainsi leur premier organe-cible, sans bénéfice particulier au niveau de ce tissu, mais avec deux conséquences : le métabolisme de ces estrogènes lors de leur traversée hépatique oblige à en augmenter la dose administrée, à seule fin de compenser leur dégradation intra-hépatique ; la synthèse de substances normalement fabriquées par le foie : facteurs de la coagulation, lipides (VLDL- triglycérides), angiotensinogène (facteur d'augmentation de la tension artérielle), va être stimulée lors du passage hépatique de ces estrogènes de façon intempestive et excessive.»Ainsi l'administration orale d'estrogènes s'accompagnerait d'une surcharge hépatique de cette hormone reproduisant sur cet organe les changements métaboliques de la grossesse, période caractérisée notamment par une hypersécrétion importante d'estrogènes. En pratique, l'effet le plus préoccupant est l'activation de la coagulation. Car si celle-ci est très certainement bénéfique en prévision des risques hémorragiques d'un accouchement, elle est sans intérêt et plus probablement nocive pour une femme dont les veines et les artères ont plus de 50 ans.I Pourquoi, dès lors, ces prescriptions largement répandues outre-Atlantique de THS avec estrogènes per os ?«Jusqu'en juillet 2002, une majorité de médecins américains espéraient tirer plus d'avantages (élévation du HDL-cholestérol) que d'inconvénients (effet pro-coagulant) de cette accumulation hépatique d'estrogènes, explique le Pr Kuttenn. Cela ne peut plus être le cas. Il faut insister sur les observations que cet effet n'est pas seulement exercé par les estrogènes équins administrés aux Etats-Unis mais par tout estrogène administré par voie orale, y compris l'estradiol naturel.»A l'inverse de la voie orale, la voie d'administration cutanée (gel, patch) des estrogènes reproduit une imprégnation semblable à celle réalisée par la sécrétion ovarienne, égale pour tous les tissus-cibles. Elle permet d'éviter les effets pro-coagulants de la voie orale, et les études comparatives randomisées des marqueurs biologiques (facteurs de coagulation, triglycérides, taille des particules LDL, C-réactive protéine), jugées maintenant indispensables par certains experts américains comme J. Rossouw et L. Kuller, ont montré la supériorité en termes d'inocuité de la voie cutanée par rapport à la voie orale d'administration des estrogènes.De plus, l'analyse des certificats de mortalité cardiovasculaire en France pendant les quinze dernières années montre que la mortalité cardiovasculaire féminine s'est réduite d'environ 18%, tous âges confondus (alors qu'elle augmentait dans la même période aux Etats-Unis). La plus forte baisse de mortalité coronaire et vasculaire cérébrale s'est produite dans le groupe d'âge de 55 à 64 ans qui comporte le plus grand nombre d'utilisatrices d'estradiol par voie cutanée. Ces chiffres semblent pouvoir exclure que cette forme d'estrogénothérapie ait la même toxicité cardiovasculaire que celles testées aux Etats-Unis.(A suivre)