La surveillance des infections nosocomiales constitue le fondement de la prévention des infections depuis plus de trente ans. Sous l'égide du groupe Swiss-NOSO, une première enquête de prévalence a été réalisée en Suisse en 1996 au sein de quatre hôpitaux universitaires, suivie de deux enquêtes similaires en 1999 et 2002 ; la dernière a inclus 7544 patients admis dans soixante hôpitaux et représentant près de 40% des secteurs des soins aigus helvétiques. Des efforts importants ont été réalisés par les centres experts afin de promouvoir la mise en place d'une méthodologie standardisée, validée, et fiable, ainsi qu'un transfert des connaissances aux institutions non universitaires. La formule mise sur pied comprend : participation volontaire des hôpitaux, dessin épidémiologique valide, mise en réseau des institutions de soins, collecte d'information par des professionnels du domaine de la prévention des infections spécifiquement entraînés à ce type d'enquête, analyse de données agrégées et maintien strict de la confidentialité des résultats. Le réseau Swiss-NOSO propose et développe actuellement un schéma national incluant différents modules d'enseignements, de formation continue, de surveillance et d'interventions appliquées à la prévention des infections.
Le concept de la surveillance des infections nosocomiales en tant qu'outil de prévention est reconnu de longue date.1 L'effet de surveillance peut être correcteur, puisque la restitution même des taux d'infections contribue à leur réduction. Un bénéfice supplémentaire peut en général être obtenu par l'application de mesures d'amélioration de la qualité des soins ou d'interventions dirigées contre des facteurs de risque spécifiques d'infection. La mesure du taux d'infection avant et après l'intervention permet d'en quantifier l'impact. Ainsi, la prévention des infections est considérée comme l'un des mouvements pionniers de l'amélioration de la qualité, les infections étant en partie le reflet d'un manque de qualité de la prestation de soins. Dans la plupart des hôpitaux aujourd'hui, les programmes de prévention de l'infection coexistent avec ceux destinés à l'amélioration de la qualité des soins, plus récemment introduits. Dans certains hôpitaux, des programmes mixtes assurent ces deux types de prestations.
La surveillance des infections constitue l'une des activités des programmes de prévention ; les activités telles que : contrôle des épidémies, surveillance des résistances bactériennes, révision des procédures de soins, enseignement et éducation continue en regard du risque infectieux, contrôle du risque environnemental et des procédures de désinfection et de stérilisation, ainsi que choix de l'instrumentation médicale sont d'autres exemples d'activités de tels programmes qui ne sont pas abordés dans cet article.
Aux Etats-Unis, la surveillance des infections a été établie par le National Nosocomial Infection Surveillance (NISS) system des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) d'Atlanta au début des années 70.2 Cette première initiative nationale a été basée sur les résultats de l'étude SENIC qui avait démontré une réduction moyenne de 32% des infections nosocomiales sur une période de cinq ans dans les hôpitaux disposant d'éléments déterminés comme étant efficaces à prévenir les infections nosocomiales, alors que, dans le même temps, ces taux augmentaient de 18% dans les hôpitaux ne disposant pas d'un tel programme.1 La présence d'un système organisé de surveillance des infections était l'un des quatre éléments déterminants de l'efficacité d'un programme de prévention, les trois autres étant : de disposer d'un médecin épidémiologiste spécialisé pour 1000 lits hospitaliers, d'un(e) infirmier(ère) spécialiste en prévention de l'infection pour 250 lits hospitaliers au moins, et d'un système assurant la restitution des taux d'infections. Ainsi, un ensemble de définitions et de règles d'application de la surveillance ont été développées et sont encore universellement utilisées actuellement par les programmes et les initiatives de surveillance des infections conduites à travers le monde.
Depuis la fin des années 90, la plupart des pays européens ont développé des réseaux nationaux de surveillance des infections (tableau 1). Nombre de ces systèmes ont été construits sur la demande des instances administratives ou gouvernementales et en partie à l'aide de subsides financiers nationaux. Les systèmes mis sur pied diffèrent, tant par leurs options méthodologiques que par le type d'infection ou d'événement nosocomial choisi comme marqueur. La plupart des systèmes de surveillance ont ainsi décidé de se concentrer sur des infections associées à des conséquences plus importantes en matière de morbidité et de mortalité ou sur des infections dont le potentiel de prévention est connu (tableau 1). Ainsi, de nombreux réseaux de surveillance concernent les pneumonies liées à la ventilation mécanique en réanimation, les infections urinaires associées au sondage ou les bactériémies liées aux accès vasculaires. La plupart des réseaux conduisent une surveillance de type prospectif. Seules l'Espagne et la Suisse ont choisi de conduire des enquêtes de prévalence répétées.3 En Allemagne, l'enquête de prévalence initiale (NIDEP I) a été suivie par une étude d'intervention (NIDEP II), puis par la constitution d'un réseau qui propose différents modules de surveillance prospective des infections acquises en réanimation, de celles acquises par des patients admis dans des secteurs d'oncologie, de néonatologie, ainsi que des infections du site chirurgical, de celles associées aux procédures invasives, ou encore acquises dans le cadre de la pratique des soins ambulatoires.4
Au plan national, et de manière générale, la Suisse accuse un retard relativement important dans le domaine de la surveillance des infections nosocomiales.
Bien que les infections nosocomiales ne fassent pas partie des maladies à déclaration obligatoire auprès de l'Office fédéral de la santé publique, la surveillance et la prévention des infections nosocomiales s'imposent par l'obligation de fournir des indicateurs de qualité inscrite dans le cadre de la LAMal. Ainsi, les hôpitaux ont intérêt à développer des programmes de surveillance appropriés. Actuellement, l'initiative du développement de tels programmes est donc entièrement basée sur la volonté des institutions de soins de consentir des efforts dans leur établissement, expliquant la grande diversité constatée d'un hôpital à l'autre.5
Les résultats d'études conduites au niveau d'hôpitaux individuels ou réunissant plusieurs institutions de soins ont été publiés ; une grande partie de celles-ci ont été résumées dans un article publié en 1999.6 Une enquête conduite en 2000 a révélé que, dans notre pays, moins de la moitié des hôpitaux de 250 lits ont une expérience de la surveillance des infections, alors que tous les hôpitaux disposent d'un comité de contrôle de l'infection et que 70% d'entre eux emploient au moins un(e) infirmier(ère) dédié(e) à l'hygiène hospitalière ou à la prévention des infections.7 Cette information confirme la notion de tradition d'hygiène au sein des hôpitaux helvétiques. Compte tenu que seuls 13% des institutions de soins disposaient en 2000 d'un nombre suffisant d'infirmiers(ères) spécialistes, les ressources en personnel spécialisé, les connaissances et l'expérience paraissaient insuffisantes pour l'établissement de systèmes de surveillance.
Afin de promouvoir le concept de surveillance des infections nosocomiales au plan national et d'obtenir une estimation quantitative du problème, une première enquête de prévalence des infections incluant quatre centres universitaires a été conduite en 1996 sur l'initiative du groupe Swiss-NOSO (www.swiss-noso.ch).8 Cette enquête a inclus 1348 patients hospitalisés dans des secteurs choisis de chirurgie, médecine interne et réanimation. Employant la même méthodologie, l'enquête a été répétée en 1999, réunissant les informations de 4252 patients hospitalisés dans dix-huit hôpitaux.9 En 2002, soixante hôpitaux ont participé à l'enquête, représentant un collectif de 7544 patients (fig. 1).
Considérant les faibles moyens à disposition des hôpitaux suisses en général, ainsi que l'absence d'un schéma national, le groupe Swiss-NOSO a choisi d'adopter dans un premier temps une stratégie de surveillance par des enquêtes de prévalence des infections nosocomiales, couplées à l'évaluation de facteurs de risque et de paramètres permettant d'estimer la mixité de population. La méthodologie d'enquête a été adaptée afin de tenir compte des objectifs fixés, ainsi que de la spécificité des populations de patients étudiés.8,10 L'originalité de la méthode adoptée en Suisse est de quantifier les facteurs de risque et les paramètres confondants éventuellement associés au risque infectieux dans une période de sept jours précédant le moment de l'enquête, en collectant les variables utiles à la fois chez les patients infectés et chez les patients non infectés.9 Cette méthodologie permet une évaluation des facteurs de risque, ainsi que l'ajustement pour la mixité des cas, paramètre essentiel à la comparaison des résultats (voir plus loin).
Avant chaque enquête, des sessions d'entraînement des enquêteurs ont été réalisées dans les trois langues nationales. Des sessions complémentaires l'ont été par vidéo conférence. La documentation d'étude a été élaborée en trois langues. La collecte d'information a été réalisée par les spécialistes locaux en hygiène hospitalière, prévention des infections ou maladies infectieuses, après que ceux-ci aient participé aux entraînements spécifiques adaptés. Des experts régionaux, expérimentés dans le domaine de la prévention des infections, ainsi que dans la conduite d'enquêtes de ce type, ont accompagné certains collègues moins entraînés au moment de l'enquête. Des coordinateurs régionaux ont été désignés afin de superviser la collecte et la saisie d'information. Tous les cas difficiles ont été revus et discutés par un groupe d'experts. En 2002, un site Internet a été développé afin de permettre des échanges interactifs avec les participants, de transmettre rapidement les informations relatives à l'enquête, ainsi que pour apporter tout support utile (fig. 2). Une hotline téléphonique a également été mise à disposition.
Afin de permettre une restitution aisée des résultats de chaque hôpital participant, comparés à ceux des autres hôpitaux suisses engagés dans l'enquête, et en particulier ceux de taille et de vocation similaire, le groupe de coordination a restitué un ensemble de fichiers de données brutes ou résumées, de même qu'un diaporama prêt à être diffusé. Au préalable, une séance de travail centrée sur la restitution de l'information a été organisée afin d'aider les participants à interpréter les données de l'enquête. Les résultats des hôpitaux individuels ont été transmis confidentiellement aux responsables désignés par chaque hôpital. Les hôpitaux ont été encouragés à ne pas diffuser l'information en dehors de leurs institutions respectives.
Au cours de l'enquête 2002, le formulaire de récolte de données comportait quarante-six variables agencées en fonction du processus naturel de récolte d'information. La durée de récolte d'information a été évaluée à trente minutes par patient inclus en moyenne.
La prévalence moyenne de patients infectés au cours de l'enquête de 1996, qui regroupait les patients de quatre hôpitaux universitaires, fut de 11,6%, variant entre 9,8 et 13,5% d'un hôpital à l'autre.8 Les infections les plus fréquentes furent celles des sites chirurgicaux, du tractus urinaire, les pneumonies et les bactériémies. L'analyse des facteurs de risque d'infection a permis de mettre en évidence l'importance de facteurs extrinsèques au patient tels que la présence d'un cathéter veineux central, le séjour en réanimation ou l'admission dans des conditions d'urgence. Par ailleurs, des paramètres intrinsèques, en particulier le degré de dépendance et la sévérité de la condition de base ayant entraîné l'admission du patient, ont constitué des facteurs prédisposants permettant d'évaluer la mixité des cas.
Au cours de l'enquête conduite en 1999, le taux de prévalence de patients infectés fut de 10,1% variant entre 2,4 et 13,3%.9 Les taux d'infections bruts étaient plus faibles dans les hôpitaux de petite que dans ceux de grande taille, le plus souvent à vocation universitaire. Cependant, cette différence n'était pas statistiquement significative après ajustement pour la mixité de population (fig. 3). En 2002, le taux moyen d'infection fut de 8,1 pour 100 patients hospitalisés.
La participation des hôpitaux au réseau SNIP (Swiss National Infection Prevalence studies) est avantageuse à plus d'un titre. Ainsi, les institutions qui n'ont pas d'experts du domaine ou disposent d'infirmier(ère)s spécialistes dont l'entraînement est insuffisant pour mener à bien et interpréter les résultats de telles investigations, peuvent participer à ces enquêtes et disposer ensuite de résultats valides, fiables, et comparables au plan national. Pour un hôpital de 250 lits, l'investissement correspond actuellement à une semaine de travail pour deux enquêteurs. La participation à ces enquêtes et aux séances de préparation entraînent un transfert de connaissances acquises auprès de collègues, ainsi que d'experts qui ne sont habituellement à disposition que des centres universitaires bien dotés. De nombreux réseaux de collaboration se développent et sont ensuite activés dans d'autres situations.
Les résultats bruts obtenus fournissent non seulement une image institutionnelle globale de la fréquence, de la nature, et de l'aspect microbiologique des infections, mais également des notions d'exposition aux principaux facteurs de risque, tels que gestes chirurgicaux, équipements médicaux ou antibiotiques. Les résultats sont présentés de manière stratifiée, permettant le positionnement de l'institution par rapport aux autres hôpitaux au plan national (fig. 4a et 4b). Ces tableaux illustrent l'indice de risque infectieux et son intervalle de confiance par secteur d'hospitalisation pour deux hôpitaux (A ou B). Ainsi, l'hôpital A montre un indice de risque plus élevé en réanimation et une tendance vers le haut dans les autres secteurs (fig. 4 a) ; au contraire, l'hôpital B montre un indice plus faible en chirurgie et en réanimation (fig. 4 b). L'ajustement pour la mixité de population est ici réalisé par une simple stratification par rapport aux autres hôpitaux de même taille. Un ajustement doit cependant être réalisé en fonction de la mixité des cas (fig. 3) afin de rendre possible la comparaison des taux d'infections.
Après avoir pris connaissance des résultats, les hôpitaux peuvent individuellement décider de conduire des investigations complémentaires ou des interventions de prévention si nécessaire. Le retour de l'information aux responsables de l'institution concernée permet de sensibiliser les soignants aux problèmes des infections nosocomiales. Les données sont très utiles aux diverses activités d'enseignement des groupes de prévention. Par ailleurs, la documentation comprenant les caractéristiques des patients de l'institution s'est avérée utile à la mise en place d'initiatives. Les bénéfices additionnels pour les unités de soins sont liés à la visite des observateurs sur le terrain au cours de l'enquête, ainsi que lors des séances de restitution.
A terme, il est indispensable que chaque institution de soins dispose des moyens de quantifier le risque, ou tout au moins la fréquence, des infections nosocomiales, ainsi que de corriger l'estimation de ce risque par rapport à la mixité des cas admis dans les institutions respectives. En effet, la comparaison des résultats entre hôpitaux, phénomène bien connu aux Etats-Unis par exemple «benchmarking», est en passe de devenir réelle.
De nombreux pays européens ont organisé un système de surveillance national des infections nosocomiales avec pour objectif de réaliser un standard établi. L'action peut être instrumentée au niveau national, par l'implantation de recommandations, l'allocation de ressources ou la planification d'un système contrôlé. La connaissance au niveau du grand public du problème des infections nosocomiales prépare le terrain pour que les efforts de prévention réalisés soient compris. Afin que les initiatives nationales soient utiles et que l'objectif principal, qui demeure de prévenir et de réduire le taux des infections nosocomiales, soit conservé, il est primordial que l'analyse des données soit faite de manière agrégée et que les hôpitaux individuels demeurent propriétaires de leurs propres résultats. Ceci apparaît extrêmement important, en particulier dans les cas où des intérêts commerciaux pourraient être reconnus par les hôpitaux qui afficheraient des taux d'infections nosocomiales plus bas que d'autres hôpitaux concurrents.
De nombreuses questions demeurent ouvertes par rapport au domaine de la surveillance des infections nosocomiales. En particulier, les domaines de recherche de l'analyse des données agrégées sont vastes, difficiles, et méritent des investigations complémentaires, avant que les données puissent être réellement comparées. Les questions principales demeurent l'ajustement des résultats obtenus pour la mixité des cas, l'évaluation de l'impact sur la morbidité, la mortalité et les coûts des infections nosocomiales, la proportion d'infections nosocomiales réellement compressible par les mesures de prévention, l'uniformité et la validité des définitions des infections nosocomiales et des paramètres d'ajustement ou des facteurs de risque, la méthodologie la plus appropriée ou la plus avantageuse au plan du rapport coût/efficacité, ainsi que le développement d'indicateurs les plus universels possible de la mixité des cas. Par ailleurs, les problèmes liés aux pouvoirs statistiques des enquêtes, en particulier considérant les données agrégées au niveau des hôpitaux de plus petite taille, demandent une attention particulière.
En Suisse, les activités de surveillance des infections nosocomiales ont été conduites le plus souvent au niveau d'hôpitaux individuels ou de quelques hôpitaux seulement. En ce début du troisième millénaire, à la suite des trois premières enquêtes nationales de prévalence des infections nosocomiales, et sous l'égide du groupe Swiss-NOSO, l'étape suivante dans laquelle la plupart des hôpitaux sont engagés est de prévoir la réalisation d'une enquête nationale annuelle de prévalence des infections nosocomiales en utilisant la méthodologie actuellement bien établie. A terme, il sera possible d'avoir ainsi des estimations nationales régulières et ajustées en fonction de la mixité de la population, seule garantie de la qualité de l'information et de sa valeur afin de pouvoir décider d'interventions utiles ou nécessaires.
D'autres formes de surveillance des infections sont conduites au niveau des hôpitaux universitaires en particulier ou de réseaux d'hôpitaux. L'extension de certaines de ces activités par l'intermédiaire du groupe Swiss-NOSO aux hôpitaux suisses est en voie de réalisation.
* Les membres du groupe Swiss-NOSO :
Enos Bernasconi, Lugano ; Patrick Francioli, Lausanne ; Kathrin Mühlemann, Berne ; Didier Pittet, Genève ; Christian Ruef, Zurich ; Pierre-Alain Raeber, Berne ; Hugo Sax, Genève ; Hans Siegriest, La Chaux-de-Fonds ; Nicolas Troillet, Sion ; Andreas Widmer, Bâle.