Le secret professionnel est manifestement le fondement même de la relation entre un professionnel de la santé et son patient.Dans la mesure où se posent régulièrement des problèmes dans son maniement, il paraissait utile de consacrer quelques lignes à ce sujet, de rappeler certains principes et d'exposer la procédure suivie par l'autorité genevoise de surveillance pour sa levée.Qu'est-ce que le secret professionnel et par qui peut-il être violé ?L'article 321, chiffre 1, du Code pénal suisse (CPS), relatif au secret professionnel, prévoit que les médecins, les dentistes, les pharmaciens, les sages-femmes, ainsi que leurs auxiliaires seront, sur plainte, punis de l'emprisonnement ou de l'amende pour le cas où ils révèlent un secret qui leur a été confié en vertu de leur profession.La loi genevoise sur l'exercice des professions de la santé, les établissements médicaux et diverses entreprises du domaine médical (ci-après : loi K 3 05), entrée en vigueur le 1er septembre 2001, élargit le cercle des personnes visées, puisqu'à son article 11, il est prévu que toutes les personnes inscrites dans les registres des professions de la santé et leurs auxiliaires sont tenus au secret professionnel.Par auxiliaire, il faut entendre toute personne collaborant à titre professionnel avec une personne tenue au secret et qui se trouve par cette activité habituellement en mesure de prendre connaissance de faits confidentiels.Quant aux professionnels de la santé, la loi genevoise en désigne dix-sept catégories comprenant notamment, outre ceux visés par l'article 321 CPS précité, les chiropraticiens, les infirmier(ère)s, les ambulancier(ère)s, les assistant(e)s de médecins, les diététicien(ne)s, les ergothérapeutes, les logopédistes, les ostéopathes, les psychologues, les psychomotriciens... (article 3 de la loi K 3 05).Il convient encore de signaler que depuis le 1er septembre 2001, les personnes exerçant des pratiques complémentaires sont également astreintes au secret professionnel.Selon l'article 4 de la loi genevoise concernant les rapports entre membres des professions de la santé et patients (loi K 1 80), les obligations découlant de l'article 321 CPS précité sont instituées dans l'intérêt exclusif du patient. Elles ne lui sont pas opposables.Il ressort des travaux du Grand Conseil que la loi K 1 80 a été essentiellement adoptée pour renforcer la protection du patient face au médecin (Mémorial des séances du Grand Conseil 1983, pages 832 et suivantes) et que le secret médical s'étend à tout ce que le médecin apprend dans l'exercice de sa profession et de sa relation thérapeutique.Au vu de ce qui précède, il ressort que si la loi décrit les personnes visées par le secret professionnel, elle ne définit pas cette notion. Le Tribunal administratif genevois, appelé à se prononcer sur cette question, a toutefois récemment retenu qu'il fallait admettre que «le secret consiste dans la possession exclusive de la connaissance de certains faits jointe à la volonté du détenteur du secret d'en rester seul possesseur». Il a également constaté que le secret pouvait se définir «comme une chose qui n'est pas de notoriété publique et qu'il y a intérêt à ne pas divulguer. Le secret est donc en principe la possession exclusive voire avec un nombre limité de personnes de connaissances acquises dans l'exercice de la fonction ou de la profession». (ATA du 11 juin 2002 H c/département de l'action sociale et de la santé).L'article 321 chiffre 1 in fine CPS prévoit que le secret est absolu et que sa révélation demeure punissable alors même que le détenteur du secret n'exerce plus sa profession.Il a également été admis par le Tribunal fédéral que le secret persiste après le décès du patient.Cas dans lesquels la révélation n'est pas punissableL'article 321 chiffre 2 CPS prévoit que la révélation d'un secret professionnel n'est pas punissable dans deux cas.Le premier d'entre eux est le consentement du patient. Il convient donc que le professionnel de la santé s'adresse préalablement à celui-ci s'il souhaite être délié de son secret.Il peut toutefois exister des cas dans lesquels cet accord ne peut pas être obtenu, à savoir lorsque le patient est incapable de discernement, est décédé ou refuse la levée du secret.Dans de tels cas, l'article 321 chiffre 2 précité prévoit que la révélation ne sera pas punissable si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit.Pour le surplus, il existe des cas dans lesquels le devoir de témoigner ou de déclarer peut être plus contraignant que l'obligation d'observer le secret professionnel. On pense notamment à l'article 27 de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme, à l'article 14 de la loi sur la circulation routière et à l'article 15 de la loi sur les stupéfiants.Il faut également mentionner l'article 358ter CPS qui prévoit que les personnes astreintes au secret professionnel peuvent aviser l'autorité tutélaire des infractions commises à l'encontre de mineurs, lorsqu'il y va de l'intérêt de ceux-ci.Enfin, et même si cette situation ne se présentera que très rarement, l'application de l'article 34 CPS, relatif à l'état de nécessité, pourra justifier, dans des cas d'extrême urgence, ou rendre non punissable, la révélation d'un secret professionnel.Autorisation de l'autorité de surveillanceComme indiqué ci-dessus, le professionnel de la santé concerné, et ce à l'exclusion de toute autre personne, peut saisir l'autorité de surveillance désignée par la loi pour la levée de son secret professionnel.La famille du patient, un proche, un avocat ou même un magistrat ne peut donc pas effectuer cette démarche à la place du professionnel de la santé.Conformément à l'article 105, alinéa 7, de la loi K 3 05, la commission de surveillance des professions de la santé est, à Genève, l'autorité de surveillance mentionnée à l'article 321 chiffre 2 CPS s'agissant de tous les professionnels de la santé exerçant dans le secteur privé.En revanche, pour les professionnels de la santé exerçant dans le secteur public, c'est la commission de surveillance des activités médicales qui est compétente en vertu de l'article 17 C, alinéa 6, de la loi sur les établissements publics médicaux (loi K 2 05).Types de cas soumis aux commissions de surveillanceDe très nombreux cas de figure peuvent être à l'origine d'une requête en levée du secret professionnel. On peut toutefois retenir les cas suivants à titre exemplatif :a. Le Tribunal tutélaire est saisi d'une demande de mesures tutélaires sur laquelle il ne pourra statuer qu'après avoir entendu, notamment, les professionnels de la santé en charge du patient concerné ou après avoir obtenu de leur part un certificat médical ;b. une famille souhaite obtenir des informations sur les causes d'hospitalisation d'un proche ou sur les circonstances de son décès ;c. un questionnaire comportant des questions médicales est adressé à un médecin par une assurance-vie suite au décès de l'assuré ;d. un professionnel de la santé est appelé à témoigner en justice dans le cadre de la succession d'un patient et à se prononcer sur la capacité de discernement de ce dernier au moment de la rédaction d'un testament ;e. un professionnel de la santé doit être entendu dans le cadre d'une enquête de police sur les soins prodigués à l'un de ses patients.Force est de constater que des cas complexes portant notamment sur l'étendue du secret professionnel peuvent être soumis à la réflexion des commissions de surveillance.C'est ainsi par exemple que l'une des commissions a été saisie, il y a quelques années, d'une requête en levée du secret professionnel de la part d'un psychiatre qui souhaitait obtenir l'autorisation de procéder au recouvrement de sa créance d'honoraires, et ce après que le Tribunal de première instance de Genève (TPI), sur mesures provisionnelles urgentes présentées par le patient, lui ait fait interdiction de faire état à des tiers, autorités de poursuite et judiciaire comprises, de la relation thérapeutique.Pour motiver sa décision, le TPI a relevé que, selon la doctrine, la faculté pour le médecin ou l'avocat de faire valoir une créance d'honoraires était controversée, dans la mesure où elle impliquait la révélation de la relation et qu'une pesée des intérêts s'imposait en tout état.Pour sa part, le TPI soulignait qu'il ne saurait être possible, par principe, de priver les personnes tenues au secret professionnel de la faculté d'utiliser les moyens légaux afin d'obtenir ce qui leur est dû. Toutefois, le TPI estimait que la nature de la relation thérapeutique existant entre un médecin-psychiatre et son patient justifiait une certaine retenue «compte tenu de l'opinion, encore fort répandue dans le public, que celui qui consulte un médecin de cette spécialité est en proie à des troubles psychiques».Dès lors, le médecin a été invité à s'adresser à la commission de surveillance afin que celle-ci «procède à la pesée des intérêts exigée par les circonstances» (ordonnance du TPI du 16 novembre 1993).A noter que la levée du secret professionnel, limitée à l'existence de la créance litigieuse, a finalement été prononcée, la commission de surveillance estimant qu'il n'existait aucun élément objectif dans le cas d'espèce permettant de penser que la réputation du patient et son honneur puissent être atteints avec la limitation précitée.Procédure suivie par les commissions de surveillanceChacune des commissions de surveillance comporte en son sein une délégation de trois membres chargés de statuer sur les requêtes écrites en levée du secret professionnel. En cas d'extrême urgence, le pouvoir décisionnel appartient au Président de la commission de surveillance ou au vice-président.A ce sujet, le Tribunal fédéral a observé que la levée du secret professionnel porte atteinte à la sphère privée du patient et à tous ses droits strictement personnels. Il a dès lors admis que la décision rendue par l'autorité de surveillance affecte sa situation juridique, raison pour laquelle la qualité de partie doit lui être reconnue (ATF du 23 décembre 1994 D c/commission de surveillance des professions de la santé).Il en résulte que l'autorité doit respecter le droit d'être entendu du patient, pour que celui-ci puisse s'exprimer et faire valoir ses arguments.Dès lors, lorsque le patient peut être entendu, la délégation procède à son audition orale, ainsi qu'à celle du médecin.Sur cette base et si le patient s'est opposé à la levée du secret ou n'a pas pu être auditionné, la délégation fait une pesée d'intérêts, étant rappelé que le principe est la protection du secret professionnel. La délégation doit donc se demander s'il existe un intérêt privé ou public prépondérant justifiant une dérogation à cette règle.Dans le cas où la requête en levée du secret professionnel concerne une personne décédée, la commission procède également à une telle pesée des intérêts et s'interroge notamment sur la question de savoir si les informations à donner seraient susceptibles de porter atteinte à la mémoire ou à la réputation du défunt.En tout état, la délégation peut décider de ne pas lever ou de ne lever que partiellement un secret professionnel, c'est-à-dire en autorisant, par exemple, uniquement la transmission des éléments qui ne sont pas susceptibles d'entamer la réputation du patient. Elle peut également interdire au professionnel de la santé de transmettre à un tiers un dossier médical.La décision rendue est motivée et peut faire l'objet d'un recours par les deux parties dans un délai de 30 jours auprès du Tribunal administratif genevois.Le patient peut donc s'opposer à une décision de levée du secret professionnel en recourant au Tribunal administratif. Le professionnel de la santé ne sera ainsi autorisé à témoigner que si la décision ne fait pas l'objet d'un recours ou si elle est confirmée par le Tribunal.Il peut également arriver que des décisions de levée du secret médical soient déclarées «exécutoires nonobstant recours», au vu du caractère avéré urgent de la requête. Dans un tel cas, le professionnel de la santé pourra témoigner sans délai à moins que le patient qui s'y oppose n'interjette immédiatement un recours au Tribunal administratif et obtienne l'effet suspensif du recours.ConclusionsIl convient de constater depuis quelques années une augmentation constante des requêtes en levée du secret professionnel dont sont saisies les commissions de surveillance. C'est ainsi qu'en 2002, elles ont été amenées à examiner 67 requêtes.Cette augmentation est vraisemblablement due à une sensibilisation certaine des professionnels de la santé sur cette problématique et à une plus grande prise de conscience de leurs obligations en la matière.Elle augure d'une évolution favorable des mentalités dans le cadre de la relation de confiance qui doit exister entre les professionnels de la santé et les patients.