Combien de temps la question se bornera-t-elle à un simple dilemme technique ? Combien de temps restera-t-elle circonscrite aux sphères savantes et médicales ? Combien de temps devrons-nous attendre avant de voir s'organiser, autour d'elle notamment, le débat démocratique qu'imposent les avancées croisées de la biologie moléculaire et de l'assistance médicale à la procréation ? Nous parlons ici du diagnostic préimplantatoire (DPI) et du diagnostic prénatal (DPN).On sait que la première de ces deux pratiques consiste à effectuer un tri des embryons humains, conçus par fécondation in vitro, en fonction de certaines de leurs caractéristiques génétiques. Des embryons de quelques cellules sont ainsi soumis à un test génétique permettant de dire s'ils sont ou non porteurs des stigmates biologiques d'une affection grave et incurable. Le DPI est proposé à des couples connus pour être exposés au risque de transmission héréditaire de certaines maladies génétiques. En d'autres termes, cette technique impose la mise en uvre des techniques d'assistance médicale à la procréation chez des couples fertiles. Pour autant, elle est généralement présentée comme une simple variante du diagnostic prénatal pratiqué chez la femme enceinte qui permet de réaliser une interruption «thérapeutique» de grossesse dès lors que les analyses génétiques ont montré que l'enfant à naître était porteur de stigmates biologiques de la maladie redoutée.Il y a une dizaine d'années le DPI a, en France, fait l'objet d'une brève controverse publique avant d'être légitimé et encadré par le dispositif législatif des lois de bioéthique de 1994 : «Le diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l'embryon in vitro et il est envisagé par le couple, qui du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique reconnue comme incurable au moment du diagnostic.» L'éthique étant un concept dont la géométrie est décidément bien variable et les points d'équilibre sacrément inconstants, le DPI est autorisé par la loi, mais son usage est strictement encadré au Danemark, en Espagne, en Norvège et en Suède. A l'inverse, il est explicitement interdit en Allemagne, en Autriche, en Irlande et en Suisse. Dans d'autres pays (Belgique, Finlande, Grèce, Italie, Pays-Bas), il est autorisé en l'absence de dispositions législatives spécifiques.On sait qu'en Allemagne Jürgen Habermas estime qu'avec la pratique du transfert nucléaire destiné à la production d'embryons dans le cadre du clonage dit «thérapeutique», il ouvre pleinement la voie à l'instauration d'une nouvelle forme, «libérale», d'eugénisme. «Déjà aujourd'hui, en ce qui concerne le diagnostic préimplantatoire, il est bien difficile de respecter la ligne de démarcation entre la sélection des facteurs héréditaires indésirables et l'optimisation de facteurs désirables, écrit le célèbre philosophe de Francfort dans "L'Avenir de la nature humaine, vers un eugénisme libéral ?" (Editions Gallimard). La limite conceptuelle entre la prévention de la naissance d'un enfant gravement malade et l'amélioration d'un bien héréditaire, et donc une décision eugénique, n'est plus discriminante.»Sans répondre directement aux craintes et aux prophéties d'Habermas, certains promoteurs de la technique font observer que le DPI est aussi une méthode qui offre un notable avantage aux couples concernés par le risque familial de transmission d'une maladie grave dans la mesure où il permet de prévenir une, voire plusieurs interruptions médicales de grossesse. Est-ce si simple ?«Si le DPN est une redoutable épreuve, le DPI en est une plus sérieuse encore. Après fécondation in vitro, une ou deux cellules sont prélevées au 3e jour pour tenter d'identifier très rapidement les embryons atteints. Seulement ceux qui sont indemnes seront transférés. Il n'est pas possible de congeler les embryons non transférés, car le prélèvement les a fragilisés. Ce qui implique de recommencer un cycle de DPI à chaque tentative de FIV. Plusieurs problèmes se posent. La FIV a une efficacité limitée et seulement 20% environ des grossesses aboutissent tandis que les grossesses multiples sont fréquentes. L'innocuité de cette pratique sur les enfants à naître n'est pas encore prouvée et la fiabilité du diagnostic réalisé sur une ou deux cellules n'est pas la même que lors du DPN «soulignait il y a quelques jours le Dr Michèle Faussier dans les colonnes du Quotidien du médecin en rendant compte d'un séminaire Jean-Royer organisé à Bordeaux et auquel participaient notamment les Prs Arnold Munnich et Alain Fischer (Hôpital Necker, Paris). Nous prolongerons la semaine prochaine cette réflexion.(A suivre)