A l'aide de trois infections, la gonorrhée, la syphilis et le VIH, le point sur la situation actuelle à Genève est décrit. L'année 2002 fut malheureusement une année de recrudescence pour les MST. Si les données recueillies ne rassemblent qu'un petit nombre de cas, et que l'on ne peut pas parler de véritable épidémie, il n'en demeure pas moins que la tendance observée pour les trois maladies étudiées montre une augmentation de cas. Ces données rappellent, si besoin est, que les médecins de premier recours ne doivent pas oublier ces pathologies et que les efforts de prévention doivent être poursuivis.
Depuis le début des années 1990, et jusqu'à tout récemment, l'incidence des maladies sexuellement transmissibles (MST) diminuait dans les pays occidentaux. Nous avons également observé cette tendance à la clinique de dermatologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Parmi les hypothèses expliquant ce phénomène, il y a probablement les nombreuses campagnes de prévention du VIH ainsi que la peur du sida. Depuis peu, de petites épidémies de syphilis, gonorrhée et autres MST ont été rapportées dans de grandes métropoles occidentales.1-8 Les raisons de cette recrudescence sont multiples. Le port du préservatif et la pratique d'une sexualité à moindre risque (safer sex) semblent se relâcher, peut-être en raison d'une banalisation du sida9 ou par lassitude dans la population sexuellement active et chez certaines personnes à haut risque de développer une MST. A l'aide de trois infections, la gonorrhée, la syphilis et le VIH, nous faisons le point sur la situation actuelle à Genève.
Elle se manifeste la plupart du temps par une urétrite aiguë suffisamment invalidante pour que les patients consultent rapidement un médecin. Chez l'homme, les symptômes se développent souvent dans la semaine qui suit le rapport à risque. Chez la femme, les symptômes peuvent être plus frustes et débuter plus tard, habituellement deux semaines après la contamination. Des formes asymptomatiques, rares, existent en particulier chez la femme.10 En Suisse, les infections à Neisseria gonorrhoeae font l'objet d'une déclaration par les laboratoires au médecin cantonal. En raison d'une augmentation apparente du nombre de cas observés au début de l'année 2002, la Direction générale de la santé du canton de Genève a décidé d'affiner la surveillance épidémiologique de cette maladie en envoyant aux médecins traitants un questionnaire complémentaire pour tous les cas de gonorrhée. Le dispositif mis en place avait pour but de préciser l'ampleur de l'augmentation des cas et de décrire la population affectée et les circonstances de ces infections. Le questionnaire, anonyme, comportait des questions d'ordre démographique, facteurs de risque pour les MST, le status sérologique VIH et VHB et des renseignements concernant la prise en charge médicale.
Sur les 141 cas recensés depuis janvier 2000, 38 cas ont été rapportés en 2000, 38 cas en 2001, et 65 cas en 2002. L'augmentation du nombre de cas a débuté dès le mois de janvier 2002 avec un pic en juin (10 cas), puis une baisse du nombre de cas rapporté atteignant le niveau des années précédentes à partir de novembre (fig. 1). Sur ces 65 cas diagnostiqués en 2002, 57 questionnaires complémentaires ont été reçus, soit un taux de réponse de 88%. Le rapport homme/ femme est 51/6. L'âge médian était de 36 ans pour les hommes et 30 ans pour les femmes avec des extrêmes à 19 et 59 ans. Les patients étaient de nationalité suisse dans près de la moitié des cas (27/51). Le lieu d'origine des autres patients était : Europe (11), Afrique (5), Amérique (4), Moyen Orient (2) et Asie (1). Le prélèvement était motivé par un écoulement urétral (86% des cas), une dysurie (54%) ou un rapport avec un partenaire infecté (4%). Le lieu présumé de l'infection était la Suisse pour 80% des cas où elle était connue (36/45). 80% des hommes ont rapporté des relations avec des partenaires occasionnels. La majorité des hommes (26/40, 65%) avaient eu des relations hétérosexuelles. Six patients, dont cinq homosexuels masculins, étaient VIH positifs. Une sérologie VHB positive était également connue chez cinq personnes. L'infection était urogénitale chez 50/51 patients, et anale pour un patient. Le diagnostic avait été posé par culture (35/54) ou par PCR (19/54). Une information concernant le traitement était disponible pour 51 patients. Trente-deux patients ont reçu une bithérapie antibiotique couvrant le Neisseria gonorrhoeae et les urétrites non gonococciques (Chlamydia). Dix-neuf patients (37%) n'ont reçu qu'un seul antibiotique. Une information concernant la prise en charge du partenaire était disponible pour quinze patients. La recherche du partenaire comme mesure de prévention n'était jamais mentionnée et le traitement du partenaire l'était à cinq reprises.
Ces données confirment l'augmentation des cas d'infections urogénitales à N. gonorrhoeae dans le canton de Genève en 2002 par rapport aux années précédentes. Cette augmentation concerne essentiellement les hommes ayant des relations hétérosexuelles même si un tiers des hommes infectés l'ont été à la suite de rapports homosexuels. Le relâchement des pratiques de safer sex est la cause la plus probable de l'augmentation des cas et semble concerner l'ensemble des personnes sexuellement actives, quelle que soit leur orientation sexuelle. Le traitement est souvent non optimal, dans le sens qu'il n'y a pas une double association d'antibiotiques, couvrant le gonocoque d'une part, et le Chlamydia d'autre part.
Contrairement à la gonorrhée, les symptômes de la syphilis sont initialement discrets. En effet, le chancre syphilitique étant indolore et parfois méconnu par le patient, celui-ci ne consulte pas au stade primaire de la syphilis. Le diagnostic est souvent posé plusieurs mois après le début de l'infection lors d'une des nombreuses manifestations de la syphilis secondaire. Parfois, c'est lors d'un dépistage de routine (grossesse, par exemple) que celle-ci est mise en évidence.
L'incidence de la syphilis était très basse en Europe de l'Ouest au milieu des années 90 avec par exemple 132 nouveaux cas en Angleterre en 1995. Toutefois, de nombreux rapports récents sont plus alarmants et des éclosions épidémiques ont été décrites depuis 1999 en Angleterre, Suède, France, Hollande et en Norvège.2-8 La plupart de ces petites épidémies concernent des personnes homosexuelles, incluant parfois des hommes porteurs du VIH. Par ailleurs, la plupart des nouvelles infections sont causées par une transmission locale plutôt qu'acquise lors de voyages. En Suisse, les données de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) montrent une diminution régulière du nombre de cas de syphilis depuis 1987. Toutefois, la déclaration obligatoire de cette maladie a été interrompue en 1999 et il n'y a plus de données nationales fiables depuis cette date.
A la Clinique de dermatologie de Genève, un recensement de cas est effectué depuis une trentaine d'années. Les dossiers des patients avec une sérologie syphilitique positive (VDRL, FTA et TPHA) ont été analysés. Les anciennes syphilis traitées et les faux positifs ont été exclus et seules les syphilis I, II et latentes non traitées ont été analysées. Au cours des treize dernières années, 243 cas ont été répertoriés. Leur répartition est illustrée sur la figure 2. La représentation graphique montre qu'une diminution des cas de syphilis est perceptible jusqu'en 1996, mais que cette tendance s'inverse à partir de 1999. Ce graphique confirme les observations des médecins de la Clinique de dermatologie de Genève.
Cette évolution est parallèle à celle d'autres pays européens avec une diminution importante des cas de syphilis jusqu'en 1998 puis une augmentation ces quatre dernières années.
La découverte d'une infection VIH est faite dans plusieurs circonstances. Par exemple, chez une personne qui consulte quelques semaines après une exposition potentielle (rapport sexuel non protégé, échange de seringue) et qui développe de la fièvre, une asthénie, une pharyngite et des polyadénopathies évoquant une infection VIH aiguë. Une éruption maculo-érythémateuse est également fréquente, associée parfois avec des aphtes buccaux et/ou génitaux. Dans d'autres cas, l'infection est diagnostiquée après plusieurs années lors d'un test de dépistage ou à l'occasion d'une infection opportuniste.
En 2002, ONUSIDA11 rapportait 42 millions de personnes infectées par le VIH dans le monde. Par rapport à 2001, et compte tenu des décès, cela correspond à 5 millions de nouveaux cas. Les continents les plus touchés sont l'Afrique (29,4 millions) et l'Asie, en particulier l'Inde. En Occident, l'augmentation des comportements à risque depuis quatre ans est reflétée dans les grandes villes par de petites épidémies de MST bactériennes (gonocoques et syphilis).12,13 Toutefois, son impact sur une augmentation de nouveaux cas VIH n'est pas encore démontré.
En Europe, les données compilées par le Centre européen pour la surveillance épidémiologique du sida distinguent trois zones géographiques.14 En Europe de l'Ouest (qui inclut la Suisse), on observe une augmentation des nouveaux cas chez les populations migrantes, en particulier d'Afrique sub-saharienne. La zone centrale (Pologne, Hongrie, Roumanie...) se distingue par une certaine stabilité des cas déclarés. En Europe de l'Est, le nombre de nouveaux cas déclarés augmente de manière spectaculaire. Des pays comme la fédération de Russie, la Moldavie, la Lettonie, l'Ukraine, connaissent un des plus forts taux d'incidence des nouvelles infections dans le monde.15
En Suisse, les statistiques de l'Office fédéral de la santé publique laissent présager une augmentation des dépistages VIH positifs de l'ordre de 10 à 20% en 2002 par rapport à 2001. Les statistiques sont établies grâce aux déclarations obligatoires faites par les médecins ainsi qu'aux déclarations des laboratoires. En 2002, les cantons de Vaud et Genève sont les plus touchés et dépassent le canton de Zurich. Cette tendance qui se manifestait déjà en 2001 (fig. 3) semble se confirmer. Les contacts hétérosexuels représentent la majorité des modes de transmission depuis 1997.
A Genève, le laboratoire de sérologie virale des HUG a comptabilisé 107 nouvelles infections VIH en 2001 et 127 nouveaux cas en 2002. Cela regroupe des infections récentes mais également des infections anciennes mais qui étaient méconnues par les patients. Les infections acquises récemment sont également en augmentation. Ainsi, le nombre de primo-infections VIH était de 8 en 2001 et de 19 en 2002 (tableau 1). Ces cas surviendraient le plus souvent chez des résidents du canton de sexe masculin, avec un mode de transmission hétérosexuelle.
Le nombre des décès liés au VIH a beaucoup diminué en Suisse grâce aux traitements antiviraux. Le corollaire de cette évolution réjouissante et de la persistance, moins réjouissante, de nouvelles infections est l'augmentation continue du nombre de personnes vivant avec le VIH qui atteint environ 1% de la population du canton de Genève.
L'année 2002 fut malheureusement une année exceptionnelle pour les MST à Genève. Si les données recueillies ne rassemblent qu'un petit nombre de cas, et que l'on ne peut pas parler d'une véritable épidémie de MST, il n'en demeure pas moins que la tendance observée pour les trois maladies étudiées montre une augmentation de cas.
L'analyse des cas de gonorrhée confirme que Genève a connu une augmentation des cas en 2002. Les données démographiques suggèrent que le relâchement de pratiques sexuelles à moindre risque (safer sex) concerne l'ensemble des personnes sexuellement actives, quelle que soit leur orientation sexuelle. Parmi le tiers d'hommes infectés à la suite de rapports homosexuels, six personnes étaient porteuses d'une infection VIH. La présence de ces patients illustre l'existence de pratiques sexuelles à risque qu'il conviendrait de discuter plus systématiquement lors de la consultation au cabinet. Ces données montrent également que le traitement ne semble pas toujours être optimal : il n'y a souvent pas de double association d'antibiotiques couvrant le gonocoque d'une part et le Chlamydia d'autre part alors que la co-infection est fréquente en cas de gonorrhée.
L'augmentation des cas de syphilis semble se confirmer ces dernières années. Cette infection peut être difficile à reconnaître. Les anciens l'avaient surnommée «la grande simulatrice». Il est donc bon que les médecins de premier recours ne l'oublient pas. Au moindre doute, les sérologies syphilitiques s'imposent.
Si elle se confirme, l'augmentation des infections VIH aiguës est particulièrement préoccupante. Elle nous rappelle que les efforts de prévention doivent être poursuivis. Cette prévention doit être d'autant plus convaincante que l'on a à prendre en charge des patients atteints de MST et doit également s'étendre à leurs partenaires.