Avril 2003 ; mois des célébrations des cinquantenaires et de l'émergence d'une nouvelle affection le SRAS pour «syndrome respiratoire aigu sévère» dont on peine à saisir l'importance et la menace. Pour la biologie et la médecine, c'est l'heure de la double hélice de l'ADN, du réductionnisme critiqué et des impasses pressenties. S'affoler ? Pourquoi donc ? Six chefs d'Etat et de gouvernement viennent de rendre publique une déclaration conjointe sur l'achèvement du projet de séquençage du génome humain. Voici le texte historique de cette déclaration :«Nous chefs d'Etat et de gouvernement de l'Allemagne, de la Chine, des Etats-Unis d'Amérique, de la France, du Japon et du Royaume-Uni, sommes fiers d'annoncer que des chercheurs de nos six pays ont achevé l'essentiel du séquençage de trois milliards de paires de base d'ADN du génome humain, le livre d'instructions moléculaires de la vie humaine. Des progrès extraordinaires ont été accomplis dans les sciences et technologies génétiques au cours des cinq décennies qui ont suivi la découverte historique de la structure à double hélice de l'ADN en avril 1953. Il est remarquable que, précisément en ce mois et cette année du 50e anniversaire de cette importante découverte de Watson et Crick, le Consortium international du projet de séquençage du génome humain ait achevé le décodage de tous les chapitres du livre d'instructions de la vie humaine. Ce savoir est maintenant accessible au monde entier, librement et sans aucune restriction, par le biais de banques de données sur Internet.Ce séquençage génétique constitue un apport fondamental à la connaissance de l'espèce humaine. Cela permettra des avancées révolutionnaires dans les sciences biomédicales et dans le bien-être de l'humanité. Nous accomplissons ainsi un progrès important pour la santé de tous les peuples de la planète, dont le génome humain constitue le patrimoine commun. Nous félicitons tous ceux qui ont participé à ce projet pour leur créativité et leur dévouement. Leurs remarquables travaux figureront dans l'histoire des sciences et des technologies, ainsi que dans l'histoire de l'humanité, comme un exploit historique. Nous invitons le monde entier à célébrer cet exploit scientifique qu'est l'achèvement du Projet Génome Humain et engageons les milieux scientifiques et médicaux à tirer maintenant parti de ces nouvelles découvertes pour alléger les souffrances humaines.»Parallèlement à cette déclaration planétaire, le Consortium international pour le séquençage du génome humain a déclaré que sa tâche était achevée lors d'une cérémonie organisée à Washington. «Je n'aurais jamais rêvé en 1953 que ma vie de chercheur me ferait parcourir le chemin allant de la double hélice de l'ADN aux trois milliards de marches du génome humain, s'est félicité James D. Watson, co-découvreur, avec le Britannique Francis Crick, de la structure en double hélice de l'ADN. Mais lorsque l'occasion s'est présentée de séquencer le génome humain, je savais que cela pouvait et devait être fait.»Combien de scientifiques, de biologistes, ont eu cette chance insigne de pouvoir traverser de la sorte un demi-siècle de l'histoire de leur discipline ? Qui dira jamais la perception par ces pionniers toujours vivants du chemin parcouru entre leur publication dans Nature daté du 25 avril 1953 et les informations sur la fin du séquençage de ce même ADN humain ? Et qui dira aussi la frustation de ces hommes qui nous quitteront sans pouvoir vivre la suite de cette aventure ?François Jacob, un autre pionnier du nouveau décryptage du vivant, interrogé par Le Monde sur le fait de savoir s'il se souvenait avec précision de ce qu'il faisait le 25 avril 1953, jour de la publication dans Nature de l'article de Crick et Watson : «Je devais très probablement effectuer une expérience sur le bactériophage dans un coin du grenier de l'Institut Pasteur. A dire vrai, dans notre département, la note publiée dans Nature ne nous a pas fait bondir au plafond. Je n'en ai saisi la portée que quinze jours plus tard, lors de la réunion de Cold Spring Harbor, le grand colloque annuel de biologie sur les virus, auquel Max Delbrück avait invité Jim Watson pour présenter son modèle. Ce dernier l'a fait dans son style inimitable, c'est-à-dire avec la chemise pendante et sa diction si particulière. Toute l'assistance 400 à 500 personnes a immédiatement saisi qu'il se passait quelque chose d'essentiel dans le monde de la biologie.»Autre question du Monde au Prix Nobel de médecine : «Y a-t-il, selon vous, d'autres recherches importantes à mener en biologie ?» Réponse : «Oui, dans le domaine du cerveau, des neurosciences et de la biologie de la conscience. Si j'avais vingt ans, c'est vers de telles recherches que je m'orienterais. Mais il est trop tard, pour moi.»