Edito: La thérapeutique : sa complexité, ses incertitudes et ses accidents
Jean-Michel Gaspoz
Rev Med Suisse
2003; volume -1.
22967
Résumé
La thérapeutique a de multiples facettes. C'est tout d'abord celle des traitements que nous avons appris lors de nos études de médecine et que nos formations post-graduée et continue consolident. Nous aimons les schémas simples, clairs et faciles à suivre. Deux articles de ce numéro concernant la prise en charge en ambulatoire d'une hyponatrémie et d'une embolie pulmonaire représentent cet aspect ; leur lecture vous montrera que la facilité et la simplicité ne sont qu'apparentes.Comme la nature, la thérapeutique est en effet complexe et de nombreux paramètres sont à prendre en compte, simultanément ou séquentiellement. Lequel d'entre nous a présent à l'esprit toutes les interactions médicamenteuses d'une nouvelle prescription ? La maîtrise de la quantité d'informations nécessaires à la prise en charge de patients complexes impose quasiment le recours à des outils informatisés. Un article de ce numéro démontre comment les ordinateurs de poche sont en passe de transformer nos thérapeutiques ambulatoires et hospitalières, en permettant un accès presque instantané, sous format ultra-portable, à une quantité impressionnante d'informations précieuses.Il peut exister des situations où l'environnement dans lequel se trouve le malade, de même que son contexte social et culturel, menacent l'impartialité et l'indépendance intellectuelle et thérapeutique du médecin : un article sur la médecine en milieu carcéral fera état de ces défis. La nature est également imprévisible et ne se réduit pas toujours à nos schémas. Il existe des réalités non mathématiques et irrationnelles : le malade et nous aussi. Quelle thérapeutique appliquer lorsque les symptômes eux-mêmes sont médicalement inexpliqués ? Un article rédigé par une équipe multidisciplinaire nous donnera quelques pistes.Enfin, il y a les dangers de la thérapeutique et ce que nous avons peine à accepter, ses accidents, que nous appelons, pudiquement, «les incidents». Ne sommes-nous pas, nous médecins, des universitaires compétents, voire brillants ? Comment avons-nous pu oublier une interaction médicamenteuse, pratiquer un geste malheureux ou laisser nos processus de soins «gripper» ? Le remède aux accidents de la thérapeutique est ailleurs que dans ce type d'analyse. Il est dans le recul, l'humilité et l'acceptation d'une évidence : oublier un détail, celui qui, précisément, va tout faire chavirer, a peu à faire avec une brillante intelligence. Systèmes complexes, nos organisations de soins et nous, leurs acteurs, sommes sujets à des erreurs, parfois apparemment insignifiantes, qui, par un enchaînement ou une amplification tragiques, conduisent à l'incident. L'Institute of Medicine avait tiré la sonnette d'alarme en 2000 déjà.1Le remède aux accidents de la thérapeutique passe par une vision systémique de nos fonctionnements et l'acceptation que le bon déroulement des processus de soins implique des contrôles, des check-lists et le suivi de guidelines. C'est insulter nos intelligences, diront certains ! Est-il insultant que le pilote d'un vol transatlantique doive pointer une check-list avant le décollage ? Nous en sommes rassurés et lui en savons gré. Que dire de nos patients ! L'article des Drs Pierre Chopard et Philippe Garnerin, ainsi que du Groupe Incident du Département de médecine interne, décrit, en prenant quelques exemples, les remèdes à ces accidents de la thérapeutique. Comme dans toute réalité médicale, ces remèdes conduisent, logiquement, à la prévention : celle que promeuvent les unités qualité des soins de nos institutions hospitalières ; celle qui, au bout du compte, ne sera efficace que lorsque nous, les cliniciens, l'aurons reprise à notre compte.
Contact auteur(s)
Jean-Michel Gaspoz
Médecin-chef de service adjoint
Clinique de médecine 2
Hôpital cantonal universitaire
Genève