Carlo Urbani est décédé le 29 mars dans un hôpital de Bangkok, victime du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Comme d'autres soignants, ce médecin italien de 46 ans, marié et père de trois enfants âgés de 2, 8 et 17 ans, a payé de sa vie les soins qu'il a prodigués aux victimes de la nouvelle épidémie. Aux toutes premières victimes.Le 26 février, lorsque l'Hôpital français de Hanoï (Vietnam) reçoit un homme d'affaires souffrant d'une pneumopathie mystérieuse, au retour d'un voyage dans la province chinoise voisine du Guangdong (Canton), les médecins ne tardent pas à appeler Carlo Urbani. Parasitologue, connu pour son talent dans le diagnostic, le médecin est installé avec les siens dans la capitale vietnamienne, où il travaille pour le compte de l'OMS.Au chevet du malade dès le 28 février, Carlo Urbani réalise très tôt qu'il n'a pas affaire à une grippe aviaire virulente, mais à une maladie inconnue, grave et contagieuse. Alors que les cas se multiplient parmi le personnel, c'est lui qui alerte la communauté internationale. Durant deux semaines, il épaule l'équipe durement éprouvée de l'Hôpital français.«Il était là tous les jours, collectait des échantillons, discutait avec le personnel, renforçait les mesures de contrôle de l'infection», se souvient Pascale Brudon, la directrice du bureau régional de l'OMS à Hanoï (BMJ 2003 ; 326 : 825). L'établissement reçoit bientôt le renfort d'infectiologues étrangers. Très éprouvé, Carlo Urbani peut enfin quitter l'hôpital et se rendre à une réunion à Bangkok. Le 11 mars, dans l'avion, il ressent les premiers frissons, les premiers symptômes de la maladie qui va l'emporter.La communauté médicale lui a rendu un hommage ému, comme beaucoup de médias européens. Carlo Urbani n'est pas seulement le «découvreur» de l'épidémie, celui dont les compétences ont permis, en moins d'une semaine, d'identifier la menace et de prendre des mesures de contrôle adéquates. Il a également marqué son entourage par la force de sa vocation.Etudiant déjà, Carlo Urbani voyageait en Afrique et se préoccupait du sort des plus démunis, des malades oubliés. Au début des années 1990, en poste à l'Hôpital Macerata d'Ancone, il organise une mission en Mauritanie pour recueillir des données sur une maladie parasitaire, la schistosomiase intestinale, dans le but d'aider les autorités nationales à la contrôler.A partir de 1993, l'OMS lui confie plusieurs missions d'étude de parasitoses. En 1995, il se rend au Cambodge avec la section suisse de Médecins sans frontières. Il lance un programme de lutte contre des parasites, comme Schistosoma mekongi ou des trématodes alimentaires. En 1999, devenu président de la section italienne de Médecins sans frontières, il fait partie de la délégation qui reçoit le Prix Nobel de la Paix au nom de l'organisation.Révolte, urgence : deux constantes dans la vie du médecin. Du Cambodge, il écrit que les volontaires sont des témoins privilégiés de la dignité bafouée des plus pauvres. Qu'ils peuvent «dire, hurler, les privations des déshérités, l'isolement des exclus.» Quelques jours avant qu'il ne tombe malade, sa femme Giuliana s'inquiétait au téléphone des risques qu'il courait au contact de l'épidémie de SRAS. «Si je ne suis même pas capable de travailler dans ces circonstances, pourquoi suis-je ici ? Pour répondre à des e-mails, pour aller à des cocktails et brasser du papier ?» lui confiait-il.Dans La Republica du 31 mars, Giuliana a évoqué son mari, cette vocation brûlante qu'elle souhaite perpétuer. Le quotidien cite une lettre du médecin, datée de juin 2000 : «J'ai fait de mes rêves ma vie et mon métier. Des années de sacrifices me permettent de vivre aujourd'hui près de ces problèmes qui m'ont toujours intéressé (...), qui aujourd'hui sont devenus les miens (...). J'élèverai mes enfants dans la conscience de ces problèmes, avec l'espoir qu'ils deviennent sensibles aux vastes horizons qui les entourent.»Carlo Urbani donnera sans doute son nom au virus du SRAS. Dans les articles publiés le 10 avril par le New England Journal of Medicine, les scientifiques des onze institutions réunies par l'OMS pour étudier l'agent pathogène proposent de le nommer «Coronavirus Urbani associé au SRAS». Et le 16 avril, lorsque l'OMS annonce que la culpabilité de ce virus est désormais démontrée, la communauté scientifique dédie à nouveau ses travaux au médecin italien.