Face à quoi sommes-nous donc confrontés ? A la «première épidémie globale du XXIe siècle» comme le titre, ce vendredi 25 avril 2003, le quotidien britannique The Independant ? A un phénomène qui pourrait prendre la dimension d'un «Tchernobyl chinois» comme le pense ce formidable et insupportable hebdomadaire également britannique qu'est The Economist ? Comment savoir ? L'épidémiologie n'est ni la mère ni la fille de la prophétie et on se gardera bien ici de tirer des plans sur la comète des coronavirus. Reste que ce qui pouvait, il y a peu encore, être tenu pour une bouffée épidémique transitoire prend des allures, sinon de pandémie, du moins d'affaire qui n'a plus rien d'anecdotique ; et ce même si les taux de mortalité et le caractère relativement circonscrit du phénomène à la Chine, à Hongkong et au Canada permettent d'espérer que nous ne sommes pas face à la résurgence du spectre de la grippe espagnole.
Beaucoup, déjà, a été dit et écrit sur le syndrome respiratoire aigu sévère ou SRAS, dénomination qui supplante progressivement les formulations initiales de pneumonie avec sa variante pneumopathie atypique. La sphère pulmonaire et l'arbre bronchique ont cédé la place à la rigueur du syndrome et à l'ambiguïté d'une «sévérité» qui n'est pas, loin s'en faut, toujours la règle. SRAS, donc, qui, parions-le, deviendra bientôt Sras avant de passer sras comme on le vit (vingt ans déjà, mon Dieu !) avec le sida.
C'est ainsi : la peur impose le sigle majusculé avant que les minuscules ne témoignent de l'acceptation de nos impuissances. Osons parler clair : qui s'émeut véritablement des ravages chroniques du paludisme dont l'OMS célèbre demain la journée annuelle ? A l'heure post-pascale où ces lignes sont pianotées sur notre Toshiba, on pressent un tournant dans la dynamique épidémique. Si une trentaine de pays sont officiellement concernés par l'épidémie sur les tablettes de l'OMS, le mal progresse pour l'essentiel dans des foyers qui semblent assez bien identifiés. Jusqu'à quand ? Pour Le Monde, nous avons posé la question à Jean-Claude Manuguerra, virologiste à l'Institut Pasteur de Paris qui faisait partie de l'équipe médicale qui, après l'alerte lancée par l'Organisation mondiale de la santé, est allée à l'Hôpital français de Hanoï et dont le laboratoire fait partie du réseau international qui a permis d'identifier le coronavirus jusqu'ici inconnu, à l'origine de l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Pour lui, l'évolution épidémiologique est «inquiétante» dans la mesure où l'on observe une multiplication et un développement rapide des foyers de contamination.
«Même si, en rapport avec la population globale, le nombre absolu des personnes contaminées reste très faible, il est clair qu'en Chine et à Hongkong nous sommes face à une progression notable de l'épidémie et que le taux de mortalité, s'il n'est pas élevé, est nullement négligeable pour une virose respiratoire, explique-t-il. Toute la question est désormais de savoir si cette progression atteindra le niveau qui conduira immanquablement à une dissémination importante vers d'autres pays. L'autre élément hautement inquiétant est l'émergence d'un foyer à distance des localisations asiatiques primitives : au Canada. Il est encore trop tôt, nous ne disposons que de trop peu de données, pour que les statisticiens et les biomathématiciens établissent des modèles prédictifs de l'évolution à moyen terme de cette épidémie.»
Face aux nouvelles données concernant la Chine et le Canada, des mesures sanitaires spécifiques s'imposent-elles ? Convient-il de mettre en quarantaine des fractions importantes des populations à haut risque ? Pour le Dr Manuguerra, il importe de distinguer deux types de situation. «L'isolement est une mesure préventive utile dans les pays qui n'ont qu'un nombre de cas importés très limité et qu'il n'y a pas encore eu de transmission interhumaine. C'est notamment le cas de la France. Mais passé un certain niveau d'infection et de contamination, la mise en quarantaine n'est ni utile ni même envisageable, explique-t-il. La démonstration en a notamment été faite lors de la grippe espagnole au début du siècle dernier.»
Et quid du risque de pandémie ? «Tout dépend de l'évolution en Chine, dit-il. Dans ce pays, les premiers cas sont apparus, on le sait aujourd'hui, à la fin de l'année 2002 et les autorités ont choisi de cacher le phénomène à un moment où, précisément, il aurait été possible de le circonscrire. Désormais, nous sommes dans une phase épidémique ascendante, difficilement maîtrisable et on peut craindre qu'au fur et à mesure de sa dissémination dans la population, le virus du SRAS trouve des moyens d'améliorer son mode de transmission, donnant un caractère de plus en plus contagieux à la maladie respiratoire.»
Pour ce spécialiste de virologie, l'avenir réside pour beaucoup dans la manière dont les organismes des personnes ayant souffert du SRAS auront réagi à l'infection virale. «Si leur système immunitaire a répondu de manière forte et si le virus n'a pas les moyens d'évoluer génétiquement, elles seront protégées face à de possibles vagues épidémiques ultérieures. Si ce n'est pas le cas, on peut effectivement craindre que cette nouvelle maladie infectieuse s'installe sur un mode endémique. Mais le statut immunitaire des personnes qui ont guéri d'un SRAS n'est pas encore bien connu et il est trop tôt pour dire laquelle de ces deux hypothèses est la plus probable.»
Fin de la scène 1 de l'acte I. L'auteur hésite encore sur le genre : tragédie ?