La loi sur l'assurance maladie (LAMal), entrée en vigueur le 1er janvier 1996 est une assurance sociale obligatoire pour tous et recouvre un catalogue de prestations très étendu. Ce constat est tellement vrai qu'à l'heure actuelle, à l'exception des médecins opérateurs exerçant en clinique privée à charge d'une assurance complémentaire, il n'existe pratiquement aucun acte qu'un médecin puisse effectuer sans qu'il ne soit à la charge de l'assurance de base.
L'augmentation des primes relatives à l'assurance maladie de base, régulière et importante depuis 1996, est générée principalement par l'augmentation des coûts globaux des systèmes de santé. Cette augmentation est sensiblement plus élevée dans le domaine ambulatoire des hôpitaux publics (+ 10% en 2001 pour Genève) que dans le secteur ambulatoire privé (+ 3,4% pour la même année à Genève).
En constituant des réserves et provisions, notions imposées par le système mis en place par la LAMal, les assureurs sociaux génèrent une part équivalente à 2% de l'augmentation des primes. On constate, en effet, que l'augmentation de celles-ci est, année près année, de 2% supérieure à l'augmentation des coûts des systèmes de santé.
D'autre part, depuis 1996, l'institution d'une assurance de base obligatoire pour tous a permis de supprimer les réserves faites aux assurés qui désirent changer d'assureur-maladie. Cette possibilité n'est toutefois utilisée que par un nombre restreint d'assurés et, qui plus est, essentiellement des jeunes et des personnes en bonne santé. De surcroît, en quittant son assureur-maladie, l'assuré lui laisse les montants qu'il a accumulés sur sa tête, année après année, obligeant ainsi le nouvel assureur à reconstituer des réserves pour le nouvel arrivant. Ce dérapage a pour conséquence que toute arrivée massive vers un assureur-maladie qui affiche des primes au-dessous de la moyenne, l'oblige, après un an ou deux à augmenter à son tour massivement ses primes.
En 1996 également, la LAMal a instauré la «protection tarifaire». Celle-ci impose à tous les fournisseurs de prestations autorisés à pratiquer à charge de l'assureur-maladie, un tarif dit «social», élaboré soit par convention entre partenaires, soit imposé par les cantons sous forme d'arrêtés du Conseil d'Etat. Cette situation a pour effet d'interdire à tout professionnel de santé autorisé à pratiquer à charge de l'assureur de majorer les tarifs conventionnels ou étatiques et lui interdit également d'appliquer dans le domaine de la santé ses propres tarifs privés basés sur une gestion économique du cabinet. Cette protection tarifaire a également pour effet de considérer que la totalité de la population de ce pays a besoin d'une protection sociale accrue, indépendamment des revenus et de la fortune.
Dans un tel système, l'assuré considère, à juste titre, que son droit d'accès à l'ensemble du système de soins est total ce qu'a voulu la LAMal mais sans que l'on puisse faire des distinctions entre l'utile et le nécessaire et sans responsabilisation aucune de chacun, face à la gestion de son état de santé.
L'assureur, quant à lui, n'a pas réellement en mains toutes les possibilités de vérifier l'adéquation, l'efficacité ainsi que l'économicité du traitement. Il ne s'en donne d'ailleurs pas non plus les moyens de le faire de façon nécessaire. En effet, sachant que les augmentations qu'il demande, année après année, sont toujours acceptées par l'Office fédéral des assurances sociales, il n'a aucun intérêt direct à agir sur les coûts comme il le fait dans le domaine privé où il est en concurrence immédiate avec les autres assureurs de la branche et où l'augmentation des primes est contenue à son niveau le plus bas possible.
Les seules initiatives prises par les assureurs sont d'agir de façon purement linéaire et sous forme de prise de pouvoir en fixant notamment des moyennes par spécialité à ne pas dépasser.
A titre d'exemple, dans le cadre du contrôle de l'économicité des coûts, les assureurs genevois estiment qu'un médecin peut être considéré comme «dispendieux», s'il affiche une moyenne dépassant de 30% celle des autres membres de sa spécialité et s'il réalise un chiffre d'affaires annuel supérieur à Frs 250 000.. Pour toute spécialité confondue, un tel chiffre d'affaires signifie que le revenu réalisé par le médecin se monte à Frs 125 000.. Au-delà, il est averti, voire sanctionné, par l'assureur.
Les médecins, dont la majorité travaille à plus de 95% pour un assureur social en sont venus à considérer, par la perversité de ce système, que toutes les prestations qu'ils fournissent doivent être prises en charge. De fait, ils ont ainsi perdu la notion de la gestion économique de leur «entreprise», ainsi que de la prise de risque et de l'esprit libéral et «entrepreneurial».
Quant au pouvoir politique, sa vision s'arrête au seul constat de l'augmentation des coûts et des primes. Depuis 1996, il n'a cessé de proposer des réformes au coup par coup, satisfaisant tantôt la droite, tantôt la gauche de l'échiquier politique, mais sans réelle vue d'ensemble. Parallèlement, il a pratiquement accepté toutes les propositions visant à inclure dans le catalogue des prestations de nouvelles charges pour les assureurs. Il a ainsi accepté en 1998 la prise en charge des traitements homéopathiques, des thérapies neurales, de l'acupuncture et d'autres médecines considérées comme parallèles ou naturelles. Il estimait qu'en ayant recours à de telles médecines, les assurés renonceraient à la médecine dite traditionnelle. Or, tous les constats montrent que l'assuré essaie volontiers de nouvelles techniques, mais reste attaché à celles considérées comme traditionnelles. Il n'y a donc là aucune diminution des coûts, bien au contraire.
Solutions possibles
Partant du principe que la LAMal est une bonne loi de gestion de notre système de santé, quant à son principe, on peut envisager au niveau de son application les modifications suivantes :
1. Protection tarifaire. Il n'est pas raisonnable de considérer que tous les citoyennes et citoyens de ce pays doivent être considérés comme des assistés et bénéficier ainsi d'une protection tarifaire. Il serait plus juste, indépendamment de la façon dont sont ou seront perçues les primes à l'avenir (primes par tête ou primes en fonction du revenu et de la fortune), d'envisager que les cantons, comme sous le régime ancien de la LAMA, instaurent des barèmes fiscaux permettant d'octroyer une protection tarifaire uniquement à la population qui en a besoin, et en particulier en tenant compte du revenu familial.
2. Notre système de santé a démontré ses qualités et son excellence, tant sur le plan médical que sur celui de la législation. Toutefois, il faut cesser de considérer que toute prestation, quelle qu'elle soit, est automatiquement à charge de l'assurance dite sociale. Partant du principe que les coûts vont continuer d'augmenter, ne serait-ce qu'en raison de l'évolution de la pyramide d'âge, il est important de resserrer, ou à tout le moins de geler le catalogue des prestations et de considérer qu'un certain nombre d'actes, de traitements ou de médicaments peuvent être supportés par chaque assuré qui les payerait de sa poche.
Le catalogue actuel, hormis le cas où une épidémie d'un nouveau genre ferait son apparition, permet de soigner de façon efficace toutes les affections connues en l'état actuel de la science.
3. En agissant ainsi, on redonne au médecin l'obligation de remettre en cause sa pratique et de ne plus considérer qu'automatiquement tout ce qu'il réalise est à charge de l'assureur. Cette situation l'oblige également à informer systématiquement le patient des traitements qui sont proposés, de leur coût et de la possibilité de prise en charge par l'assureur ou non.
4. Ce faisant, on responsabilise également le patient qui peut faire la part des choses en fonction du coût du traitement et de sa prise en charge totale ou partielle par le système d'assurance sociale et qui, de fait, est amené à se préoccuper de son état de santé en amont, notamment par le biais de la prévention.
5. L'assurance sociale de base prenant en charge un catalogue de prestations clairement limité mais donnant accès à tous les assurés peut être géré sans aucun problème par une caisse d'assurance maladie unique sur le plan fédéral. Celle-ci disposerait d'un organe de direction dont les représentants seraient choisis parmi les assurés ainsi que parmi les professionnels de santé, avec la participation des organes de l'Etat. Un tel système de gestion tripartite tel qu'il est pratiqué dans nombre de secteurs de notre pays, par exemple entre syndicat, patronat et Etat, a largement fait ses preuves et pourrait se révéler efficace.
6. Les prestations non couvertes par l'assurance sociale de base seraient prises en charge soit par les patients eux-mêmes, soit par des assureurs-maladie privés agissant en tant que complémentaires.
7. Cette distinction entre caisse publique et caisse privée, catalogue des prestations de base et prestations libres instaurerait un réel système de concurrence beaucoup moins artificiel que celui dont on nous parle actuellement.
Conclusion
En effet, il est vain de penser que la concurrence au sens strict du terme puisse s'opérer de façon efficace dans un système totalement administré et socialisé. Personne ne songerait à introduire des notions de concurrence dans le domaine de l'assurance chômage ou de l'AVS. Il n'est donc pas pertinent de l'envisager dans le domaine de l'assurance-maladie sociale de base.
En revanche, le jour où le patient a une meilleure conscience du prix des prestations qu'il décide de choisir souverainement dans un catalogue qui lui est largement offert, il réfléchira à deux fois et négociera le cas échéant une tarification avec chacun des professionnels de santé concernés. Ces derniers, soumis à des règles transparentes, seront amenés à calculer leur prix en fonction de ce marché et des coûts de fonctionnement qu'ils doivent supporter.