Les neuropathies inflammatoires chroniques représentent un groupe de maladies bien distinct des autres types de polyneuropathie et dont les conséquences sont souvent invalidantes. Le diagnostic se base sur des critères cliniques et paracliniques (ponction lombaire, électrophysiologie), la démonstration électrophysiologique d'une atteinte démyélinisante jouant un rôle essentiel. Une fois la neuropathie caractérisée, il importe de rechercher d'autres pathologies qui peuvent y être associées (par exemple gammapathie, lymphome, vasculite, infection à VIH). Le traitement, souvent de longue haleine, utilise des agents immunosuppresseurs (prednisone, azathioprine) ou immunomodulateurs (immunoglobulines). Si ces pathologies sont relativement rares, elles méritent néanmoins toute l'attention du clinicien par le fait qu'elles sont traitables.
Les neuropathies chroniques inflammatoires (CIDP) peuvent se présenter sous une forme généralisée (polyradiculonévrite chronique, PRNc), focale sensitivo-motrice (syndrome de Lewis-Sumner) ou focale motrice (mononeuropathie multiple à blocs de conduction). Un diagnostic précis est important car il permet de choisir le traitement le plus adapté. Depuis près de 25 ans, de nombreuses publications ont permis de préciser les aspects cliniques, pathophysiologiques, électrophysiologiques, thérapeutiques et pronostiques de ces pathologies.
La PRNc est une affection auto-immune, ce qui explique l'association à des facteurs déclenchants tels que l'immunisation ou l'infection, et également la réponse aux traitements immunosuppresseurs. Sur un plan expérimental, il existe des similitudes entre la neuropathie inflammatoire chronique et la névrite allergique expérimentale,1 et l'on peut produire des blocs de conduction et des lésions démyélinisantes chez le rat par injection de sérum de patients avec une PRNc ou des anticorps antiglycoprotéine P0.2 Il est cependant probable que les lymphocytes T et B et d'autres anticorps encore indéterminés jouent également un rôle dans cette affection.
Selon une étude australienne récente, l'incidence de la PRNc est estimée à 0,15/100 000, ce qui représente environ un dixième de l'incidence du syndrome de Guillain-Barré. La prévalence se situe entre 1 et 1,9/100 000.3,4 Toutes les catégories d'âge sont représentées, de la petite enfance à la population gériatrique, bien que certains auteurs signalent un pic de prévalence vers 80 ans.3 La maladie est légèrement plus fréquente chez les hommes.
Trente pour cent des patients présentent des antécédents infectieux (infection des voies respiratoires, gastro-entérite), de vaccin, de chirurgie ou de traumatisme. La polyradiculonévrite chronique s'installe lentement, et il s'écoule en moyenne onze à vingt-quatre mois5,6 avant le diagnostic. Certains patients présentent un tableau monophasique rémittent semblable à un syndrome de Guillain-Barré avant d'évoluer vers un tableau plus chronique. Les manifestations cliniques de la PRNc sont variables. La plupart des patients présentent des déficits sensitivo-moteurs, mais une minorité présente une symptomatologie essentiellement motrice ou sensitive. Plus de 90% des patients présentent une parésie significative, qui peut être sévère (10% des patients handicapés pour les activités de la vie quotidienne lors de la présentation initiale). Des sensations de fourmillements ou d'engourdissements sont rapportées par les trois quarts des patients. La douleur est un symptôme moins constant (20%). Rarement, on trouve des parésies de nerfs crâniens qui occasionnent, par exemple, une dysarthrie, une dysphagie, une diplopie ou une parésie faciale, mais des symptômes de dysautonomie sont en revanche exceptionnels.
L'examen clinique est typiquement caractérisé par une parésie proximale et distale, symétrique, et une hyporéflexie (aréflexie dans 70% des cas). Sur le plan sensitif, la diminution de la pallesthésie est en général plus marquée que l'atteinte de la sensibilité superficielle.
Des critères diagnostiques ont été établis par l'Académie américaine de neurologie,7 basés sur la clinique, le liquide céphalorachidien et l'électrophysiologie. Sur le plan clinique, le maximum des déficits doit être atteint au plus tôt deux mois après le début des symptômes et l'atteinte motrice doit prédominer sur l'aspect sensitif. L'électrophysiologie doit montrer des signes d'une atteinte démyélinisante, c'est-à-dire un ralentissement des vitesses de conduction, une désynchronisation des potentiels ou des blocs de conduction. Enfin, la ponction lombaire devrait révéler une hyperprotéinorachie importante (> 1 g/l) ce qui indique des troubles de la barrière consécutifs à une radiculopathie inflammatoire. L'imagerie n'est pas nécessaire pour poser le diagnostic, mais l'IRM peut occasionnellement démontrer une hypertrophie des racines nerveuses. La pratique d'une biopsie du nerf sural n'est en règle générale pas nécessaire.
La PRNc peut coexister avec d'autres maladies, comme le lupus érythémateux, une infection VIH, et exceptionnellement une pathologie démyélinisante du système nerveux central. Elle survient également en association avec différentes tumeurs, comme les adénocarcinomes pancréatiques ou recto-sigmoïdes, le cholangiocarcinome, le carcinome hépatocellulaire, le séminome ou le mélanome malin. Il n'est pas nécessaire de rechercher systématiquement ces pathologies, à moins que le contexte clinique n'y engage. L'association avec le diabète sucré pose des questions épineuses sur le plan diagnostique et thérapeutique. La majorité des diabétiques présentent une polyneuropathie axono-myélinique chronique, mais certains peuvent présenter un tableau clinique et électrophysiologique de PRNc susceptible de s'améliorer avec un traitement immunomodulateur.8
A part la pratique d'un examen électrophysiologique et d'une ponction lombaire, il convient d'exclure systématiquement des causes fréquentes de polyneuropathie. Ce bilan comprend en général la recherche d'un diabète, d'une dysthyroïdie, d'une hypovitaminose ainsi que des sérologies pour Lyme et Lues, éventuellement une sérologie VIH. La recherche d'une gammapathie monoclonale est essentielle ; en cas de pic monoclonal IgM, il faut rechercher les anticorps anti-MAG. Les anticorps anti-GM1 sont souvent utiles. Une biopsie nerveuse est généralement peu contributive.
En général, on débute la thérapie par une série de perfusions d'immunoglobulines (0,4 mg/kg par jour pendant cinq jours), un traitement qui doit souvent être répété à intervalles de semaines ou mois. En cas de forme chronique récidivante ou progressive, il est important d'introduire un traitement immunosuppresseur (prednisone 1 mg/kg) qu'on essayera en général de remplacer rapidement par de l'azathioprine (Imurek®) pour prévenir les effets secondaires à long terme des corticostéroïdes. L'efficacité des plasmaphérèses est similaire aux immunoglobulines, mais c'est une technique plus lourde à mettre en place.9,10,11
On estime que près de la moitié des patients présentent une forme rémittente-récurrente (30-60%). Dans les années 70, le pronostic de la PRNc était sérieux, avec une mortalité de 11% et un handicap résiduel significatif chez près d'un tiers des patients.12 Grâce à l'introduction de traitements immunosuppresseurs ou immunomodulateurs, les séries plus récentes montrent un pronostic plus favorable, avec une récupération totale ou des séquelles mineures chez 87% des patients.13
En 1982, Lewis et coll.14 ont rapporté les cas de cinq patients avec une PRNc asymétrique focale ressemblant à une mononévrite multiple. Dans ce tableau, l'électrophysiologie est caractérisée par une atteinte démyélinisante (avec des blocs de conduction) et la ponction lombaire montre une protéinorachie normale ou modérément élevée. Dans la littérature américaine, cette entité est souvent désignée par l'acronyme MADSAM pour multifocal acquired demyelinating sensory and motor neuropathy. L'IRM montre parfois (comme dans la PRNc) un épaississement des racines nerveuses. L'évolution est généralement chronique, progressive sur de nombreuses années. Le traitement consiste, comme pour la PRNc, en l'association d'immunosuppresseurs et de perfusions d'immunoglobulines.
Au contraire des tableaux de PRNc généralisés ou focaux, cette pathologie est caractérisée par une atteinte purement motrice, dont le corrélat électrophysiologique consiste en des blocs de conduction. Dans près de 50% des cas, on trouve des anticorps anti-GM1 positifs. Cette pathologie touche plus fréquemment les hommes que les femmes, généralement sur un mode chronique progressif lent (années). En fonction de la durée de l'évolution, on peut observer un certain degré d'amyotrophie sur une atteinte axonale secondaire. La réponse aux immunoglobulines est généralement bonne (parfois jusqu'à une récupération complète du déficit moteur), mais ce traitement doit être répété à intervalles réguliers à long terme. Contrairement à la PRNc et au syndrome de Lewis-Sumner, les stéroïdes sont inefficaces et peuvent même parfois aggraver le déficit.