Nous évoquions la semaine dernière, à propos de cette étonnante évolution qu'est l'émergence de la «biodynamie» dans le vignoble français, le parcours hors norme et l'aventure angevine vécue par Nicolas Joly à la Coulée de Serrant (Médecine et Hygiène du 7 mai 2003). Sur la même rive, droite, de la Loire à une bonne centaine de kilomètres vers l'orient, sur la commune de Vouvray, un autre vigneron vit une transmutation similaire. Il s'appelle Noël Pinguet, a fait des études de mathématiques et d'informatique avant de basculer, en toute conscience cartésienne, vers les astres et l'homéopathie viticole. L'homme est tout sauf sulfureux. Subtil, rabelaisien à ses heures, il entra en viticulture par le biais d'un mariage, après être tombé amoureux de la fille de Gaston Huet, fin lettré, maire de la commune et propriétaire de l'un des plus beaux domaines de l'appellation.Dans les années 70 et 80, Noël Pinguet cultiva la vigne comme on la cultivait alors à Vouvray et dans l'ensemble du vignoble français. Les chevaux avaient depuis longtemps disparu, remplacés par des tracteurs. La mécanisation des pratiques battait son plein. A dire vrai, deux mouvements prenaient leur essor, l'un dans les vignes, l'autre dans les chais. Jamais les vignerons du Val de Loire n'avaient, avant cette période, mieux maîtrisé l'élaboration de leurs vins. Contrôle des températures comme des fermentations alcoolique et malo-lactique, progrès majeurs dans l'hygiène, compréhension de phénomènes qui jusqu'alors étaient soumis au hasard : ce qui n'était que la répétition de gestes séculaires devenait une pratique raisonnée. Dans le même temps, la culture de la vigne s'était industrialisée, phytosanitarisée, pourrait-on dire. Les vignerons d'alors étaient entrés dans un cycle thérapeutique sans fin, un engrenage inhumain qui les voyaient pendant les mois d'été, bombarder chimiquement leurs vignes par crainte qu'elles ne succombent au mildiou, à l'oïdium et aux mille autres pestes qui menacent cette plante. Désherbages chimiques, traitements préventifs de masse et ballets éternels des tracteurs précédaient l'arrivée des machines à vendanger.La main de l'homme s'éloignait sans cesse de la plante et de son fruit au moment même où l'on apprenait à comprendre l'élaboration du vin. Les erreurs majeures faites dans la vigne étaient en quelque sorte masquées par les progrès faits dans les chais. En somme, on courait, sans le savoir, à la catastrophe. Ce fut alors que quelques consciences s'éveillèrent. Nous avons raconté La Coulée de Serrant dans le Maine-et-Loire ; il y eut, dans l'Indre-et-Loire voisin, Le Mont et Le Haut-Lieu, deux des plus beaux domaines de l'appellation vouvrillonne qui, progressivement passèrent à la biodynamie, ce prolongement de l'agriculture biologique. Car si «biodynamie» et «biologie» ont en commun la suppression des pesticides, des engrais et de tout apport chimique, la première dépasse la seule exclusion pour proposer une théorie faite de dynamisation du sol et de la plante. Nous exposerons dans une prochaine chronique les grandes lignes de cette méthode née des travaux de l'autrichien Rudolf Steiner (1861-1925) et qui pourrait sans mal être ici comparée à une forme d'approche thérapeutique de la terre prise au sens large (roche mère, terre labourable, environnement aérien) et considérée comme un organisme dans lequel puisent d'autres organismes, végétaux et animaux.A Vouvray, Noël Pinguet expérimenta comme l'avait fait avant lui Nicolas Joly. Méfiant mais désireux de sortir de ce qu'il percevait comme une impasse chimique, il suivit les préceptes nés d'une philosophie qu'il tenait pour étrange. Il lui fallut convaincre les ouvriers agricoles que les préparations homéopathiques à base de bouse et de silice allaient remplacer les engrais de synthèse. Il fallut réapprendre la lune et les astres, les jours et les nuits. Et tout cela sans se soucier des sourires entendus et des sarcasmes. Puis les résultats. «Je suis incapable d'expliquer et de justifier le bien-fondé de cette pratique mais je dois constater l'évidence : mes vignes renaissent, les insectes sont de retour, les oiseaux chantent, les fleurs sont là» confie-t-il. L'homme, prudent, n'a pas étendu au chais certains des principes défendus par les tenants de la biodynamie qui condamnent toute forme de recours au soufre ou qui postulent que la seule loi de la gravité associée à la bienveillance de la Nature suffit à élaborer le vin. Il n'a pas non plus changé de vie, n'est pas devenu végétalien, consomme comme beaucoup, avec plus ou moins de modération les plaisirs terrestres, demeure modeste en dépit de la célébrité médiatique que lui a conféré sa démarche. Et les vins dira-t-on, ces vins de cépage chenin qui, à Vouvray, peuvent selon les années et le tries être tranquilles ou faits de moustille, secs ou liquoreux ? Nous en avons connus quelques-uns, signés Gaston Huet, qui étaient sublimes. Nous en connaissons d'autres, signés de son gendre, pour lesquels le même qualificatif s'impose avec, en prime, une touche aérienne, une élégance d'un autre ordre, la silhouette d'une autre ère.Domaine Huet, 37210 Vouvray, France.Tél. 00 33 2 47 52 78 87.(A suivre)