L'intensité de la transmission du paludisme, ou malaria, décroît avec l'altitude. La baisse de la température induite par l'altitude exerce en effet une influence négative sur le cycle des moustiques anophèles et sur le cycle extrinsèque du parasite. De multiples facteurs environnementaux, socio-économiques et biologiques déterminent l'épidémiologie du paludisme à une altitude donnée. La prévention du paludisme chez les voyageurs séjournant dans les zones de montagnes ou de hauts plateaux suit les recommandations habituelles. Il est essentiel de prescrire une prophylaxie ou un traitement de secours efficace et bien toléré chez les voyageurs alpinistes. Le risque induit par une crise de malaria ou par un effet secondaire médicamenteux peut en effet être majoré par l'altitude et l'isolement.
Le nombre de voyageurs se rendant dans des zones d'endémie palustre est en progression constante. Les plages et cocotiers ne constituent pas sous les tropiques les seuls pôles d'attraction. En effet, ces régions sont également riches en hautes montagnes et hauts plateaux attirant alpinistes, marcheurs ou simples touristes. Avant d'aborder les aspects pratiques des recommandations pour ces catégories de voyageurs, il paraît utile de rappeler d'une part les modes d'influence de l'altitude sur l'épidémiologie du paludisme, et d'autre part les multiples déterminants qui modifient la transmission de cette maladie à une altitude donnée.
L'impact de l'altitude sur la transmission du paludisme est lié directement à la baisse de la température qui influe à la fois sur le vecteur (moustique anophèle) et le parasite.
Le cycle des moustiques anophèles requiert un stade aquatique permettant la transformation par étape des ufs en moustiques adultes. La température minimale permettant cette phase de transformation et de maturation est de 16°C. La durée du stade aquatique est par ailleurs inversement proportionnelle à la température : vingt jours à 20°C mais seulement sept jours à 31°C, permettant ainsi la complétion de cette phase dans des sites temporaires (par exemple : flaque d'eau après averse de pluie). La température idéale pour la maturation gonotrophique des anophèles (période entre le début de la vie adulte et la ponte des premiers ufs) se situe entre 20 et 30°C.1 L'élévation de la température est également liée à une augmentation de la fréquence des repas sanguins. En résumé, l'élévation de la température augmente les capacités de transmission de la malaria par les anophèles.
Les différentes espèces d'anophèles ont des capacités variables de transmission de la malaria à l'humain. L'altitude étant un des déterminants du type d'anophèle présent dans une région donnée,2 elle influence donc également de cette manière sur la transmission du paludisme.
La température de l'hôte (l'humain) étant stable, les variations de température de l'environnement n'influent pas sur cette partie du cycle parasitaire. Par contre, la durée de la sporogonie (période d'incubation dans le vecteur ou cycle extrinsèque) est inversement proportionnelle à la température. La température minimale permettant la sporogonie se situe entre 16 et 19°C.1
Si l'altitude, via la température, est un facteur incontestable influençant la transmission du paludisme, de nombreux autres facteurs déterminent la présence ou l'intensité de la transmission à une altitude donnée. Ces facteurs peuvent être subdivisés en facteurs environnementaux, socio-économiques et biologiques (fig. 1). La situation de la résurgence de la malaria dans les zones d'altitude (entre 1500 et 2500 mètres) d'Afrique de l'Est (African highlands) est particulièrement bien documentée et peut servir d'exemple.3
L'influence du climat est déterminante. Comme vu précédemment, les variations de température influent directement sur la transmission du paludisme. Par exemple, l'altitude maximale de la transmission tend à diminuer avec l'éloignement de l'équateur. De même, la variation de la pluviosité est un facteur important. Des pluies trop abondantes peuvent «laver» les sites larvaires du vecteur et diminuer ainsi l'intensité de la transmission. Le plus souvent cependant, l'augmentation de la pluviosité entraîne une augmentation de la transmission en augmentant les sites de multiplication du vecteur. Au Ruanda, où 95% de la population vit entre 1400 et 2400 mètres d'altitude, l'augmentation de la température minimale nocturne et de la pluviosité entre 1984 et 1987 a entraîné l'apparition du paludisme au-dessus de 1700 mètres et une augmentation de 334% du nombre de cas dans le pays.4
L'épidémie de malaria dans les zones semi-désertiques ou d'altitude d'Afrique de l'Est en février 1998 a été liée par exemple à l'augmentation de la pluviosité dans cette région sous l'influence du cycle climatique El Niño (ou ENSO : El Niño Southern Oscillation).5
Si l'influence des variabilités saisonnières, inter-annuelles et cycliques (par exemple : El Niño) sur la transmission de paludisme en altitude est bien démontrée, l'influence du réchauffement climatique global est controversée. Le risque théorique du réchauffement global de la planète est une extension en altitude et latitude du paludisme liée à une augmentation de l'aire de présence des vecteurs anophèles. L'apparition, ou l'augmentation, de la transmission du paludisme toucherait ainsi des populations peu ou pas immunes et serait grevée d'une mortalité et morbidité importantes.6 Cependant, une étude récente analysant les données de température, pluviosité et périodes de transmission du paludisme de quatre sites d'altitude en Afrique de l'Est de 1911 à 1995 ne montre pas d'évidence de changements significatifs.7
Ces facteurs, directement liés aux activités humaines, peuvent être intimement liés aux facteurs environnementaux tels que la construction de barrages, canaux d'irrigation ou de drainage,8 ou la modification de pratiques d'agriculture. En Ouganda par exemple, le risque de transmission du paludisme a été démontré plus élevé dans les villages bordant des zones cultivées que dans les villages bordant des champs naturels de papyrus.9 Sur les hauts plateaux de Madagascar, où le paludisme avait été éradiqué en même temps que le vecteur Anopheles funestus suite aux campagnes d'épandage de DDT dans les années 60, les causes principales de l'épidémie de paludisme responsable de possiblement 40 000 décès depuis 1985 sont le relâchement du système de surveillance permettant la re-colonisation progressive du vecteur et la migration de populations non immunes sur ces hauts plateaux.10
Le facteur principal responsable de l'augmentation des cas de paludisme, ainsi que du taux de létalité, sur les hauts plateaux kenyans depuis 1990 et plus récemment au Burundi (épidémie majeure en 2000) est l'augmentation de la résistance médicamenteuse du Plasmodium falciparum associée à l'utilisation de médicaments insuffisamment efficaces, permettant ainsi une augmentation du réservoir de parasites circulant dans la population.11 La mise en évidence de ce phénomène est un argument supplémentaire en faveur de l'utilisation de médicaments efficaces (combinaison médicamenteuse incluant un dérivé d'artémisinine) dans cette région du monde.
La prévention de la malaria pour un voyage en altitude ou l'ascension d'un sommet en zone tropicale repose sur les principes habituels (risque de paludisme et proportion de Plasmodium falciparum dans la région, efficacité et profil d'effets secondaires du médicament prophylactique, etc.),12 avec néanmoins quelques nuances importantes. Un voyage se déroulant exclusivement dans des régions à des altitudes supérieures aux altitudes seuils d'endémie du paludisme (tableau 1) ne nécessite ni prophylaxie médicamenteuse ni traitement de réserve. Cette situation inclut des voyages strictement urbains dans les capitales d'Afrique subsaharienne situées en altitude : Asmara (Erythrée), Addis Abeba (Ethiopie), Nairobi (Kenya) et Harare (Zimbabwe).
En cas d'ascension d'un sommet en zone tropicale, le déterminant principal de la décision d'une prophylaxie médicamenteuse est le risque de paludisme pendant la période d'approche. Deux déterminants spécifiques à ce type de voyage sont à prendre en compte :
1. Les conséquences d'une crise de paludisme pendant l'ascension peuvent être particulièrement graves : absence de structures médicales, risque accru dû à l'asthénie d'une descente ou d'un séjour prolongé en haute altitude et, moins grave, d'un abandon.
2. Les effets secondaires des médicaments anti-paludéens qui peuvent être non seulement majorés par l'altitude mais également se confondre avec les symptômes du mal des montagnes. Le tableau 2 résume les symptômes principaux du mal des montagnes et de ses complications redoutées, l'dème pulmonaire et l'dème cérébral, ainsi que les effets secondaires des principaux médicaments préventifs.13,14 Le risque de confusion des symptômes est plus important pour la méfloquine (Lariam®, Mephaquine®) que pour l'atovaquone-proguanil (Malarone®).
Malgré un prix plus élevé, la Malarone® est la prophylaxie médicamenteuse de choix pour les voyageurs-alpinistes lorsque la marche d'approche se déroule dans une zone à risque modéré ou élevé de paludisme. Les données sur la tolérance de la doxycycline chez les voyageurs sont incomplètes mais ce médicament bien connu représente néanmoins une alternative de choix à la Malarone®. La Malarone® ou le Riamet® (artémether-luméfantrine) sont les médicaments de choix à prescrire en traitement de secours si la marche d'approche se déroule dans une zone à risque faible de paludisme. Nos recommandations pour les principales régions de hautes montagnes situées en zone tropicale sont résumées dans le tableau 3. Les situations les plus courantes sont :
I Ascension du Mont Kilimandjaro ou Mont Kenya : la prophylaxie est nécessaire. Le premier choix est la Malarone® en raison de son bon profil de tolérance et de la durée habituellement courte de ces séjours, limitant ainsi les coûts du médicament.
I Ascension d'un sommet au Népal : si escale à Kathmandou et approche directe à des altitudes supérieures à 1300 mètres, ni la prophylaxie ni le traitement de secours ne sont nécessaires (risque nul). Si l'approche se fait par la plaine du Teraï (sud du pays) en hiver (risque faible), le traitement de secours (Riamet® ou Malarone®) est suffisant. Si cette même approche se déroule de juin à septembre pendant la mousson, la prophylaxie est conseillée.
I Ascension d'un sommet ou trek de haute altitude dans le Ladakh/Zanskar (Inde) : si simple escale à Delhi, le traitement de secours est suffisant. La prophylaxie est par contre nécessaire en cas de séjour à Delhi et environs supérieur à une semaine.
I Ascension d'un sommet andin : si marche d'approche à des altitudes supérieures aux altitudes maximales d'endémie du paludisme (tableau 1), ni prophylaxie ni traitement de secours ne sont nécessaires (risque nul). En cas d'approche à des altitudes inférieures ou en cas de doute, le traitement de secours est suffisant. La prophylaxie n'est recommandée qu'en cas d'approche par le bassin amazonien.
Le risque de paludisme décroît avec l'altitude en raison d'un impact négatif de la baisse de température sur le cycle de l'anophèle et celui du parasite. Ce risque n'est pas linéaire en raison des nombreux autres déterminants qui influent sur l'épidémiologie du paludisme à une altitude donnée. La prévention médicamenteuse du paludisme pour les voyageurs alpinistes en zone tropicale respecte les principes habituels de prévention mais il est particulièrement important de prescrire un traitement efficace possédant un profil de tolérance favorable.