Poursuivons notre quête sur le front de cette révolution souterraine et végétale qui s'empare de pans entiers et prestigieux du domaine viticole français ; un mouvement de révolte bien moins tranquille que ce qu'il donne à voir ; une entreprise hors du commun rationnel qui tente tout à la fois d'en finir avec les errements d'une époque du tout chimique mêlé au productivisme agricole et de maîtriser des énergies que l'on qualifie de cosmiques.1 Poursuivons, en d'autres termes, notre tentative de compréhension de cette viticulture entrée dans cette autre perception du monde qu'est la «biodynamie». Nous avons raconté (Médecine et Hygiène des 7 et 14 mai 2003) le parcours initiatique et hautement contagieux de ces deux missionnaires que sont, sur les berges de la Loire, Nicolas Joly et Noël Pinguet. S'il se plaît sur les terres ligériennes plantées en cépage chenin le mouvement de la biodynamie a d'ores et déjà gagné d'autres rivages.C'est notamment le cas de la Bourgogne où plusieurs des plus grandes maisons ont elles aussi entrepris cette croisade qui entend «sublimer» les saveurs du fruit de la vigne en «dynamisant» cette plante, le sol dans lequel elle prend racine et l'atmosphère dans laquelle elle respire. Cette quête a d'ores et déjà donné lieu à un étonnant mouvement de révolte préventive avec, il y a deux ou trois ans, le lancement de «l'appel de Beaune» contre les organismes génétiquement modifiés (OGM). «Des propriétaires, vignerons et négociants des plus grands terroirs bourguignons, refusent ouvertement de basculer dans un monde où, sous couvert de rentabilité et de meilleure maîtrise du vivant végétal ou microbien, quelques multinationales viendraient dicter chez eux de nouvelles règles, écrivions-nous dans les colonnes du Monde lors du lancement de cet appel. Ceux qui sont aujourd'hui chargés des crus et climats où les cépages pinot noir et chardonnay atteignent la quintessence planétaire de leurs expressions organoleptiques expriment, sans fard, leur angoisse.»L'affaire, donc, était partie de la belle ville de Beaune ; et plus précisément de la volonté de Anne-Claude Leflaive (domaine Leflaive) et de Pierre-Henri Gagey (maison Louis Jadot) qui, depuis quelque temps, avaient réuni des chercheurs de divers horizons, généticiens, biologistes ou spécialistes en écologie. Au départ, cette initiative résultait d'une grande inquiétude : ces vignerons bourguignons voulaient, avec une vingtaine de leurs collègues, mieux cerner l'impact que pourrait avoir l'arrivée imminente des OGM dans le monde de la vigne et de la vinification. Signé par les propriétaires de domaines aussi prestigieux que ceux de la Romanée-Conti, du marquis d'Angerville ou par les maisons Bouchard Père & Fils, Antonin Rodet ou Joseph Drouhin, l'«appel de Beaune» est sans ambiguïté : «Aucun OGM "vigne et vin" n'a certes encore obtenu à ce jour d'autorisation de mise sur le marché en Europe. Pour autant, les études dans ce domaine sont très avancées, précisent-ils. Des levures génétiquement modifiées permettent déjà, en laboratoire, de réaliser la fermentation malolactique en même temps que la fermentation alcoolique, le tout en quatre jours. Ces mêmes levures permettent d'acidifier les moûts en transformant une partie de leurs sucres en acide lactique. Des plants de vigne résistant à certaines maladies virales sont déjà en phase d'essai et d'autres projets sont en cours d'évaluation ou de développement. Ils concernent par exemple des levures sécrétant différents arômes.»Les signataires expliquaient que des expérimentations de culture en plein champ de plants de vigne transgéniques étaient en cours en France, en Allemagne et en Australie. Ils précisaient s'organiser via un «comité de veille et d'information» et reconnaissaient avoir, tardivement peut-être, saisi l'ampleur du danger. Bien loin de refuser tout apport de la science dans leur domaine, les auteurs de l'«appel de Beaune» estimaient aussi que de nombreuses questions demeurent sans réponse et au nom du «principe de précaution», de la diversité et de la typicité de leurs vins, ils réclament un moratoire. «Nous souhaitons que les autres régions viticoles mènent chacune une démarche semblable à la nôtre de manière à ce que nous puissions tous ensemble orienter l'avenir de la viticulture française.»Le temps depuis a passé et la menace se rapproche. En France, l'Institut national de la recherche agronomique s'apprête, avec des ruses de renard, à faire une expérimentation à ciel ouvert de Vitis vinifera transgénique capable de résister à la virose du court-noué. Le gouvernement Jospin n'a pas voulu pourquoi ? traduire en textes réglementaires la demande bourguignonne et le gouvernement Raffarin ne semble pas pressé de la faire. La Bourgogne résiste et la biodynamie voit ses bataillons grossir. Le tonnerre gronde sur les vignes de France.(A suivre)1 Aux «amoureux» de la «Nature», nous conseillons la lecture du redoutable nouveau roman de Patrick Cauvin («Jardin fatal», Albin Michel). On peut notamment y lire : «Les odes à la Nature, comme on en trouve, par exemple, dans Goethe revisité par Massenet, sont le produit d'une rencontre d'un pays tempéré de moyenne montagne et d'une pensée bourgeoise, autosatisfaite, et géographiquement réduite. L'expression «Nature pleine de grâce», m'évoque irrésistiblement la mort d'un Inuit par moins cinquante degrés sur la banquise, durant un blizzard d'hiver.»