Le Dr Wan Yan Hai fut parmi les premiers à informer la communauté internationale de la propagation du virus du sida en Chine. Il a été emprisonné le 24 août 2002, alors que son ONG, créée en 1994, AIZHI Action Project publiait un rapport interne de la province du Hénan sur l'étendue de la propagation du virus VIH liée aux pratiques frauduleuses de la collecte de sang (des centaines de milliers de villageois ont été infectés). Le Dr Wan a été libéré à la fin du mois de septembre dernier grâce à une mobilisation internationale en sa faveur.
Il était à Genève, à l'initiative du Forum de l'Université «Santé/Droits de l'homme» de la Société académique de Genève.
Dr Wan, qu'elle est l'ampleur de l'épidémie du VIH/sida en Chine ?
Il est difficile de se prononcer sur l'ampleur de l'épidémie. Longtemps, le Ministère de la santé chinois a nié l'existence de la maladie. Le sida était à ses yeux, une particularité du capitalisme occidental. C'est le message qu'il envoyait à la population. Ce n'est qu'en 2001 et grâce au travail des activistes et à la pression des acteurs internationaux, que le gouvernement a avancé le chiffre de 1 million de personnes infectées.
En réalité, ce nombre est très inférieur à la réalité. Pour nous, médecins et acteurs de terrain depuis près de dix ans, il y a aujourd'hui en Chine plus de 6 millions de séropositifs et ce n'est qu'un début. Une étude datant de 2002 d'ONUSIDA,1 parle de 10 millions de porteurs du virus à l'horizon 2010. Mais ce ne sont là que des estimations, il faudrait une vraie politique de dépistage, une vraie transparence pour mesurer plus précisément les dommages actuels et à venir de la maladie. Par ailleurs, le manque de transparence du gouvernement rebondit sur la population. Dans la province de Henan par exemple, des centaines de milliers de villageois sont infectés en raison de pratiques frauduleuses de collectes de sang et les orphelins se comptent par milliers. Mais le sida reste une chimère, une maladie étrange qui ne fait pas encore véritablement partie du vocabulaire de santé de la grande majorité des Chinois. Les besoins en matière d'éducation à la santé sont énormes.
Que fait le gouvernement pour les malades ?
En 2001, le gouvernement a révélé les chiffres de l'épidémie et s'est engagé à offrir un traitement à 50% des malades du sida. Sur les 1 million de personnes infectées déclarées par le gouvernement, nous aurions dû avoir 500 000 personnes sous traitement. Mais à ce jour, seules 400 personnes bénéficient de soins réguliers. Le gouvernement a également fait de nombreuses promesses pour venir en aide aux orphelins du sida mais ces promesses sont restées à l'état de déclaration de bonnes intentions. Il faut en permanence faire pression sur les autorités pour que les choses avancent dans ce domaine.
En 1994, vous créez AIZHI Action Project dans un contexte politique difficile. Parlez-nous de votre action.
A l'origine, AIZHI Action Project était un projet de prévention et d'éducation au Safe Sex destiné aux homosexuels et aux bisexuels. Constitué en association non gouvernementale, composé de médecins, d'activistes et d'avocats, il a petit à petit élargi son champs d'action à la prévention en général en matière de VIH/sida. Aujourd'hui il défend encore les droits des minorités sexuelles mais AIZHI Action Project dénonce également les pratiques frauduleuses de collecte de sang, génère des études sur l'étendue de l'épidémie dans le pays, conduit des recherches en éducation à la santé et fait des propositions en matière de politique de santé. Il crée aussi des programmes d'autonomisation des populations, offre une assistance financière, juridique et psychologique, en particulier aux populations les plus démunies du pays.
Quelle est votre liberté d'action ?
Faire de la promotion, de l'information et dénoncer une situation reste très difficile. En tant qu'activistes, nous bénéficions d'un statut ambigu. Notre reconnaissance internationale, le fait que des médias tels que le New York Times ou le Washington Post parlent de nous, nous place dans une relative position de force face au gouvernement, mais nous restons des activistes. Nous sommes surveillés, nous restons sujets à des arrestations arbitraires, à des emprisonnements. La lutte contre le sida est un aspect de la lutte en faveur des droits humains, facilement assimilable à un statut d'opposant.
En début d'année, vous avez été détenu par les autorités, au moment où votre association publiait un rapport dénonçant le trafic de sang perpétré dans la province de Hénan. Que s'est-il passé dans cette province ?
Contre une petite somme, les gens ont vendu leur sang. Ce sang a ensuite été monnayé dans les grandes villes. Ces pratiques sont très répandues dans les provinces et aucune précaution n'est prise pour s'assurer que le sang n'est pas infecté. Beaucoup de séropositifs qui ignoraient bien entendu qu'ils l'étaient pour les raisons que j'ai mentionnées plus haut, ont ainsi contribué à la propagation de l'épidémie. Le Ministère de la santé a fait état de 23 provinces touchées par ce type de propagation et a estimé à environ 20% le taux de personnes infectées ayant vendu leur sang. Je peux témoigner de l'ampleur de ce scandale. Les victimes commencent à se mobiliser, des paysans viennent nous voir à Pékin pour solliciter notre aide, entamer des actions en justice, faire pression sur le gouvernement, les choses bougent. La situation change.
Lorsqu'en août dernier, j'ai été placé en détention, il y a eu une forte mobilisation occidentale en ma faveur. Le gouvernement a cédé. Il a entrouvert ainsi la porte à plus de vérité.
1 Rapport publié en juin 2002, ONUSIDA, voir chapitre Asie. rf : http://www.unaids.org/worldaidsday/2002/
press/update/epiupdate2002_fr.doc