Les complications cardiovasculaires sont responsables de plus de 80% des décès chez le patient diabétique. Non seulement la prévalence de la maladie coronarienne est élevée en présence d'un diabète, mais la mortalité et la morbidité lors d'un événement coronarien aigu sont également accrues. Ce n'est qu'au cours des dernières années que l'on s'est aperçu que la prévention et le traitement de la maladie coronarienne chez le patient diabétique peuvent différer dans certains aspects comparé au patient non diabétique.
En Suisse et dans d'autres pays industrialisés, le nombre de décès d'origine cardiovasculaire a continuellement diminué au cours des dernières décennies, tant en pourcentage du nombre total des décès qu'en chiffres absolus.1 Contrairement, un nombre croissant de patients meurt des complications d'un diabète de type II.2 Dans plus de 80% des cas, le décès est d'origine cardiovasculaire.3 Il y a deux explications pour cette augmentation de la mortalité suite à un diabète de type II. Premièrement, la prévalence du diabète de type II est en voie d'augmentation. On estime que le nombre de patients sera doublé en 2025 par rapport aux chiffres de 1995.4 Deuxièmement, il existe plusieurs indices montrant que les patients diabétiques n'ont pas bénéficié au même degré des progrès de la médecine cardiovasculaire et la mortalité d'un événement n'a pas diminué dans ce sous-groupe. Donc, la lutte contre la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez le patient diabétique est actuellement un des défis majeurs de la médecine. D'intenses efforts sont nécessaires à plusieurs niveaux, à savoir dans la prévention primaire, la prévention secondaire et le traitement de la maladie coronarienne. Le but de cet article est de donner une mise au point dans ces trois volets de la prise en charge cardiovasculaire du patient souffrant de diabète de type II et de faire ressortir les conséquences pratiques.
Chez les patients atteints de diabète (de type II), le risque de développer une maladie coronarienne manifeste cliniquement est augmenté de deux à quatre fois.5 Contrairement à la population normale, le risque est pratiquement identique pour les hommes et les femmes, ce qui suggère une perte de la protection dans le sexe féminin. De l'étude de Framingham, il ressort que dans la population adulte, le risque de subir un infarctus du myocarde dans les sept ans après l'examen initial est de 20% chez le patient diabétique, ce qui est similaire au risque de réinfarctus chez un patient non diabétique ayant déjà souffert d'un infarctus du myocarde.5 Ceci a mené l'American Heart Association et la European Society of Cardiology à recommander d'appliquer chez le patient diabétique, même sans évidence de maladie coronarienne, les mêmes critères pour la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaires tels qu'ils sont appliqués chez le patient non diabétique après infarctus du myocarde. Ceci signifie, de viser des valeurs tensionnelles en dessous de 130/80 mmHg et des valeurs de cholestérol inférieures à 2,6 mmol/l.
Il ressort de plusieurs études que des mesures de prévention primaire permettent de diminuer le risque cardiovasculaire de manière efficace chez les patients diabétiques. Dans le Systolic Hypertension in Elderly Program (SHEP),6 la diminution relative du risque d'événements cardiovasculaires majeurs (décès, infarctus du myocarde ou accident cérébro-vasculaire) était même plus prononcée chez les patients diabétiques que chez les patients non diabétiques. Le nombre de patients à traiter pour prévenir un événement («number needed to treat» = NNT) était de 11 chez les patients diabétiques et de 82 chez les patients non diabétiques.6 Le traitement à base d'inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) et des antagonistes de récepteurs de l'angiotensine II (AIIA) semble particulièrement favorable chez les patients diabétiques avec hypertension. Selon l'étude Heart Outcomes Prevention Evaluation (HOPE) qui a inclus des patients diabétiques avec ou sans maladie coronarienne, l'administration d'un IEC (ramipril) a diminué le risque d'événements cardiovasculaires majeurs, même en l'absence d'hypertension, de l'ordre de 20%.7 Une observation intéressante est que dans l'étude HOPE, le ramipril et dans plusieurs études sur des AIIA, le risque de développer un diabète chez les patients non diabétiques a été réduit.8
Bien qu'il n'existe pas d'étude sur l'efficacité des statines ciblées sur les patients diabétiques, la Heart Protection Study,9 qui a randomisé 20 536 patients avec cholestérol supérieur à 3,5 mmol/l, dans le sous-groupe de patients diabétiques, sans évidence de maladie coronarienne, le risque d'événements cardiovasculaires majeurs a été réduit de 18,6% à 13,8%.10 Donc, le traitement de vingt et un patients diabétiques avec cholestérol supérieur à 3,5 mmol/l, par simvastatine pendant cinq ans prévient un événement cardiovasculaire. Par conséquent, les statines ont fait leurs preuves d'efficacité dans la prévention primaire chez les patients diabétiques. Il est intéressant de constater que récemment, une analyse rétrospective des données de l'étude West of Scotland Coronary Prevention Study (WOSCOPS) semble suggérer que les statines peuvent également diminuer l'apparition d'un nouveau diabète chez les patients à risque.11
Selon le principe d'appliquer les critères de prévention secondaire, l'aspirine à une dose de 80 à 325 mg a été recommandée en prévention primaire chez les personnes de plus de 30 ans, par l'Association Américaine du Diabète.12 Cette recommandation se réfère à une méta-analyse de plusieurs études randomisées qui a montré une tendance de diminution des événements cardiovasculaires majeurs chez les patients diabétiques, ce qui n'était cependant pas statistiquement significative.12
Finalement, la United Kingdom Prospective Diabetes Study (UKPDS), parmi d'autres études, indique que la glycémie en soi favorise les lésions vasculaires et que le contrôle de la glycémie diminue les complications micro- et macrovasculaires.13
Dans une récente étude, 160 patients avec diabète de type II ont été randomisés en un traitement «conventionnel» et une prise en charge approfondie avec un accroissement des contrôles des facteurs de risque, l'administration d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion, des contrôles rapprochés de la glycémie et un programme d'exercice.14 Le nombre d'événements cardiovasculaires pendant le suivi de huit ans était réduit de presque 50% dans le groupe avec prise en charge intense.
En résumé, les patients avec diabète de type II ont un risque élevé d'infarctus, de décès cardiovasculaire ou d'accident cérébro-vasculaire. Ce risque peut être réduit par une prise en charge attentive de la glycémie et des facteurs de risque cardiovasculaires.
Cette question est souvent posée, vu la notion, d'ailleurs contestée, que l'ischémie soit plus souvent silencieuse chez les patients diabétiques. A l'heure actuelle, on ne peut répondre à cette question de manière définitive, étant donné qu'il n'existe actuellement pas d'étude démontrant le bénéfice supplémentaire d'un dépistage systématique d'une maladie coronarienne sténosante chez le patient diabétique asymptomatique. Dans la Milan Study on Atherosclerosis and Diabetes (MISAD),15 une ischémie silencieuse a été recherchée chez des patients diabétiques asymptomatiques par scintigraphie au thallium. Dans le groupe d'âge 50 à 54 ans, le pourcentage de tests positifs était bas, à 4%, et augmentait à 12% pour le groupe d'âge de 55 à 59 ans et de 13% pour le groupe d'âge de 60 à 64 ans. Dans la même étude, il est ressorti que la probabilité d'un test positif augmentait avec le nombre de facteurs de risque cardiovasculaires, y compris l'hypertrophie ventriculaire gauche à l'ECG et la protéinurie. En fait, la valeur prédictive la plus puissante était la protéinurie qui était associée chez 50% des patients à un test au thallium positif.
Selon les directives élaborées par la Société suisse d'endocrinologie et de diabétologie en collaboration avec la Société suisse de cardiologie, un test de dépistage de la maladie coronarienne devrait être envisagé chez des patients diabétiques sans symptôme en présence d'un ECG anormal, d'une athérosclérose carotidienne ou d'une artériopathie des membres inférieurs ou d'au moins deux facteurs de risque cardiovasculaires y compris la présence d'une albuminurie (tableau 1).16
Après un premier infarctus du myocarde, la mortalité chez les patients diabétiques est nettement plus élevée que chez les patients non diabétiques et approche les 50%, dont environ la moitié est due à une mort subite.17 Cependant, les principes de la prise en charge ne diffèrent à l'heure actuelle pas sensiblement de ceux chez les patients non diabétiques.
Un élément pronostique indéniable est la réouverture rapide de l'artère coronaire occluse. Une analyse rétrospective des données de l'étude GUSTO IIb montre une tendance à un taux d'événements cardiovasculaires plus bas, aussi chez le patient diabétique, après angioplastie directe comparée à la thrombolyse, mais la différence n'était statistiquement pas significative, probablement en raison d'un nombre trop bas de patients diabétiques.18
Malgré le recours croissant à l'angioplastie primaire, la thrombolyse n'est pas contre-indiquée. Il existe souvent une certaine hésitation de recourir à la thrombolyse chez les patients diabétiques en raison du risque potentiel d'hémorragie intra-oculaire. Cependant, dans l'étude GUSTO I, aucune hémorragie oculaire n'a été observée chez 5995 patients traités par thrombolyse.19 Par conséquent, la thrombolyse, même sans examen du fond d'il, n'est pas contre-indiquée chez le patient diabétique.
D'une méta-analyse de six grandes études publiées récemment, il ressort que, chez les patients avec syndrome coronarien aigu sans élévation du segment ST («non Q-wave infarction»), la mortalité à trente jours est diminuée de 26% lors de l'infusion d'un inhibiteur des glyco-protéines (GP) IIb/IIIa.20 Finalement, dans l'étude DIGAMI, des patients avec infarctus aigu et une glycémie supérieure à 11 mmol/l ont été randomisés dans un groupe traité de manière habituelle et un groupe traité par une perfusion de glucose et insuline, ce qui a réduit la mortalité à trois ans de 11%.21 Cette étude souligne l'importance du contrôle optimal de la glycémie au cours de la phase aiguë de l'infarctus.
Contrairement au patient non diabétique, les facteurs de risque sont traités chez le patient diabétique connu déjà avant cet événement selon les critères de prévention secondaire. Dans tous les cas, il faut considérer l'introduction d'un bêta-bloquant et d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion. De grandes études sur la prévention secondaire par bêta-bloquants après infarctus, certes conduites dans l'ère avant l'application large de la reperfusion précoce, il ressort que la réduction de la mortalité est particulièrement prononcée dans le sous-groupe de patients avec diabète.22 Dans l'étude GISSI-3, le sous-groupe de 2790 patients avec diabète à l'anamnèse a montré une diminution de la mortalité par l'administration de l'IEC lisinopril de 12,4% à 8,7% à six semaines et de 16,1% à 12,9 à six mois.23 Cette réduction de la mortalité était nettement plus prononcée que chez les patients non diabétiques, ce qui suggère que l'administration d'un IEC est à considérer chez tous les patients diabétiques après infarctus.
En résumé, la prévention secondaire après infarctus chez le patient diabétique ne diffère pas fondamentalement de celle chez le patient non diabétique. Dans tous les cas, l'administration d'un bêta-bloquant, d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion (ou d'un AIIA en cas d'intolérance aux IEC) et d'une statine doit être prise en considération.
De l'étude Bypass Angioplasty Revascularization Investigation (BARI), dans laquelle des patients avec maladie coronarienne pluritronculaire accessible aussi bien à une dilatation (PCI) qu'à une opération de pontage (CABG), il est ressorti que la mortalité à sept ans était significativement plus basse dans le sous-groupe de patients diabétiques après CABG (19,4%) qu'après PCI (34,5%).24 Parmi les explications évoquées pour l'infériorité apparente de la PCI chez le patient diabétique, on note : 1) une revascularisation moins complète25 et 2) un taux de resténose, voire d'occlusion, plus élevé après PCI.26
Cependant, les résultats de l'étude BARI, dont le recrutement de patients a été effectué entre 1988 et 1991, ne sont plus applicables tels quels à la situation d'aujourd'hui, notamment vu l'introduction de plusieurs progrès dans le traitement percutané des lésions coronariennes. Le premier progrès à mentionner est l'introduction des stents intra-coronariens. Cependant, les résultats concernant un éventuel effet favorable d'implantation du stent seul chez le patient diabétique sont contradictoires. D'une part, dans l'étude Arterial Revascularisation Therapy Study (ARTS),27 le chiffre absolu de décès et d'infarctus dans le suivi d'une année était plus élevé dans le groupe stents que dans groupe CABG, mais le nombre d'événements était trop bas pour en tirer des conclusions définitives.27 D'autre part, dans une étude avec deux groupes non randomisés,28 on a trouvé que l'implantation de stents diminue le taux de resténose et d'occlusion du site dilaté chez les patients diabétiques de plus de 50% par rapport à la PCI seule. Un deuxième progrès dans la pratique de la PCI depuis l'étude de BARI est l'introduction des antagonistes au GP IIb/IIIa. Dans l'étude EPISTENT, qui a randomisé des patients subissant une PCI en des groupes avec et sans infusion d'Abciximab pendant douze heures suivant l'implantation d'un stent, le taux d'événements (décès ou infarctus du myocarde) à six mois chez les patients traités était réduit de 50%.29 Le développement le plus récent dans le traitement percutané des sténoses coronariennes est l'implantation de stents libérant des substances cytostatiques (rapamycine, paclitaxel). Bien que la place de cette nouvelle génération de stents reste à déterminer, les premiers résultats suggèrent que les patients diabétiques bénéficient autant que les patients non diabétiques de la diminution de la resténose.
En résumé, la stratégie optimale de revascularisation chez les patients diabétiques reste à définir, vu les développements récents de la cardiologie interventionnelle. A l'heure actuelle, il semble raisonnable d'appliquer les mêmes critères morphologiques dans le choix de la méthode de revascularisation que chez les patients non diabétiques. Le diabète est un argument en faveur de l'administration d'un antagoniste de GP IIb/IIIa après l'intervention. Le rôle des «eluting stents» (stents actifs) reste à définir. Vu le rôle primordial de la progression de la maladie coronarienne dans les segments coronariens non traités pour le pronostic du patient, l'accent prioritaire doit être mis sur la prévention primaire et secondaire de la maladie coronarienne.