La Croix Rouge canadienne et son Service de transfusion fut le fournisseur officiel entre 1947 et 1998 de produits sanguins labiles. Suite aux événements liés au sang contaminé des années 1980 des comités provinciaux et territoriaux furent fondés et deux fournisseurs assurent actuellement l'approvisionnement de sang : la Société canadienne du sang pour toutes les provinces et les deux territoires à l'exception du Québec où Héma-Québec est le fournisseur homologué. Le présent travail analyse la balance délicate qui existe entre étatisation et conseil régional dans le domaine de l'acte altruiste que représente le don du sang et la surveillance rigoureuse par contrôle de qualité partiellement étatisé.
Dans la foulée des événements tragiques des années 80 pendant lesquelles l'approvisionnement en sang a été contaminé par le VIH et le VHC, le Canada a institué, en 1994, une enquête publique présidée par le juge Horace Krever pour comprendre pourquoi une telle tragédie s'était produite et comment le système pouvait être redéployé pour éviter de tels drames dans l'avenir.
Avant d'aller plus loin, il est important de comprendre l'environnement géographique et politique du Canada.
Le Canada est un vaste pays occupant une superficie de plus de 9,9 millions de km2 de l'Atlantique au Pacifique. C'est un pays qui, malgré son étendue, ne comprend que 31 millions d'habitants, la grande majorité de la population vivant au plus à quelques centaines de kilomètres de la frontière américaine, tout au long du 45e parallèle nord (fig. 1).
Sur le plan politique, le Canada est une confédération de dix provinces et de deux territoires : un gouvernement fédéral et douze gouvernements provinciaux et territoriaux. Le Québec est une de ces dix provinces et couvre une superficie de 1,6 million de km2 ; seulement sept millions d'habitants y résident. La Constitution canadienne a prévu la répartition des responsabilités entre les deux paliers de gouvernement. Le système de santé canadien est, quant à lui, régi par la Loi canadienne sur la santé (LCS). La LCS a pour objet de veiller à ce que tous les résidents admissibles du Canada aient, selon des conditions raisonnables, accès aux services assurés qui leur sont médicalement nécessaires sans avoir à débourser directement pour ces services aux points de service.
Le Ministère fédéral de la santé est partiellement responsable de l'administration de la LCS alors que les ministères provinciaux et territoriaux de la Santé sont responsables de la gestion et de la distribution des services de santé.
Par ailleurs, le Ministère fédéral est responsable en totalité de l'administration et de l'application de la Loi sur les aliments et drogues. Reconnus depuis 1989 comme des drogues biologiques, le sang et ses dérivés sont sous la juridiction fédérale et soumis à la Loi sur les aliments et drogues. Dans ce contexte, le droit fédéral réglemente la fabrication des produits sanguins alors que les provinces gèrent la fabrication et la distribution des produits sanguins.
Les deux fournisseurs de sang et produits sanguins au Canada fabriquent les produits sanguins sous licence fédérale et ils sont, à l'heure actuelle, subventionnés directement par les provinces. Les produits sanguins sont distribués gratuitement à tous les hôpitaux et aux patients partout au Canada.
De 1947 à 1998, le fournisseur de sang et de produits sanguins au Canada était les services transfusionnels de la Société canadienne de la Croix-Rouge. Depuis le 28 septembre 1998, ce sont deux fournisseurs qui remplissent cette fonction : la Société canadienne du sang pour toutes les provinces et les deux territoires sauf le Québec où Héma-Québec est le fournisseur homologué.
En décembre 1995, le juge Krever, président de la Commission d'enquête sur l'approvisionnement en sang au Canada doit déposer son rapport final suite à son enquête commencée en février 1994. Cependant, un certain nombre de personnes jugeant que le rapport pourrait porter atteinte à leur réputation décident d'empêcher, par voie des tribunaux, sa publication. Ce litige durera de janvier 1996 à octobre 1997, date de parution du rapport final.
Il faut se rappeler que le déclenchement de cette enquête publique résultait des pressions exercées par l'opinion publique canadienne désireuse d'obtenir des réponses sur les circonstances ayant mené à la contamination de l'approvisionnement sanguin dans les années 80. Conséquemment, le retard dans la publication du rapport du juge Krever a engendré une forte pression sur les politiciens. En avril 1996, lors d'une rencontre régulière, certains ministres de la Santé décidaient de mettre sur pied un comité provincial et territorial ayant pour objectif de planifier un nouveau système de gestion du sang au Canada. Au Québec, ce sera le Comité de l'approvisionnement et la distribution du sang au Québec (le Comité Gélineau) qui sera mandaté pour faire cette étude. Ce comité composé d'intervenants représentant les banques de sang, la santé publique, les médecins et le fournisseur de composants sanguins tient ses discussions et consultations à l'été 1996. Le Comité Gélineau dépose son rapport en novembre 19961 dans lequel il demande de redonner les responsabilités de la gestion du système du sang aux instances auxquelles elles devraient appartenir. Il recommande trois niveaux d'imputabilité à l'intérieur du système de gestion du sang :
I Un fournisseur, responsable et imputable de la qualité du produit.
I L'hôpital et ses médecins, responsables et imputables de la qualité des actes transfusionnels.
I Un comité d'hémovigilance, responsable de la surveillance de la santé publique en matière d'approvisionnement et de gestion du système de sang et redevable au ministre de la Santé et des Services sociaux de la province qui est imputable de la santé publique.
De novembre 1996 à l'été 1997, le ministre de la Santé avait clairement indiqué qu'il désirait que les services transfusionnels de la Croix-Rouge continuent d'assurer l'approvisionnement en sang au Québec. Toutefois, la Croix-Rouge annonce, en août 1997, qu'elle se retire complètement du programme du sang au Canada et ce, à compter de septembre 1998. Malgré les tentatives du ministre pour qu'elle demeure dans ce secteur d'activité au Québec, la Croix-Rouge maintient sa décision.
Le ministre a alors deux options : se joindre au nouveau fournisseur de sang qui est sur le point d'être créé au Canada et qui s'appelle alors Les Services canadiens du sang, ou créer un tout nouveau fournisseur local.
Dans la foulée du Rapport Gélineau et compte tenu de la volonté du ministre de clarifier les rôles des différents acteurs du système du sang, le ministère annonce en mars 1998 la création d'un fournisseur local au Québec et qui portera le nom d'Héma-Québec.
Par ailleurs, le rapport final de l'enquête publique Krever est publié en octobre 19972 et ce rapport forme maintenant la base du réalignement du processus de gestion du système du sang au Canada. Enfin, le Comité provincial et territorial recommande la mise en place d'un modèle centralisé de gestion de l'approvisionnement en sang pour toutes les autres provinces et les territoires. C'est ainsi que la Société canadienne du sang voit le jour.
Tel qu'illustré à la figure 2, le système d'approvisionnement en sang au Québec repose sur trois pôles d'imputabilité : le fournisseur, les hôpitaux et le comité d'hémovigilance, le tout étant intégré par un système d'information qui permettra une meilleure coordination et une rapidité d'action dans un contexte de gestion de risque à l'approvisionnement.
Voyons maintenant chacun de ces intervenants.
Un fournisseur imputable de la qualité du sang et des produits sanguins : Héma-Québec
Héma-Québec a été constituée comme une société à but non lucratif le 27 mars 1998 et a, par la suite, été encadrée par une loi spéciale, la Loi 438 entérinée à l'Assemblée nationale le 20 juin 1998. Comme le sang est réglementé par le gouvernement fédéral, Héma-Québec détient son permis d'exploitation et le maintient par des audits annuels ou plus fréquents de la Division de la réglementation des établissements de sang du Ministère de la santé fédéral.
Héma-Québec a pour mission de fournir avec efficience des composants et des substituts sanguins sécuritaires, de qualité optimale et en quantité suffisante pour répondre aux besoins de la population québécoise et d'offrir et de développer une expertise, des services et des produits spécialisés et novateurs dans le domaine de la médecine transfusionnelle et des greffes de tissus.
Héma-Québec est aussi une organisation tournée vers sa communauté par la composition de son Conseil d'administration. En effet, ce dernier représente les intervenants de la chaîne transfusionnelle entre le donneur et le receveur : il est composé de représentants des bénévoles du don de sang, des médecins transfuseurs dans les hôpitaux, des administrations hospitalières, de la santé publique, du milieu académique, du milieu des affaires et des receveurs.
Le conseil d'administration est assisté par trois comités consultatifs :
I Le Comité consultatif sur la gestion des risques et la sûreté de l'approvisionnement qui, comme son nom l'indique, donne des avis au conseil en ce qui a trait aux mesures à mettre en place pour assurer un approvisionnement sécuritaire.
I Le Comité consultatif médical et scientifique dont le rôle est d'orienter le conseil d'administration dans les choix de domaines de recherche dans lesquels Héma-Québec devrait uvrer.
La composition même de ces comités permet au conseil d'administration d'obtenir les opinions de groupes d'experts nationaux et internationaux complètement indépendants.
I Le Comité de liaison formé de receveurs locaux de sang et produits sanguins dont le rôle est déterminant en regard des décisions touchant la sûreté de l'approvisionnement en sang.
La sûreté de l'approvisionnement comprend également suffisamment de produits pour répondre aux besoins de la population. Le tableau 1 illustre certaines statistiques propres à Héma-Québec pour l'année 2002-2003. Depuis septembre 1998, les hôpitaux de la province ont été approvisionnés adéquatement et il n'y a pas eu de pénurie en composants sanguins.
L'hôpital et ses médecins imputables de la qualité des actes transfusionnels
C'est du côté des hôpitaux que les recommandations du Rapport Gélineau ont eu un impact majeur. En effet, c'est dans ce secteur d'activité que les besoins étaient les plus grands. Une bonne partie des recommandations ont déjà été mises en place et elles comprennent :
1. Le regroupement des banques de sang des 117 hôpitaux de la province en vingt groupes d'excellence formés de vingt hôpitaux désignés prenant en charge cinq à huit hôpitaux dits associés. Le rôle de l'hôpital désigné est d'assurer des pratiques transfusionnelles cliniques et de laboratoire de qualité. Pour mener à bien ce mandat, le Ministère de la santé a déboursé en 1999, des sommes qui ont permis aux hôpitaux désignés de se doter de chargés de sécurité transfusionnelle et de techniciens administrateurs pour la banque de sang.
2. De plus, des comités de médecine transfusionnelle ont été mis sur pied dans chaque groupe d'excellence. Le rôle de ces comités est, entre autres, d'assurer la mise en place et le maintien des normes de qualité tant technique que clinique, de faire le suivi des réactions transfusionnelles et de maintenir les différents intervenants de la chaîne transfusionnelle au fait des dernières approches qualité par la formation continue.
3. Le maintien des centres de traitement pour l'hémophilie. En effet, le Québec s'était doté en 1979 de quatre centres de traitement pour les hémophiles dans le but d'offrir à sa population souffrant d'hémophilie et autres maladies héréditaires de facteurs de coagulation, des traitements de pointe grâce à des groupes d'experts réunis dans ces centres. Le ministère a de plus désigné un hôpital responsable du traitement des patients aux prises avec des coagulopathies secondaires à la présence d'inhibiteurs de facteurs de coagulation.
4. La mise en place d'un système d'information unique pour toutes les banques de sang de la province qui permettra un meilleur suivi des produits sanguins, une meilleure traçabilité, un lien avec le fournisseur et avec le système de surveillance dans la transmission électronique des rapports de réactions transfusionnelles. Enfin, le système d'information permettra de mettre en place la tarification des produits sanguins et donnera aux hôpitaux un meilleur contrôle financier.
5. La mise en place de la tarification des composants sanguins se fera en date du 1er avril 2004. Tel que mentionné en ouverture, les produits sanguins sont distribués gratuitement à tous les hôpitaux canadiens depuis le début de la création des services transfusionnels de la Croix-rouge il y a plus de 50 ans. Les rapports Krever et Gélineau ont tous deux recommandé ce changement de paradigme pour les raisons suivantes : d'une part, dans le but de donner au fournisseur un élément additionnel de fonctionnement à distance du gouvernement et de lui permettre de prendre des décisions de sûreté en réduisant les risques d'intrusion politique et d'autre part, de permettre aux directeurs des banques de sang une plus grande flexibilité en matière d'utilisation de substituts sanguins. En effet, il est à l'heure actuelle très difficile de convaincre l'administration hospitalière d'acheter des substituts du sang lorsque ce dernier lui est fourni gratuitement. Ce changement de fonctionnement est profond tant pour le fournisseur que pour les hôpitaux.
Le Comité d'hémovigilance est le premier pôle d'imputabilité à avoir été créé en 1997, peu après le dépôt du Rapport Gélineau. Cette structure fait le pont entre les différents intervenants de la chaîne transfusionnelle : fournisseur, hôpitaux, équipes de santé publique et ministère. Le comité est formé de représentants des régies régionales de santé publique, de directeurs de banque de sang, des receveurs de produits sanguins, d'un représentant du Laboratoire de santé publique, d'un épidémiologiste et d'un spécialiste de l'éthique. Les représentants du fournisseur Héma-Québec et des représentants du Ministère de la santé sont des observateurs au Comité d'hémovigilance.
Le mandat du Comité d'hémovigilance est de permettre au ministre de la Santé de prendre les décisions appropriées en ce qui a trait à la prévention des risques inhérents à la transfusion. Le Comité d'hémovigilance est sous la responsabilité directe de la Direction de la santé publique du Québec. Le comité remplit son mandat en recevant, des différents acteurs du système, des renseignements sur les donneurs, les receveurs, les réactions transfusionnelles et en les analysant pour connaître et évaluer les risques. De plus, le comité est en lien avec les directions de santé publique des autres provinces et du gouvernement fédéral. Les liens internationaux sont également utiles pour la vigilance.
L'accent a d'abord été mis sur la surveillance des réactions transfusionnelles et cette activité a rapidement été établie. Depuis 2001, le Comité d'hémovigilance reçoit de façon régulière et électroniquement, les rapports de réactions transfusionnelles de tous les hôpitaux de la province. Ces rapports colligés permettent d'avoir pour la première fois une idée de la qualité de la pratique transfusionnelle au Québec et de mettre en uvre les actions correctives nécessaires.
Dans un système où les responsabilités sont bien délimitées, il existe un besoin de coordination qui est assuré par une structure mise en place par le Ministère de la santé qui s'appelle le Secrétariat du sang. Son rôle est de servir d'unique point de service au gouvernement, tant pour Héma-Québec que pour les hôpitaux. Pour mener à bien ce mandat, il reçoit les recommandations de deux comités :
I Le Comité consultatif national en médecine transfusionnelle (CCNMT) dont le rôle est, entre autres, d'assurer une harmonisation des pratiques transfusionnelles, de recommander la gamme de produits sanguins qui devraient être disponibles au Québec annuellement de même que leurs quantités. Le CCNMT est composé principalement de médecins engagés dans la pratique de la médecine transfusionnelle de même que de directeurs de banque de sang en plus de représentants des différentes professions uvrant dans le secteur de la transfusion. Un représentant d'Héma-Québec agit à titre d'observateur à ce comité.
I Le Comité de gestion et de l'approvisionnement et du financement dont le rôle est principalement de traduire en termes budgétaires les recommandations du CCNMT.
La nouvelle organisation du système du sang au Québec place le patient au cur des préoccupations de qualité du système ; elle exige de chaque intervenant une imputabilité pour la sécurité et l'efficience du système ; elle assure la coordination des différents intervenants via le Secrétariat du sang et des divers comités ; la répartition claire et précise des responsabilités et des imputabilités rassure le public en général et les patients en particulier lorsqu'il est question de la gestion du système du sang, de l'approvisionnement au lit du patient (de veine à veine) et de sa surveillance.