Ce n'est certes pas, en l'état actuel des données dont nous disposons, le scandale sanitaire du siècle naissant ; pour autant, c'est bien l'un des dossiers emblématiques de nos temps d'un confort mêlé d'angoisse, de refus obstiné du temps qui passe, de cécité volontaire face à l'avancée de l'éternité. En France, la nouvelle formule de la célèbre Revue du Praticien aborde avec tact, dans sa dernière livraison (datée du 15 mai 2003), ce bien beau dossier identifiable par une abréviation en passe de devenir nom commun : DHEA.Sans doute, les lecteurs de Médecine et Hygiène connaissent-ils les grandes lignes de cette affaire qui renvoie d'une part à la fontaine de Jouvence, de l'autre au traitement, à la fois substitutif et préventif, des différents stigmates de la sénescence. «Faut-il prescrire la DHEA ?» se demande, dans la première «Tribune» de la nouvelle Revue du Praticien, Jacques Young (service d'endocrinologie et des maladies de la reproduction, hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre). La rigueur endocrinologique voudrait que l'on parle ici, plutôt que de DHEA, de sulfate de déhydroépiandrostérone (SDHEA), ce précurseur androgénique produit dans les deux sexes par la couche réticulée du cortex surrénal. La rigueur impose aussi de rappeler que nous parlons ici du stéroïde dont la concentration plasmatique est la plus élevée dans l'espèce humaine alors que douceur des paradoxes contemporains son rôle et sa fonction demeurent très mal connus.Deux certitudes, toutefois : la DHEA (forme libre) et le SDHEA (forme sulfoconjuguée) sont en interconversion métabolique permanente dans les organismes humains ; les évolutions des taux plasmatiques du SDHEA au cours de la vie sont désormais bien connues.«Au cours de la petite enfance, les concentrations plasmatiques sont très basses, écrit Jacques Young. L'adrénarche, survenue vers l'âge de 8-9 ans, est marquée par une augmentation de la production des androgènes de la surrénale et notamment du SDHEA. Les taux plasmatiques les plus élevés s'observent entre 5 et 45 ans, puis décroissent pour atteindre des taux faibles après 60 ans. Le vieillissement est donc une des étapes de la vie associée à une diminution du SDHEA.» Voilà qui est dit, établi, incontestable. D'où vient le trouble ? Jacques Young : «Une offensive médiatique sans précédent, dirigée directement vers le grand public et visant à court-circuiter les canaux de santé habituels se développe depuis quelques années en France et outre-Atlantique en faveur de la consommation sans restriction chez les personnes âgées de la DHEA.»Sans doute faudrait-il revenir, un jour prochain, sur les racines de cette «offensive médiatique», sur l'enchaînement des événements qui firent que, ces dernières années, les «médias» occidentaux vantèrent de manière récurrente et sans nuance aucune les vertus de la consommation de la DHEA. Où sont, ici, les véritables responsabilités ? Qui est le vrai «grand prescripteur» de la DHEA ? Comment comprendre qu'il y ait un tel décalage une telle régression entre les incertitudes physiologico-pharmacologiques et les pratiques médicales ? La quête de la vie éternelle est-elle à ce point prégnante qu'on en accepte aussi vite de goûter aux délices de la régression ?Jacques Young : «Le concept de base programmé est le suivant : la baisse de la DHEA avec l'âge serait responsable de la morbidité liée au vieillissement. Une prévention serait donc possible par l'administration de ce stéroïde, à des doses substitutives chez les personnes âgées. La DHEA serait une pilule de Jouvence ou "anti-âge".»Pourquoi, dès lors, ne pas faire brièvement le point sur le métabolisme de ce stéroïde surrénal, sur la réalité de ce que nous livrent les publications médicales le concernant ; ou, pour le dire en d'autres termes, les conséquences potentielles de sa carence, les bénéfices éventuels de sa prescription ainsi que les effets secondaires que l'on peut attendre (redouter ?) d'une telle prescription ? Il faut ici rappeler que la couche réticulée du cortex surrénal produit et sécrète essentiellement la forme sulfatée de ce stéroïde, la biosynthèse de la forme libre étant minoritaire. «Les dosages de DHEA libre plasmatique ne sont fiables que dans les laboratoires très spécialisés et les valeurs rendues habituellement sont souvent surestimées, donc inutilisables dans la plupart des cas» précise Jacques Young. Le deuxième problème pratique est celui des valeurs normales. Malheureusement, la plupart des laboratoires faisant cette mesure n'ont pas encore défini des normes par tranches d'âge et en fonction du sexe, ce qui rend aléatoire l'affirmation d'un taux «bas» ou «élevé».Comment, dès lors pourrait-on aisément se retrouver dans ce dédale biologique, physiologique et diagnostique ; sur cette toile de fond où le rêve du confort à connotation bien évidemment sexuée le dispute à la possible prévention des effets d'une sénescence que l'on campe, au gré des appétits et des conceptions, dans le champ de la normale fatalité ou de la pathologie insupportable. C'est dire si la DHEA, ses fabricants et ses demandeurs, les médecins qui la prescrivent en chantant comme les pharmaciens d'officine qui la délivrent sans sourciller, ont de beaux jours devant eux. Mais sans doute allons-nous, ici, un peu vite en besogne.(A suivre)