Nous poursuivons ici notre propos sur la situation totalement irrationnelle qui prévaut aujourd'hui en France notamment à propos de la DHEA, de sa prescription et de sa délivrance comme des données scientifiques actuellement disponibles concernant son usage chez l'homme (Médecine et Hygiène du 18 juin 2003). Il est bien établi que l'essentiel des effets documentés et reproductibles de la DHEA résulte de la conversion de cette molécule en stéroïdes sexuels. «L'action la plus souvent retrouvée dans les différents essais cliniques est une amélioration très modérée de la libido chez la femme très âgée ou avec une insuffisance surrénale, résume Jacques Young (Service d'endocrinologie et des maladies de la reproduction, hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre) dans le numéro du 15 mai de La Revue du Praticien. Les effets strogéniques sur la densité minérale osseuse, l'ostéoformation et l'ostéorésorption sont très modestes et d'autres actions, comme les modifications de la composition corporelle, l'amélioration du «bien-être», ou bien l'augmentation du facteur de croissance IGF1 ne sont pas retrouvées par tous les auteurs.»Pour ce spécialiste, il importe de noter que tous les effets bénéfiques ont été rapportés chez des femmes ayant des concentrations initiales très basses de DHEA et de testostérone, qu'elles soient âgées ou atteintes d'une insuffisance surrénale. Chez l'homme, fut-il âgé, la DHEA «ne semble pas avoir d'effet bénéfique reproductible.»Dès lors, que conclure quant à l'usage chronique de cette molécule dans le but d'atténuer, de «gommer» tout ou partie des symptômes du vieillissement ? Il faudrait pour cela détenir la preuve que les effets reproductibles de la DHEA ne tiennent pas qu'à la conversion de ce précurseur stéroïdien en stéroïdes sexuels. Or si l'on ne peut exclure que cette molécule puisse avoir des effets spécifiques indépendants de son action métabolique sur les androgènes et les strogènes, l'affaire, loin d'être prouvée, fait l'objet d'une sérieuse controverse.Jacques Young : «Malgré quelques annonces alléchantes, aucune preuve n'a été apportée de l'existence, dans l'espèce humaine, d'un récepteur spécifique bien caractérisé de la DHEA ou de son sulfate, condition à tout effet biologique propre.» Les avocats d'une voie métabolique autre, de nature à justifier l'usage de la DHEA à des fins de Jouvence, ne peuvent avancer que des éléments parcellaires obtenus chez le rongeur ou sur des cellules endothéliales bovines. C'est, pour le dire simplement, bien mince. Tout comme est bien mince le raisonnement qui, partant de l'observation que les concentrations plasmatiques en DHEA diminuent avec l'âge (ce qui explique pour partie seulement certains des symptômes du vieillissement) conclut que l'administration chronique de cette molécule permettra de lutter contre le vieillissement.Un exemple : la vieillesse n'est pas la seule période de la vie durant laquelle les taux plasmatiques de DHEA et de son sulfate sont très bas. L'enfance, par exemple, s'accompagne d'une absence de sécrétion de cet androgène surrénal. Faudrait-il, au motif que les taux de DHEA chez la petite fille âgée de moins de sept ans sont près de 20 fois inférieurs à ceux retrouvés dans le sang de cordon, préconiser chez elle l'administration d'une complémentation hormonale ?Comme le rappelle Jacques Young dans les colonnes de La Revue du Praticien, dans ce maquis d'incertitudes et de réclames, de doutes et de commerces nourris d'illusions une donnée fiable : celle fournie par des travaux récents conduits chez des femmes ménopausées ou addisoniennes qui ont montré que la plupart des effets observés après traitement «substitutif» par la DHEA pouvaient être expliqués par la conversion de cette molécule en stéroïdes sexuels et tout particulièrement en testostérone. «Ces études ont eu comme mérite de souligner l'intérêt potentiel d'un apport androgénique chez les femmes carencées en hormone mâle et de montrer que la testostérone pouvait jouer un rôle sur le bien-être et la sexualité» souligne-t-il.On pourrait dès lors discuter des avantages respectifs de l'administration de DHEA et de testostérone. La première présenterait de ce point de vue quelques avantages pharmacocinétiques.Mais nous ne sommes là que dans un domaine prospectif et rien ne permet, en toute rigueur, de tirer des quelques éléments préliminaires que nous venons de résumer un argumentaire et une justification pour des traitements substitutifs de longue durée chez les femmes ménopausées. Rien en d'autres termes ne permet de faire l'économie de la démonstration à grande échelle que les bénéfices sanitaires attendus sont ici supérieurs aux risques encourus, que la prescription de la DHEA est un geste raisonnable tant à l'échelon individuel et collectif. Pour autant, les forces sont là qui font s'éloigner prescripteurs et «consommateurs» des rivages de la raison raisonnante pour les eaux délicieuses autant que profondes de la régression.(A suivre)