Achevons ici notre propos sur le dossier exemplaire de la DHEA quant à l'évolution des pratiques médicales de notre époque (Médecine et Hygiène des 18 et 25 juin 2003). On connaît l'engouement, de part et d'autre de l'Atlantique pour la consommation à des fins «anti-âge» (quelle formule !) de la forme libre de ce précurseur androgénique produit dans les deux sexes par la couche réticulée du cortex surrénal. Engouement que rien, d'un strict point de vue endocrinologique, ne justifie et qui soulève des questions majeures quant aux possibles conséquences d'une consommation chronique de cette molécule. Poser la question de la légitimité de la prescription médicale de DHEA c'est, pour faire court et au vu des données disponibles dans la littérature, poser la question des effets observés chez des femmes ménopausées ou addisoniennes ; chez elles, les quelques effets positifs (et parfois négatifs, notamment à forte dose) reproductibles qui ont pu être observés peuvent être expliqués par la conversion de cette hormone en stéroïdes sexuels et tout particulièrement en testostérone.Deux questions dès lors s'imposent. La première est de savoir si les données actuellement disponibles sont dès à présent suffisantes pour recommander chez la femme «âgée» (ou plus précisément «ménopausée») l'administration quotidienne de DHEA. Cela semble, en toute rigueur, bien peu vraisemblable. La difficulté, à l'évidence, tient à la nature des bénéfices escomptés qui se situent pour l'essentiel dans le champ de la «libido», de la «sexualité», de la sensation de «bien-être» et de la «qualité de la peau», autant de paramètres de l'ordre de l'intime, peu accessibles à la mise en chiffres et à la reproductibilité.La seconde question, à supposer que la première ait pu être résolue par de futurs travaux prospectifs, est celle de savoir comment on prendra en compte le calcul des bénéfices obtenus et des risques encourus. Car ces risques doivent être pris en considération, l'administration de la DHEA ayant pour effet androgénique de diminuer la fraction plasmatique de HDL-cholestérol ce qui, on ne le sait que trop, peut avoir des conséquences pathologiques cardiovasculaires nullement négligeables dès lors que l'administration se ferait sur un mode chronique. On ajoutera, dans le même ordre d'idées, que la conversion en strogène entraîne une augmentation de l'incidence de l'hyperplasie de l'endomètre et, très probablement, une augmentation potentielle du risque de cancer du sein similaire à ce qui a pu être décrit et contesté il est vrai avec certains traitements hormonaux substitutifs de la ménopause.Entre engouement collectif (alimenté par certains scientifiques via une presse caressant son audience dans le sens du poil), efficacité incertaine, risques sanitaires potentiels et nécessité d'une prescription médicale, quelle peut être la position des autorités gouvernementales et professionnelles ? L'exemple de la France ce pays qui a poussé plus que n'importe quel autre à la mise en uvre du principe de précaution n'est pas inintéressant. Saisie par les pouvoirs publics, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a, il y a deux ans déjà, souhaité que la DHEA soit assujettie à la réglementation du médicament, qu'une large information du public soit organisée et que l'usage de la DHEA soit officiellement déconseillé en dehors des rares indications thérapeutiques pour lesquelles l'insuffisance surrénale elle a démontré son efficacité.Tout ceci n'a nullement freiné les ventes et les prescriptions. Tout cela n'a pas non plus empêché quelques scientifiques de renom de participer à diverses émissions télévisées au cours desquelles des femmes et des hommes plus ou moins âgés disaient à quel point la DHEA leur procurait un nouveau confort de vie. Autosuggestion en chaîne ? Mise en abyme et effet placebo ? Reste le Conseil national (français) de l'ordre des médecins qui recommande aux «consommateurs» d'être «prudents» et aux médecins «de ne pas répondre favorablement aux sollicitations de ces demandeurs». Cette instance «rappelle aux médecins qu'ils engagent leur responsabilité par leur prescription, si des complications ultérieures étaient attribuées à la prise de ce produit» et «souhaite que des études de scientifiques de qualité permettent dans les meilleurs délais de lever les incertitudes.» Cette prise de position est datée du 26 juillet 2001. Deux années plus tard, force nous est d'observer que le brouillard de l'incertitude demeure toujours aussi épais. Mais qui, véritablement, souhaite le voir se dissiper ? A-t-on jamais voulu connaître la composition exacte des liquides sortant de la Fontaine de Jouvence ou de l'officine de l'abbé Soury ?(Fin)