Historiquement, nous sortons d'une longue période où les addictions faisaient l'objet d'un jugement moral : les alcooliques et les toxicomanes étaient représentés comme relevant du vice, de la paresse et de la mauvaise volonté. L'impuissance des médecins reléguait la problématique au monde social avec d'importants clivages médico-sociaux. Les patients se dégradaient lentement avec une médecine qui s'occupait avant tout des conséquences somatiques, surtout tardives. L'offre de soins du réseau thérapeutique était surtout dirigée par des préoccupations idéologiques. La population des patients addictifs était marginalisée, stigmatisée et paupérisée. A patients pauvres, médecine pauvre, formation hétéroclite et recherche en retard.Heureusement, tout cela change fondamentalement depuis une dizaine d'années, notamment depuis l'épidémie de sida, mais aussi avec les progrès des neurosciences et de l'épidémiologie clinique. Nous assistons à l'émergence d'une nouvelle discipline médicale, la médecine de l'addiction, qui nous fait passer du jugement moral au jugement clinique. Nécessairement multidisciplinaire, la médecine de l'addiction s'appuie sur la recherche fondamentale, comme la biologie moléculaire ou l'imagerie fonctionnelle et les modèles animaux, mais aussi sur la recherche clinique tant en médecine qu'en psychiatrie. De plus la politique dite des quatre piliers implique des collaborations avec de nombreuses autres catégories professionnelles (justice, écoles, etc.). Les addictions constituent un paradigme de maladie complexe, aux carrefours psychosocial et psychosomatique. Elles sont un modèle qui constitue un défi pour la médecine du siècle à venir, une médecine s'appuyant sur la recherche de pointe pour un service à la communauté.Les médecins de premier recours jouent un rôle central dans le dispositif de soins des addictions. Depuis l'accueil offrant neutralité et diagnostic multidimensionnel, jusqu'au contrat thérapeutique avec partenaires en réseau, les praticiens doivent rester «motivationnels» en choisissant le niveau de soins adapté à leurs patients. C'est pourquoi l'Office fédéral de la santé publique a soutenu ces trois dernières années le Collège romand de médecine de l'adddiction (COROMA, www.romandieaddiction.ch) une mise en réseau de la médecine somatique et psychiatrique, publique et privée, ambulatoire et hospitalière ou résidentielle, avec appui des médecins de premier recours par les services universitaires de Lausanne et de Genève. Le COROMA a servi de modèle de référence pour la constitution de la nouvelle Société suisse de médecine de l'addiction (www.ssam.ch) dont les objectifs au niveau national sont de promouvoir la qualité des soins, la formation et la recherche dans le domaine.Le numéro de Médecine et Hygiène que vous tenez dans les mains tente de vous montrer un panorama des tendances en médecine de l'addiction par quelques éclairages illustratifs : réduction des risques, rétention en traitement, thérapies cognitivo-comportementales, approche psychopharmacologique, entretien motivationnel et approche systémique. La plupart des substances et des catégories de patients seront abordées dans le but d'offrir au praticien une vue d'ensemble des concepts et des instruments à sa disposition.