Cet article expose des outils de l'«Entretien motivationnel» pour son utilisation au cabinet médical.L'abord des problèmes d'alcool est délicat et nécessite des stratégies d'ouverture. L'ambivalence est au cur du processus de changement et agit comme un balancier selon l'attitude de l'intervenant. La motivation au changement se construit sur les contradictions qui émergent de l'exploration de l'ambivalence. La disposition au changement est transitoire d'où l'importance de négocier un plan.
«L'entretien motivationnel est une approche centrée sur le patient, visant à amener à un changement de comportement en aidant le patient à explorer et à résoudre son ambivalence». L'ambivalence est constituée de tendances opposées qui bloquent les perspectives de changement, en l'occurrence arrêter ou non de boire.
La motivation au changement doit venir du patient, elle ne peut être imposée de l'extérieur. L'entretien se déroule dans une atmosphère empathique, dénuée de confrontation, sollicitant une participation active du patient. L'entretien motivationnel ne recourt pas à l'argumentation pour confronter la personne à sa tendance à minimaliser ses problèmes d'alcool. La recherche a montré que face à un intervenant qui argumente et qui confronte, la personne se sent attaquée, participe moins pleinement à son traitement, résiste aux conseils qu'on lui donne et adopte un point de vue opposé à celui de l'intervenant pour retrouver un espace d'autonomie.
Une attitude thérapeutique empathique tente de percevoir les choses au travers des yeux du patients, en se mettant à sa place pour percevoir ce qu'il peut ressentir. Une personne qui se sent comprise est davantage disposée à s'ouvrir et à partager ses expériences, ce qui lui permet de mieux se représenter quelles sont ses ressources, ses points faibles face au processus de changement et ses croyances autour de l'usage du produit.
Un focus de discussion large permet une entrée en matière non menaçante.
Dr Jean Préviens : J'aimerais vous poser quelques questions sur vos habitudes de vie : l'alimentation, le sport, le tabac et l'alcool.
Demander la permission instaure une collaboration.
Dr J. P. : Est-ce que je peux vous poser des questions sur votre consommation d'alcool ?
Poser des questions ouvertes (questions qui n'invitent pas à une réponse brève) laisse le choix au patient, ce qui paradoxalement est davantage propice à la confidence.
Dr J. P. : Dans quelles circonstances buvez-vous de l'alcool ?
L'ambivalence agit comme un balancier. Si le médecin prend le parti du changement, le patient va s'en défendre et argumenter pour le statu quo afin de conserver son autonomie de décision. L'intervenant aide le patient à explorer en profondeur son ambivalence mais ne prend pas parti.
Dr J. P. : Pouvez-vous me parler des bonnes choses de votre consommation ?
Puis...
Dr J. P. : ... et des moins bonnes choses ?
Le recours à des questions évocatrices favorise l'exploration en profondeur puis aide le patient à se positionner par rapport à son ambivalence.
Dr J. P. : Et encore ? (plutôt que : y a-t-il autre chose ?)
Résumer permet de consolider le processus au fur et à mesure et de développer les contradictions. L'intervenant met côte à côte les arguments des deux pôles de l'ambivalence, ce qui fait émerger les contradictions. Des questions évocatrices aident le patient à se positionner par rapport à ses contradictions.
Dr J. P. : Donc d'un côté, voici ce que vous apporte la consommation, soit ... et d'un autre côté, voici les répercussions négatives que vous déplorez, soit... Est-ce que je vous ai bien compris ?
Dr J. P. : Qu'en pensez-vous ?
ou
Dr J. P. : Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?
La résistance au changement (le déni) n'est pas une caractéristique propre au patient mais le produit d'une interaction patient-thérapeute. La résistance est le signal que l'intervenant surestime le degré de préparation au changement ou qu'il se montre trop confrontant.
Le problème le plus souvent évoqué par les médecins dans la prise en charge des problèmes d'alcool est de faire face au déni. Face à la résistance, l'entretien motivationnel préconise un changement de stratégie, le thérapeute ne doit pas briser la vague du déni mais rouler avec. L'entretien a lieu dans un climat d'empathie et repose sur le principe que la décision finale de changement appartient au patient. La relation thérapeutique correspond à un partenariat, l'intervenant respectant l'autonomie et la liberté de choix du patient. Les arguments défensifs déployés par le patient face au changement ne sont pas débattus. Au contraire, l'intervenant se colle aux vues de la personne et l'encourage à verbaliser de manière approfondie ce qui fait résistance. La résistance puise son origine dans la peur du changement, l'argumentation rationnelle n'est guère utile, la personne étant d'ailleurs souvent parfaitement consciente de l'aspect irrationnel de ses peurs. Par contre, se mettre du côté de la résistance, c'est reconnaître à la personne le droit d'avoir peur et de ne pas se sentir prête.
Une façon de réduire la résistance consiste simplement à répéter ou reformuler ce que la personne a dit. Ceci l'informe d'une part que vous l'avez entendue et d'autre part que vous n'avez pas l'intention d'argumenter avec elle.
Patient : Je ne peux pas arrêter de consommer, tous mes amis boivent !
Dr J. P. : Arrêter de consommer vous semble presque impossible parce que vous êtes la plupart du temps avec des amis qui boivent.
Patient : Oui c'est ça, mais je pourrais peut-être y arriver en...
Une autre manière de faire face à la résistance consiste à amplifier ou à exagérer les propos du patient au point qu'il va relativiser de lui-même sa propre argumentation.
Patient : Je ne peux pas arrêter de consommer, tous mes amis boivent !
Dr J. P. : Ah oui je vois, vous ne pourriez vraiment pas arrêter parce qu'à ce moment-là vous seriez différent des autres.
Patient : Oui, ça me rendrait différent d'eux, quoique ça ne leur ferait pas grand chose du moment que je leur fiche la paix avec leur consommation.
On peut aussi refléter à la fois les résistances et les éléments motivationnels pour une même perspective de changement.
Patient : Je ne peux pas arrêter de consommer, tous mes amis boivent !
Dr J. P. : Vous ne voyez pas comment vous feriez pour ne pas boire en présence de vos amis et, en même temps, vous êtes inquiet en constatant les problèmes liés à votre consommation.
Patient : Oui, je ne sais pas trop quoi faire.
... ou simplement changer de sujet. Il est souvent inutile de vouloir dépasser la résistance et paradoxalement on avance davantage en n'y répondant tout simplement pas.
Patient : Je ne peux pas arrêter de consommer, tous mes amis boivent !
Dr J. P. : Vous allez beaucoup trop loin. Je ne suis pas en train de vous parler d'arrêter de boire et je ne crois pas que ce soit vraiment votre objectif en ce moment. Restons-en à évoquer ensemble ce que signifie pour vous votre consommation, les choses bonnes et moins bonnes qu'elle vous apporte, et plus tard nous verrons ce que vous comptez faire.
Resituer est une stratégie qui permet au patient d'examiner ses perceptions sous un autre jour. De cette manière un sens nouveau est apporté à ce qu'il dit. Par exemple, une personne se plaint de son conjoint qui lui dit sans cesse de se faire soigner :
Patient : Elle me dit tout le temps ce que je dois faire.
Dr J. P. : Votre épouse doit beaucoup tenir à vous pour vous dire ça alors qu'elle sait que ça vous met en colère.
Ou encore...
Patient : De toute façon je supporte très bien l'alcool, je ne suis jamais soûl.
Dr J. P. : Cette tolérance à l'alcool signifie que vous avez perdu les mécanismes de défense naturels qui empêchent de boire trop d'alcool.
Le patient est responsable des choix et des actions qu'il entreprend et l'intervenant le soutient dans ses efforts. Soutenir le sentiment d'efficacité personnelle, c'est affirmer au patient qu'il a la capacité de changer, un élément motivationnel important pour le succès d'un changement. Il n'existe pas de «bonne» ni de «mauvaise» façon de procéder pour changer ; c'est la créativité propre à chacun qui est en jeu. Une méthode efficace pour soutenir le patient dans sa capacité d'arrêter de boire consiste à s'enquérir des changements constructifs antérieurs qu'elle est parvenue à réaliser. Le partage des expériences antérieures réussies aide à démontrer que le changement est possible.
Patient : Je suis incapable d'arrêter de boire.
Dr Jean Préviens : Vous avez pourtant déjà arrêté de boire plusieurs mois.
Lorsque le patient est prêt à s'engager dans une démarche (sevrage, rencontrer un intervenant spécialisé en alcoologie ou une association d'entraide, etc.), le ton et la forme du discours changent : la perspective de solutions apaise et le futur se teinte d'espoirs.
Une port s'ouvre ... la disposition au changement est quelque chose de fugace car elle représente une rupture d'équilibre et le retour à l'état antérieur paraît toujours plus facile qu'aller vers un nouvel équilibre.
Le rôle du médecin à ce moment-là est déterminant : il doit être en mesure d'informer et de conseiller son patient par rapport aux différentes démarches possibles, mais il est essentiel auparavant de lui avoir demandé la permission de le faire.
Dr Jean Préviens : Est-ce que je peux vous faire part des différentes possibilités thérapeutiques existantes ? Si vous le souhaitez je vous conseille volontiers.
En fonction de ce que le patient choisira, on réalisera avec lui un plan de changement.
Dr J. P. : Vous choisissez donc de faire un sevrage ambulatoire. Vous allez d'abord prévenir votre employeur que vous serez à l'arrêt maladie pour une semaine puis nous nous verrons tous les jours pendant trois jours pour effectuer ce sevrage. Dans un deuxième temps, nous commencerons une médication pour diminuer l'appétence à l'alcool. Parallèlement, vous souhaitez vous rendre à des groupes d'entraide. ça me paraît solide, je vous félicite !