«Sous le soleil exactementPas à côté, pas n'importe oùSous le soleil, sous le soleilExactement juste en dessous»Ces paroles (signées de Serge Gainsbourg, comme la musique qui leur colle à la peau) datent de 1967. Trente-six ans déjà que la voix d'Anna Karina, 33 tours de vinyl, secoue les corps et les curs. L'aurions-nous oubliée qu'elle reviendrait dare-dare avec la canicule ambiante. Ignorant, sur nos terrasses parisienne et tourangelle, l'intensité des températures atmosphériques de la Confédération helvétique, nous sommes réduit, une fois de plus, à prendre le risque d'être accusé de «francomorphisme».Et pourtant ; force est de reconnaître que notre Hexagone (merci, général Charles de Gaulle, pour l'image géométrique de notre cher et vieux pays) a encore bien des leçons à donner au monde. Et, en l'occurrence, de bien tristes leçons. A l'heure parisienne où nous écrivons ces lignes, dans le lendemain gris d'une superbe assomption toulousaine (à visiter, d'urgence, la cathédrale Saint-Alain de Lavaur bâtie en 1254 à un jet de colombe du massacre par le feu de quelques centaines de cathares de la ville.) C'est un autre massacre qui nous occupe aujourd'hui ; la mort indue, en quelques jours, de plusieurs milliers de nos contemporains victimes de la canicule associée à la solitude.L'histoire dira un jour prochain les responsabilités, les fautes, les errances individuelles et collectives de ce qui est d'ores et déjà présenté comme un scandale politique autant que sanitaire. Que dire ? La France a connu dans les quinze premiers jours du mois d'août, des températures hors du commun. Plus de trente degrés à l'ombre et des nuits calorifuges dont aucune mémoire ne conservait la trace. Une étude que vient de lancer, à la demande du gouvernement, l'Institut national de veille sanitaire devrait prochainement permettre d'évaluer le nombre de personnes qui ont succombé à cet épisode caniculaire. A l'heure où nous écrivons, le chiffre de 3000 est tenu pour acquis. Cette étude ne permettra malheureusement pas de dire combien, parmi ces victimes, auraient pu être sauvées. Il eut fallu pour cela que l'on ait songé, collectivement, à prendre quelques mesures de prévention efficaces, aussi simples que peu coûteuses, pour protéger les personnes les plus exposées, au premier rang desquelles les personnes âgées vivant dans cette «moderne solitude» chantée par l'un des plus gentils des troubadours francophones de notre époque. C'est ainsi : l'épisode caniculaire que vient de vivre la France a mis en lumière une série de graves dysfonctionnements qui ont concerné des secteurs aussi apparemment étrangers que l'organisation d'une action de prévention couplée avec les prévisions météorologiques, les capacités estivales du système de soins d'urgence et d'hospitalisation ou encore la surveillance sanitaire de pathologies estivales.On tirera, un jour prochain, les leçons de tout cela. On dira alors que les conséquences sanitaires de cette affaire dépassent de beaucoup la seule responsabilité du gouvernement français comme l'ont laissé entendre plusieurs responsables du Parti socialiste. On soulignera alors que Jean-François Mattei, généticien et ministre de la Santé, a politiquement tardé à prendre en temps et en heure l'ampleur du phénomène. D'autres diront que ce médecin devenu ministre a commis une faute majeure en ne comprenant pas qu'il lui fallait en la circonstance interrompre ses vacances d'été. Comment a-t-il pu ne pas mesurer les dégâts de son intervention télévisée, en chemisette, à la télévision sur le sujet depuis sa villégiature varoise ? Il déclarait alors nous étions le 11 août à l'acmé de la crise qu'il avait «conscience de la réalité du problème» posé par la canicule et que cette dernière «n'était pas prévisible». Il prenait alors le risque de ne pas répondre aux accusations de ceux qui, au sein du corps médical français, estiment que les pouvoirs publics sont coupables de ne pas avoir su prendre les mesures préventives qui s'imposaient dès les premiers jours de la canicule. Savait-il, ce ministre de la Santé, que les conséquences sanitaires des périodes de fortes chaleurs avaient fait l'objet de travaux médicaux et de publications scientifiques depuis près d'un siècle ? Ses services l'avaient-ils informé du fait que ces travaux, depuis plusieurs décennies déjà, permettaient de disposer de données fiables quant à la conduite préventive que les responsables politiques et les professions de santé doivent tenir ? L'ensemble des enseignements issus de ces travaux a été publié l'an dernier, sous la signature de Rupa Basu et Jonathan M. Samet (département d'épidémiologie, Johns Hopkins University, Baltimore) dans la revue Epidemiology Reviews.(A suivre)