L'homme n'agit pas sur le cours des astres et nos gouvernants ne pèsent parfois guère sur le cours des choses. Ainsi en est-il de cette canicule que vient de vivre la France et qui, de catastrophe sanitaire pourrait bien se transformer en affaire d'Etat. Nous évoquions, il y a peu, (Médecine et Hygiène du 27 août) les premières leçons qui pouvaient être tirées de ce phénomène. On parlait alors de 3000 morts directement liées aux fortes chaleurs de la première quinzaine du mois d'août. Après des estimations officielles montant à 5000 décès, le chiffre de 10 000, voire 13 000 est avancé. A l'heure où nous écrivons, plusieurs centaines de cadavres de personnes âgées dont les descendants n'ont pas été identifiés sont, à Paris et dans quelques grandes villes, conservés dans des entrepôts et des camions frigorifiques. En quelques jours, la France du futur et de la modernité réunis, celle du TGV et de la fusée Ariane montre un bien sale visage.Tout cela laissera bien évidemment des traces. Pour l'heure, le politique cherche à trouver la parade. Plus précisément ceux qui sont au pouvoir invoquent la fatalité et la nécessaire recherche de la solidarité alors que les opposants crient à l'incurie de ceux qui nous gouvernent. Au lendemain de son retour de vacances canadiennes, Jacques Chirac a prononcé une allocution solennelle entièrement consacrée à la canicule. Il a voulu donner sa pleine mesure à la catastrophe sanitaire tout en annonçant que des mesures importantes seraient rapidement prises. Il s'agira notamment de faciliter à l'avenir la tâche des soignants des services hospitaliers d'urgence. Il s'agira aussi d'obtenir que la plus grande transparence soit faite quant aux responsabilités des cabinets ministériels et de la haute administration. Le chef de l'Etat français aura-t-il pour autant comblé le déficit de la prise de parole des responsables politiques ? Fera-t-il oublier le formidable décalage entre la compréhension de ce qui se jouait par les ministres concernés et la réalité sanitaire telle que la vivaient les sapeurs-pompiers de Paris, les équipes des SAMU et des urgences hospitalières, les soignants des services de gériatrie ? Obtiendra-t-il que les failles dans la prise en compte gouvernementale de cette urgence sanitaire ne transforment pas bientôt une tragédie en un scandale ? Il est encore trop tôt pour répondre.Cette opinion, qui balance entre fatalité et défaillance publique, prend dans le même temps la mesure des béances de notre tissu social. Combien de centaines, de milliers de morts survenues dans l'étouffant silence des «établissements d'hébergement pour personnes âgées» ? Combien de mains absentes qui, si une alerte solennelle avait été lancée, auraient pu être là pour apporter des boissons fraîches, des linges mouillés, des brumisateurs et des ventilateurs à ceux que la France bien pensante n'ose plus appeler «seniors» puisqu'ils n'ont plus d'existence dans la société marchande ?Un petit texte en dit long sur ce que nous venons de vivre. Il a été adressé par courrier électronique, dans la matinée du vendredi 8 août, par le Pr Marc Verny, spécialiste de médecine gériatrique à la direction du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le Pr Verny explique alors avoir observé une série de cas possibles d'hyperthermie. «Depuis 36 heures, nous avons été confrontés dans le service de gériatrie de l'hôpital de la Salpêtrière à 3 cas d'hyperthermie supérieure à 40°C dont deux décès chez des personnes âgées présentant des affections sévères, écrit le Pr Verny. D'après les contacts que nous avons eu avec des collègues gériatres, d'autres cas ont été recensés dans différents hôpitaux de l'AP-HP ainsi que sur notre groupe hospitalier ayant entraîné le décès d'au moins deux patients cette nuit (1 cas dans le service du Pr Baulac à la Salpêtrière, 1 cas dans le service du Pr Piette à l'hôpital Charles Foix d'Ivry) (
). Ces cas présentent un certain nombre de similitudes : l'hyperthermie commence de façon brutale, d'emblée supérieure à 39°C (
). Le diagnostic pour nous le plus probable est celui de "Coup de Chaleur" (
). Au total les problèmes rencontrés sont à mettre en relation avec les conditions climatiques particulières. Les cas risquent de se multiplier et notamment dans les services où il y a des patients âgés, des patients avec des atteintes neurologiques ou psychiatriques gênant la communication. Des mesures doivent être prises pour tenter de faire baisser la température corporelle de ceux qui seraient touchés : les découvrir, bains et douches fraîches, vessies de glace, linges humides frais, boissons abondantes fraîches et éviter l'absorption d'aliments très chauds
»A l'attention de la direction de l'AP-HP, le Pr Verny ajoutait : «Pour notre service, merci de tout mettre en uvre pour que les moyens matériels et humains soient déployés dans les meilleurs délais pour éviter tout nouveau décès.»(A suivre)