L'éradication de l'endobrachysophage (EBO), et particulièrement de la métaplasie intestinale, est l'objectif idéal pour prévenir la dysplasie et le cancer ; cet objectif est actuellement réalisable en associant à la destruction de l'EBO un traitement optimum du reflux gastro-sophagien. Après destruction de la métaplasie intestinale, on doit obtenir une repousse d'une muqueuse malpighienne normale ; cependant, une récidive limitée de l'EBO est constatée chez près d'un quart des patients. Bien que ce type de traitement puisse prévenir l'apparition de l'adénocarcinome, compte tenu de la faible incidence du cancer sur EBO et de l'âge souvent tardif lors de sa survenue, l'éradication systématique de tous les EBO n'est pas justifiée. Ce traitement doit être réservé aux patients ayant des facteurs de risque de cancer, notamment une dysplasie. En cas de dysplasie de haut grade ou d'adénocarcinome intramuqueux, la résection par mucosectomie complétée par la destruction de l'EBO résiduel est actuellement une alternative à la résection chirurgicale jusque-là recommandée.
L'endobrachysophage (EBO) représente la plus sérieuse complication du reflux gastro-sophagien, principalement à cause du risque d'adénocarcinome qui se développe selon la séquence métaplasie intestinale dysplasie de grade croissant cancer. Les facteurs de la cancérogenèse sont actuellement mieux connus. Ils sont complexes, multiples et directement liés au reflux gastro-sophagien et à ses composants acides mais aussi bilio-pancréatiques. Bien que le risque d'adénocarcinome soit proportionnel à la surface de l'EBO, le risque existe quelle que soit son étendue, en présence de métaplasie intestinale. L'adénocarcinome est de pronostic sévère lorsqu'il est révélé par des symptômes, notamment une dysphagie. Le diagnostic précoce repose sur une surveillance endoscopique et histologique régulière dont le protocole est actuellement bien établi, mais dont l'efficacité est controversée. Cette surveillance bisannuelle ou trisannuelle chez des sujets jeunes, très astreignante, n'est correctement réalisée que dans seulement 35% des cas. Bien que la surveillance permette, dans une population sélectionnée, la découverte d'adénocarcinome à un stade précoce, donc curable, son bénéfice sur la mortalité globale n'est actuellement pas démontré. L'alternative à cette surveillance serait idéalement l'éradication chirurgicale de l'EBO et du reflux gastro-sophagien ce qui, en pratique, n'est pas envisageable compte tenu du caractère invasif de cette attitude. Une façon plus réaliste de prévenir l'apparition du cancer serait d'obtenir une régression complète et durable de l'EBO, tout particulièrement de la métaplasie intestinale. Cet objectif est-il actuellement réalisable ? Cette attitude est-elle recommandable ?
Techniques médico-instrumentales
Depuis une dizaine d'années, on sait que si l'on détruit l'EBO, on peut obtenir une repousse de muqueuse malpighienne en apparence normale à condition de traiter efficacement le reflux acide par des inhibiteurs de la pompe à protons ou par chirurgie antireflux ; les premiers résultats chez l'homme portant sur des petites séries de patients ont soulevé un réel enthousiasme ; actuellement, on peut recenser dans la littérature plus de 50 publications regroupant près de 900 patients. Globalement, toutes les méthodes thérapeutiques proposées permettent d'obtenir la régression complète de l'EBO, et tout particulièrement de la métaplasie intestinale, dans environ 50% des cas (40% à 100% selon les techniques utilisées).
Les méthodes de destruction thermique les plus adaptées à ce type de traitement sont l'électrocoagulation à plasma argon (APC) et l'électrocoagulation bipolaire ou multipolaire.1-4 En France, la technique la plus diffusée est l'électrocoagulation argon du fait de sa simplicité d'utilisation, de son coût et de son innocuité (fig. 1). Le protocole thérapeutique habituellement préconisé consiste à coaguler la couche superficielle de la muqueuse composant l'EBO en partant de son pôle supérieur par segments de 2 à 3 cm de façon circonférentielle, jusqu'à atteindre la jonction so-gastrique anatomique, en vérifiant sur les biopsies la destruction complète de la métaplasie intestinale. Les séances thérapeutiques sont espacées de quelques semaines (4 à 6 semaines) en prenant soin de contrôler parfaitement le reflux gastro-sophagien par des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) à une posologie double ou triple de la posologie standard ; certains proposent de vérifier le bon contrôle du reflux acide pendant la durée du traitement par une pH-métrie sophagienne. Le nombre de séances nécessaires varie avec la longueur de l'EBO ; quatre à six séances sont habituellement nécessaires pour éradiquer un EBO de 4 à 5 cm de haut. La tolérance est satisfaisante et les séances sont effectuées en ambulatoire avec ou sans sédation. 25% des patients présentent des douleurs passagères modérées durant deux à trois jours après les séances, le plus souvent soulagées par les IPP. Les complications sont rares, limitées à quelques sténoses partielles régressives après dilatation endoscopique. Les perforations sont exceptionnelles et semblent le plus souvent secondaires à des erreurs techniques.
Après éradication de l'EBO, il est indispensable de poursuivre le traitement par IPP à double dose ou d'envisager un traitement chirurgical antireflux pour éviter la récidive. Actuellement, le traitement antireflux idéal pour prévenir la récidive de l'EBO n'est pas connu ; une récidive de l'EBO survient dans les mois qui suivent le traitement d'éradication dans près de la moitié des cas. Ces récidives sont minimes, très limitées, dépassent rarement 1 cm de haut, et se font plus souvent sous forme de languettes que d'un manchon circulaire, et ceci quelle que soit la hauteur initiale de l'EBO.
Les résultats à long terme après éradication de l'EBO ne sont pas connus. Actuellement, le suivi moyen des patients dans les séries publiées ne dépasse pas douze mois ; de ce fait, aucune étude actuellement ne permet de répondre aux deux questions essentielles qui justifieraient une diffusion large de ce traitement, à savoir : 1) permet-il de prévenir à long terme l'apparition de l'adénocarcinome ? 2) en conséquence, permet-il d'alléger, voire de supprimer la surveillance endoscopique ?
Des arguments pour et contre cette stratégie peuvent être extraits de la littérature. En sa faveur, malgré toutes les imperfections des méthodes utilisées, leur diversité et le manque de suivi à long terme, une compilation de l'ensemble des séries de patients traités montre une réduction de l'incidence de l'adénocarcinome par rapport à l'incidence retrouvée dans les études épidémiologiques. Faut-il pour autant envisager ce traitement chez tous les patients ayant un EBO ? Un certain nombre d'arguments plaident actuellement contre cette attitude : l'incidence annuelle de l'adénocarcinome sur EBO est faible, évaluée à 0,2 à 0,4% ; elle serait 10 fois plus faible en cas d'EBO court 5 D'autre part, après éradication endoscopique de l'EBO, la persistance de foyers de métaplasie intestinale a été notée, soit au niveau de la jonction so-gastrique, soit sous l'épithélium malpighien reconstitué échappant ainsi à toute surveillance endoscopique.6 Or, trois cas d'adénocarcinomes sous-épithéliaux de survenue précoce ont été rapportés, ce qui fait suspecter un rôle potentiellement délétère des agressions thermiques sur les processus de la carcinogenèse.
Faut-il pour autant abandonner ce type de traitement ? Certainement pas, même si dans la plupart des études publiées, tous les objectifs à atteindre pour prévenir efficacement l'apparition d'un adénocarcinome n'ont pas été obtenus, à savoir une éradication complète de la métaplasie intestinale selon des critères endoscopiques et histologiques rigoureux et un contrôle optimal et permanent du reflux acide vérifié par pH-métrie.
L'éradication complète de l'EBO, associée au contrôle optimal du reflux, reste une stratégie thérapeutique séduisante et rationnelle. Les données de la littérature actuelles sont prometteuses mais encore insuffisantes ; le protocole thérapeutique idéal reste à définir. Parallèlement, il sera nécessaire de sélectionner la population à risque de cancer par la mise en évidence de biomarqueurs impliqués précocement dans la cancérogenèse, utilisables en routine ; seuls, ces patients seront justifiables d'un tel traitement.
Stratégie thérapeutique classique
Classiquement, l'sophagectomie prophylactique est recommandée lorsqu'une DHG sur EBO est détectée ; cette attitude était liée au fait que sur 40 à 50% des pièces opératoires un adénocarcinome non détecté par l'endoscopie et les biopsies était trouvé. Actuellement, le risque de «laisser passer» un adénocarcinome invasif après avoir réalisé le protocole biopsique recommandé est faible ; il est de 5 à 25% selon les études.7,8 De plus, le diagnostic est «récupérable» par les contrôles ultérieurs rapprochés (trimestriels) préconisés.
La DHG et/ou l'adénocarcinome sur EBO sont tardifs dans l'histoire naturelle des EBO et la population de malades concernés est une population dont l'âge est le plus souvent supérieur à 65 ans ; sur ce terrain, l'sophagectomie est une intervention avec une morbidité et une mortalité élevées, respectivement de 40% et 5% pour des équipes chirurgicales expertes ; c'est pourquoi depuis ces dix dernières années, des alternatives, notamment endoscopiques, ont été proposées.
Les méthodes actuellement les plus évaluées sont la destruction thermique par laser, l'électrocoagulation bipolaire ou par APC, la résection par mucosectomie et la destruction chimique par thérapie photodynamique.
Les données de la littérature sur la résection endoscopique de la DHG et de l'adénocarcinome superficiel compliquant un EBO sont peu nombreuses ; l'étude la plus importante porte sur 64 cas (61 adénocarcinomes et 3 DHG).9 Cent vingt résections muqueuses ont été réalisées ; une seule complication (1 hémorragie traitée endoscopiquement) a été observée. Les malades ont été séparés en deux groupes. Le premier groupe de 35 patients avait les critères les plus favorables : lésions planes légèrement surélevées ou limitées à la muqueuse et de moins de 20 mm de diamètre. Le deuxième groupe de 29 patients avait les risques les plus élevés d'envahissement ganglionnaire : lésions de plus de 20 mm, ulcérées, indifférenciées, avec infiltration de la sous-muqueuse. Sur une période de suivi de douze mois, une rémission complète a été observée chez 97% des patients du premier groupe et seulement chez 59% des patients du second groupe ; dans 14% des cas, une récidive a été constatée au niveau de l'EBO résiduel laissé en place et surveillé.
L'indication la plus importante de la PDT dans le futur sera très probablement l'EBO, bien que là aussi elle soit en compétition avec d'autres méthodes telles que la mucosectomie et l'électrocoagulation à plasma argon. Les premiers essais d'éradication de l'EBO compliqué de dysplasie de haut grade et d'adénocarcinome par PDT ont été effectués par Overholt et coll. en 1993 (fig. 2). Ces premiers résultats encourageants ont justifié des études prospectives mono et multicentriques ayant permis actuellement de traiter plus de 400 patients. Les deux photosensibilisants utilisés ont été le Photofrin® et l'acide-5-aminolévulinique (5-ALA). Dans la principale étude,10 cent patients ont été inclus de façon prospective. Treize patients avaient un adénocarcinome superficiel (T1 : 12 ; T2 : 1), 73 une DHG et 14 une dysplasie de bas grade. Une à trois séances de PDT par Photofrin®, complétées au besoin par laser Nd-YAG, étaient effectuées sous couvert d'un traitement par oméprazole. La durée moyenne du suivi a été de 19 mois (4-84 mois) ; dix des treize cancers ont été éradiqués et la dysplasie a été éliminée chez 78 patients ; une éradication complète de l'EBO a pu être obtenue chez 43 patients. La PDT a été responsable d'une sténose dans 34% des cas. Avec le 5-ALA, la profondeur de destruction tumorale est moindre, ne dépassant pas 2 à 3 mm. Gossner et coll. ont testé le 5-ALA sur des lésions de DHG et des adénocarcinomes superficiels sur EBO11 chez 32 patients ; dix patients avaient une DHG et vingt-deux un adénocarcinome superficiel dont sept avaient une épaisseur
Cette étude montre les limites du 5-ALA pour le traitement des adénocarcinomes superficiels sur EBO, et son intérêt pour le traitement des dysplasies par rapport au Photofrin®, notamment du fait de sa tolérance et de son innocuité.
La mucosectomie comme la thérapie photodynamique, lorsqu'elles sont utilisées seules, laissent en place un pourcentage non négligeable d'EBO, et donc exposent à un risque de récidive de la DHG et/ou de l'adénocarcinome évalué selon les études entre 10 et 25% dans les deux ans de suivi. Ce risque nécessite la poursuite d'une surveillance endoscopique et histologique rapprochée tous les trois à six mois.
Conscients de ce risque, nous avons opté depuis 1996 pour une stratégie plus radicale ayant pour objectifs non seulement l'éradication des foyers de DHG et/ou d'adénocarcinome mais aussi de la totalité de l'EBO. Cette stratégie a été conduite sur une série consécutive de 29 patients traités entre 1995 et 2001 ayant un EBO de 2 à 15 cm de hauteur.12 Le traitement a consisté en une destruction de l'EBO par APC sous couvert d'un traitement antisécrétoire par oméprazole (entre 40 et 60 mg/j) ; ce traitement a été appliqué en cas d'EBO en DHG sans adénocarcinome décelable. Les patients non opérables porteurs d'un EBO ayant une DHG et/ou un adénocarcinome intramuqueux et sous-muqueux (T1a et T1b) ont été traités par mucosectomie(s) puis par APC jusqu'à éradication complète de l'EBO. Le bilan d'extension comprenait, outre l'examen endoscopique avec biopsies multiples étagées, une écho-endoscopie avec minisonde de 20 MHz. En cas d'échec ou de survenue au cours du suivi d'une récidive néoplasique invasive, une radiothérapie externe était effectuée (trois patients). Aucune complication n'a été observée ; l'éradication complète des lésions de DHG et/ou adénocarcinome et de l'EBO a été obtenue chez 26 des 29 patients traités ; cinq patients sont décédés dont un seul de son cancer après trois ans de suivi.
Vingt-deux patients ont actuellement plus de trois ans de suivi (extrêmes 18 mois à 72 mois). Aucune récidive dysplasique ou adénocarcinomateuse n'est survenue, malgré une récidive en languette(s) de l'EBO (EBO courts 13
Les traitements endoscopiques de la DHG et/ou de l'adénocarcinome sur EBO ont actuellement une place dans la stratégie thérapeutique ; elle repose initialement sur un bilan rigoureux comportant une étude histologique précise basée sur un protocole endoscopique et biopsique intensifié, une étude de l'extension pariétale par écho-endoscopie avec une minisonde de 20 à 30 MHz.
En cas de DHG seule ou associée à un adénocarcinome intramuqueux, la stratégie thérapeutique repose sur la résection (mucosectomie) ou la destruction (PDT/APC) première des lésions de DHG et/ou d'adénocarcinome quand ces lésions peuvent être localisées. Pour nous, le traitement doit être complété par une destruction complète de l'EBO résiduel par APC. En cas de cancer envahissant la muscularis mucosae (T1b), une intervention chirurgicale carcinologique doit être proposée de première intention.
Lorsque l'intervention est contre-indiquée, un traitement curateur, comportant soit la résection première du cancer par mucosectomie, soit une séance de PDT par Photofrin® complétée par une radiothérapie externe (± chimiothérapie), peut être effectué. Après traitement endoscopique, une surveillance trimestrielle doit être effectuée, les risques de récidive étant surtout à craindre durant la première année d'évolution. Un excellent contrôle du reflux est très probablement nécessaire pour prévenir les récidives à long terme de l'EBO et de la dysplasie.