Edito: L'endobrachysophage
Stanislas Bruley des Varannes et Michel Mignon
Rev Med Suisse
2003; volume -1.
23232
Résumé
L'endobrachysophage (EBO), ou sophage de Barrett, constitue un modèle anatomo-clinique bien particulier par son évolution qui conduit d'une anomalie fonctionnelle, le reflux gastro-sophagien (RGO), à une transformation histologique de la muqueuse sophagienne telle qu'elle peut aboutir à un adénocarcinome. Même si de nombreuses pièces sont encore manquantes dans les étapes de cette évolution, cette histoire naturelle «potentielle» du RGO amène à en relativiser l'habituelle bénignité. Même si elle ne concerne qu'un nombre relativement petit de malades ayant un RGO, cette notion de gravité potentielle, liée au développement d'aspects lésionnels précancéreux, a encore été renforcée par les résultats d'études épidémiologiques. Il existe en effet un accroissement net du risque d'adénocarcinome de l'sophage chez des malades ayant un long passé de symptômes de reflux. Ainsi la préoccupation devient-elle de trouver des caractéristiques, quelles qu'elles soient, pour identifier au sein de la très grande population des malades ayant des symptômes de reflux ceux qui ont un risque accru de développer une transformation néoplasique ! L'EBO constitue l'un de ces marqueurs.L'objectif de ce numéro de Médecine et Hygiène est d'apporter une synthèse des données actuelles et des pistes futures concernant les principaux aspects de l'EBO. Ainsi, si les aspects épidémiologiques montrent que l'EBO est assez fréquent (près de 10% des endoscopies hautes pour symptômes de reflux), sa définition reste évolutive avec récemment la prise en compte des formes courtes d'EBO et la notion plus générale d'un déplacement proximal de la jonction des muqueuses associée à la métaplasie intestinale. Les aspects histologiques évoluent également avec la mise en évidence d'aspects intermédiaires ou précurseurs de la métaplasie intestinale comme la notion d'épithélium multicouche (multilayered epithelium). Comme sur le plan clinique, l'EBO n'a pas de caractéristiques particulières, la stratégie de sa recherche risque de rester encore longtemps difficile à établir. Surtout, et en dépit de méthodes de plus en plus performantes, la surveillance de l'EBO reste difficile à définir compte tenu de la complexité et de la méconnaissance des mécanismes en jeu, et également de la variabilité évolutive de cet épithélium. Si la tentation d'utiliser toutes les nouveautés technologiques de l'endoscopie (dans des conditions de disponibilité encore souvent réduites) est grande, les évaluations de ces innovations sont encore insuffisantes, et nos stratégies doivent rester rigoureuses avec toujours le difficile, et parfois irréalisable, protocole biopsique à compléter par de nouvelles méthodes permettant de guider les biopsies, comme l'endoscopie grossissante associée à des colorations. En réalité alors que l'augmentation du risque de transformation néoplasique de cette muqueuse est bien établie, plusieurs études ont montré que le taux de mortalité de ces patients n'apparaissait pas globalement différent de celui de la population générale. Cette absence d'incidence du risque accru de transformation néoplasique sur la survie vient encore compliquer l'établissement et la justification de stratégies de surveillance. Si des espoirs peuvent être fondés sur l'utilisation de marqueurs d'évolutivité, en particulier sur la détection d'anomalies de la prolifération et du contenu en ADN et sur la détection de l'expression anormale de la protéine p53, l'intérêt clinique de la détection de ces marqueurs n'est encore pas établi. Dans un futur proche, certaines techniques endoscopiques (tomographie de cohérence optique, autofluorescence, fluorescence induite, etc.) permettront la détection directe de certains marqueurs d'évolutivité. Enfin, les aspects thérapeutiques de l'EBO ont bien évolué ces dernières années. La possibilité de détruire cette muqueuse glandulaire, et également de traiter de façon non chirurgicale, mais tout de même curative, des zones en dysplasie de haut grade fait envisager de nouvelles approches thérapeutiques notamment dans la dysplasie de haut grade, voire dans l'adénocarcinome intra-épithélial. En réalité, ces nouvelles possibilités thérapeutiques souffrent encore d'une évaluation insuffisante qui impose l'inclusion de ces patients dans les nombreux protocoles thérapeutiques en cours.
Contact auteur(s)
Stanislas Bruley des Varannes
Service d'hépato-gastroentérologie et
CIC INSERM
CHU de Nantes
et
Michel Mignon
Service d'hépatologie et de gastroentérologie
Hôpital Bichat
Paris