Ainsi donc ce qui ne fut, dans ses premiers instants, qu'une grosse chaleur se transforme progressivement, un mois plus tard en affaire d'Etat. Il y a un mois jour pour jour à l'heure où nous pianotons ces lignes Météo France annonçait une montée progressive des températures. La France s'épanouissait sur le bord de ses sombres plages et de ses piscines claires. La crise des retraites avait pris fin tout comme d'ailleurs, les gesticulations des «intermittents du spectacle» ; on allait enfin pleinement profiter de ce mois qui, en France, voit disparaître toute représentation politique, toute administration. L'héliotropisme étant ce qu'il est devenu, le jacobinisme ce qu'il a toujours été et la quête forcenée du plaisir ce qu'elle est, sous nos yeux, en train de devenir, l'Hexagone entre dans une douce torpeur. Les sous-préfets sont aux champs et les ministres dans de verdoyantes villégiatures plus ou moins familiales. Cet été, le président de la République française se rafraîchissait, auguste, au Canada, cet arpent de neige qui fut français.Deux août. Qui, le premier, a pressenti le drame ? Dans les salles climatisées des rédactions parisiennes on badinait comme souvent on badine quand la collectivité n'est pas au four brûlant de l'actualité. La chaleur, bien évidemment, était au centre du badinage. Le professionnalisme palpitant toujours quelque peu dans la haute hiérarchie quelques voix, timidement, exprimèrent l'idée que, peut-être, un sujet chaleur s'imposerait le moment venu. «Ah non, par pitié, pas le papier marronnier santé !» répondirent alors, sans nul doute, ceux que l'on appelle les «rubricards médecine» au motif qu'après le plaisir ils ont pris l'habitude de ne traiter que de ce beau sujet. On n'allait quand même pas écrire que, parce qu'il faisait chaud, il convenait de boire, de marcher à l'ombre, de porter un chapeau ! On n'allait pas bouder ce début de plaisir caniculaire.Trois août. La hiérarchie étant ce qu'elle était ou plus exactement ce qu'elle pourrait devenir, ils furent sans doute quelques-uns à prendre leur téléphone pour, à tout hasard, s'inquiéter de ce que pouvaient bien faire les pouvoirs publics. Ils appelèrent alors l'Institut national de veille sanitaire. «La chaleur ? Oui mais nous ne sommes pas saisis de la question par le gouvernement ; nous, dans ce domaine, notre compétence c'est plutôt la pollution atmosphérique mais on croit savoir qu'à la direction générale de la santé ils vont peut-être publier un communiqué de presse.» De facto, ce service du Ministère de la santé travaillait à ce projet.Deux septembre. On sait sinon tout, du moins beaucoup. L'Institut national de veille sanitaire (InVS) vient de rendre sur le thème de la canicule un rapport daté du 29 août et fort de 72 pages. Il s'agit là d'un rapport d'étape consacré à l'«impact sanitaire de la vague de chaleur en France survenue en août 2003». Ce document, qui a été remis le 29 août à Jean-François Mattei, ministre de la Santé, situe à près de 11 500 le nombre des décès supplémentaires recensés en France durant les quinze premiers jours du mois. Il apporte aussi les premiers éléments permettant d'identifier la nature et l'origine des dysfonctionnements du système d'alerte et met notamment en évidence le fait que des signaux d'alerte sanitaires étaient perceptibles à partir du 5 août.«Les premiers résultats de nos enquêtes permettent de dégager les principales caractéristiques de la population décédée, concluent les chercheurs de l'InVS. Il apparaît dans les données hospitalières des urgences que plus de 80% de la population décédée était âgée de plus de 75 ans et qu'il existe une surmortalité de 13% chez les hommes par rapport aux femmes. Chez les moins de 60 ans, les maladies mentales, les traitements psychotropes, l'obésité et les pathologies associées ont joué un rôle mesurable, notamment dans l'étude des décès par coup de chaleur observés à l'hôpital.» Le rapport conclut : «L'analyse de l'accroissement de l'activité des intervenants sanitaires d'urgence (médecins, pompiers, Samu), montre des signaux d'alerte perceptibles à partir du 5 août le plus souvent, parfois plus tard selon les régions.» On parle beaucoup, en France, de la création d'une commission d'enquête parlementaire sur ce thème.Saura-t-elle ici faire la part entre les failles structurelles et les responsabilités personnelles ?(A suivre)