Edito: Addictions : un domaine de la médecine de premier recours
H. Stalder
Rev Med Suisse
2003; volume -1.
23215
Résumé
Le mot addiction vous est peu familier ? Il s'agit cependant d'un vieux mot français, réutilisé dans sa signification anglaise dans le sens d'«une maladie chronique caractérisée par un contrôle défaillant de l'usage de substances psychoactives et/ou d'un comportement.»1 Les manifestations cliniques sont d'ordres biologique, psychologique, social et spirituel. Comme toutes les maladies chroniques, elles peuvent être progressives, récurrentes, fatales, peuvent être traitées et quelquefois guéries. De plus, les addictions sont parmi les maladies les plus fréquentes : environ un tiers de la population adulte est dépendante du tabac et un dixième a des problèmes d'alcool, pour ne pas parler des abus de cocaïne, d'héroïne, d'ecstasy et d'autres.Normalement, un problème de santé d'une telle ampleur devrait être pris en charge par le médecin de premier recours. C'est lui qui rencontre les fumeurs, les jeunes adultes adeptes du cannabis et encore les buveurs à risque. C'est dans son cabinet que le dépistage précoce est possible, le diagnostic d'addiction doit être posé, l'entretien de motivation doit être fait, le suivi organisé et, en cas de nécessité, une consultation est organisée avec un service spécialisé. Pour des raisons historiques, c'est juste le contraire qui se passe.2 Partant de pathologies extrêmes, les patients sont pris en charge par des cliniques spécialisées, le plus souvent en psychiatrie.Pourquoi ce désintéressement de la médecine générale envers les addictions ? Tout d'abord parce que les addictions ont l'image de pathologies psychiatriques à mauvais pronostic et résistantes à tout traitement, donc à suivre par des centres spécialisés ou encore par les institutions de bienfaisance. Certes, les addictions sont difficiles à traiter, mais pas davantage que d'autres maladies chroniques. Au contraire, avec une bonne approche, plus d'un cinquième des fumeurs et près de la moitié des dépendants d'alcool peuvent être sevrés. Deuxièmement, l'enseignement en addictions a souvent fait défaut. Les connaissances de l'action des substances addictives, le savoir-faire d'un entretien de motivation, de la poursuite du traitement et du suivi devraient être inscrits dans le catalogue d'apprentissage pré- et postgradué. Il faut aussi que le médecin sache quand envoyer le patient chez le psychiatre ou un centre spécialisé, car les comorbidités psychiatriques sous-jacentes sont fréquentes et nécessitent, mais en deuxième lieu, l'aide du spécialiste. Souvent, d'ailleurs, ces pathologies s'amendent lors du sevrage.En résumé, comme toutes les autres maladies chroniques telles que l'insuffisance cardiaque, le diabète ou la broncho-pneumopathie chronique obstructive, les addictions sont du domaine de la médecine de premier recours, avec, en appui, des services spécialisés.3,4 L'effort doit être porté sur la prévention et le dépistage précoce, le suivi du patient dans son contexte et la prévention des rechutes. Savoir motiver un patient au changement de comportement est la clé de la réussite. Le savoir-faire de l'entretien de motivation est d'ailleurs applicable à d'autres domaines : diététique, activité physique, adhérence au traitement. La place des addictions doit donc être renforcée dans l'enseignement de la médecine de premier recours. C'est pourquoi notre département a choisi le programme «Addictions en médecine communautaire» comme une priorité.
Contact auteur(s)
H. Stalder
Chef du Département de médecine communautaire
Hôpitaux universitaires de Genève