Le repérage précoce et l'intervention brève auprès des consommateurs excessifs, bien que validés par de nombreuses études, ne bénéficient pas encore d'une diffusion importante parmi les acteurs de soins de premier recours. La réalisation de formations au bénéfice des médecins généralistes nécessite une action préalable de mobilisation et de motivation, pour les aider à dépasser les doutes et les réticences concernant leur légitimité et leur capacité dans la prévention secondaire des problèmes liés à l'alcool. Les auteurs passent en revue les conditions permettant, d'après la littérature et leur expérience, d'amener le plus grand nombre possible de soignants de premier recours aux formations et à la pratique du repérage et de l'intervention brève. Ils insistent sur la nécessaire évolution des représentations liées à l'alcool, qui ne concerne pas les seuls médecins, mais la société dans son ensemble.
Le repérage précoce par questionnaire et les interventions brèves, dans leur diversité, ont confirmé leur pertinence dans les conditions de la recherche clinique.1,2,3
Le questionnaire AUDIT,4 mis au point par l'OMS, et ses succédanés, questionnaires courts autoadministrés et/ou hétéroadministrés, le TWEAK,5 le Five-shot questionnaire,6 le FAST,7 l'AUDIT-PC,8 l'AUDIT-C9 ou encore le FACE10 tous apparentés à l'AUDIT ont tous montré une certaine pertinence dans le repérage des «consommateurs excessifs», des «buveurs à problèmes» ou des «dépendants», comme l'avaient fait longtemps avant eux le MAST11 et le CAGE,12 certainement les plus connus des questionnaires de dépistage. Le MAST, le CAGE, l'AUDIT et le FACE sont validés en français, et il a également été montré que l'AUDIT conserve ses qualités informationnelles lorsqu'on mêle ses dix questions à un questionnaire de santé.13 Même sans faire appel aux méthodes biologiques très inférieures en terme de sensibilité et de spécificité, et nettement plus coûteuses, le choix d'un instrument de repérage est ainsi particulièrement ouvert.
Quant au contenu de ce qu'il est convenu d'appeler les «interventions brèves», il est très variable d'une étude à l'autre, mêlant selon les contextes et les opinions des auteurs les approches motivationnelle, cognitivo-comportementale, communautaire, etc. La durée même de ce qui est considéré comme une «intervention brève» varie de quelques minutes à quelques heures, réparties sur une ou plusieurs séances. Les points communs de ces interventions résident dans la population-cible (le plus souvent composée de buveurs excessifs peu ou pas dépendants), dans l'objectif (habituellement la réduction de la consommation et non l'abstinence) et le mode de dialogue (sans jugement, empathique, respectant la responsabilité du patient vis-à-vis de son comportement). Encore ces trois points souffrent-ils des exceptions : dépendants vus aux urgences ou en prison (avec des objectifs d'introduction dans le soin), objectif d'abstinence (chez les femmes enceintes), style directif (populations sous main de justice).
L'efflorescence extraordinaire de ces méthodes de repérage et d'intervention est liée à la nécessité, perçue par tous les auteurs, d'ajuster les instruments de repérage et d'intervention au plus près des préoccupations du «terrain». Ceci est la conséquence des difficultés à parler d'alcool ressenties par les acteurs du soin, en particulier de premier recours, et en premier lieu des médecins généralistes.
En effet, quels que soient les références culturelles, les modes dominants de consommation d'alcool, les conditions de rémunération et d'exercice de leur art, les médecins généralistes de tous les pays ont beaucoup de mal à intégrer dans leur pratique quotidienne une évaluation de la consommation d'alcool de leurs patients. Plusieurs études qualitatives ou semi-quantitatives en donnent des explications que l'on retrouve d'un pays à l'autre, malgré la diversité des situations : les médecins généralistes manquent de temps, doutent de leur légitimité, ont des savoirs et des savoir-faire peu actualisés sur l'alcool et les dommages associés, craignent de donner au patient le sentiment de juger son comportement et de le stigmatiser, sont gênés pour aborder une question qu'ils considèrent comme appartenant à l'intimité et qui les renvoie à leur propre rapport à l'alcool, s'agacent de l'absence de valorisation des actes préventifs, et croient volontiers qu'une intervention auprès des «buveurs» est vouée à l'échec.14,15,16
Pour vaincre ces réticences qui n'ont rien à voir avec de la mauvaise volonté, il est capital de répondre sur le fond, et de s'intéresser aux représentations autant qu'aux connaissances. Il est également fondamental d'entendre les besoins concrets : si un acte doit être systématisé, il faut pouvoir «faire court» pour «faire souvent», il faut s'appuyer sur une campagne (de presse, ou de politique de santé, ou communautaire) qui légitime l'intervention du médecin, il faut prévoir une valorisation des actes de prévention (par exemple sous la forme d'une rémunération supplémentaire), et il faut disposer d'outils efficaces, livrés avec la preuve de leur efficacité.
On ajoutera quelques considérations de bon sens :
a) les méthodes de mobilisation des médecins visant à leur faire intégrer une nouvelle pratique professionnelle doivent tenir compte de la psychologie générale du changement de comportement. Nous faisons ici référence au processus décrit par Prochaska et DiClemente,17 ou à l'approche motivationnelle :18 les médecins, eux aussi, n'évoluent dans leurs pratiques que s'ils ont des raisons de le faire, et s'ils y sont prêts ;
b) les méthodes de formation sont à adapter aux différents publics (par exemple jeunes médecins en fin de formation versus médecins installés, infirmières, sages-femmes, médecins spécialistes) et aux conditions matérielles (l'acceptabilité et la durée des formations étant par exemple souvent contradictoires).
L'ensemble de ces données, rassemblé notamment dans la conclusion de l'étude internationale dite de «Phase III»16 menée dans le cadre du groupe de travail de l'OMS sur la réduction des dommages liés à l'alcool, a contribué à convaincre ce groupe de travail de lancer une nouvelle collaboration internationale sur les conditions d'une généralisation de la pratique du repérage précoce et de l'intervention brève à l'échelle d'un pays. Cette «étude de phase IV» suit un protocole élaboré par le Pr Nick Heather, de Newcastle-upon-Tyne (Angleterre), et approuvé collectivement par les participants,19 dont les projets nationaux ont en retour bénéficié de la vigilance méthodologique de Nick Heather. Ce protocole résume avec vigueur et rigueur l'ensemble des démarches à poursuivre pour qu'une telle recherche-action porte ses fruits, et cite notamment quatre sous-objectifs opérationnels :
1. l'adaptation des outils de repérage et d'intervention aux conditions du pays ;
2. la création d'un cadre d'alliance institutionnelle large autour d'une organisation (pro)motrice ;
3. le changement des représentations sociales sur les problèmes liés à l'alcool ;
4. et la réalisation d'«études de démonstration».
Nous travaillons en France dans le cadre de ce protocole, en collaboration notamment avec nos homologues suisses et belges francophones, et nous ne pouvons que nous féliciter de ses recommandations très précises sur les stratégies à mettre en uvre pour atteindre ces objectifs généraux. Il prend en effet en compte les conclusions de nombreuses études préalables, liées ou non au travail du groupe OMS, qui ont permis de dégager quelques données pratiques que nous allons nous efforcer de passer en revue ci-dessous, en nous servant de notre expérience.
Les contenus des formations doivent bien évidemment être adaptés aux modes de repérage et d'intervention qui sont promus. Il était conseillé de s'appuyer sur des études qualitatives préalables pour «caler» le contenu en fonction du ressenti et des besoins des médecins généralistes ; c'est ce qui a été fait en France, et il a été clairement montré à l'analyse du contenu d'une dizaine de «focus groups» menés avec des médecins généralistes15 qu'une formation devait se donner comme objectifs :
a) de permettre le partage et la critique des expériences difficiles avec les alcoolodépendants ;
b) de faire apparaître la notion de consommation à risque et de morbidité hors dépendance ;
c) de donner un contenu rassurant sur l'acceptabilité par les patients d'un dialogue fréquent sur la consommation d'alcool ;
d) de donner des repères simples en termes de technique de repérage et d'intervention brève ;
e) d'utiliser des mises en situation (jeux de rôles) pour permettre de vérifier la brièveté du repérage et de l'intervention brève, et sa faisabilité sans technique particulière.
Il s'agit bien de faire évoluer la conception que les médecins ont de leur rôle, mais cela n'est pas annoncé comme tel : il s'est agi, jusqu'à présent, de former à l'utilisation d'outils. La séance de deux heures en soirée, comme il s'en pratique encore de façon prédominante en formation médicale continue, a d'ailleurs été notre cadre de travail le plus habituel, et elle donne aux participants peu de temps pour une élaboration en profondeur. C'est la pratique du repérage précoce et de l'intervention brève qui apporte secondairement, presque à l'insu du médecin qui s'y essaie, cette modification des perceptions. Il faut cependant insister sur la valeur pédagogique jamais démentie de la représentation de la «pyramide du risque» (fig. 1), qui demeure après quelques dizaines de formations (et quelques centaines de médecins formés) comme la figure emblématique de notre philosophie.
Les médecins de premier recours, mais aussi leurs collaborateurs-trices : secrétaires d'accueil, infirmières, assistantes médicales. Plusieurs études montrent que le repérage peut être fait avant la consultation médicale, et que l'intervention brève garde toute sa pertinence quand elle est délivrée par l'infirmière.20,21 Plusieurs articles insistent cependant sur la capacité de résistance des personnels d'accueil lorsqu'ils ne sont pas formés,22 et même s'ils sont formés sans tenir compte de leur propre vision, de leur rôle et de leurs attentes.23,24 En France la question n'a de sens que dans les rares cabinets où une secrétaire est présente, en médecine du travail et à l'hôpital. Mais en Suisse la question de la sensibilisation des assistant(e)s mérite d'être posée.
Les collègues catalans, qui uvrent dans le cadre d'un système de soins primaires salarié et pyramidal, ont mis en uvre, sous la direction des Drs Joan Colom et Antoni Güal, un plan de formation de l'ensemble des acteurs du soin primaire dans leur Région autonome,25 et ils ont pu essayer plusieurs solutions de compromis entre l'organisation des centres de santé et les objectifs de la formation. Ils ont finalement opté pour cinq séances d'une heure, à quinze jours d'intervalle.
Nous avons de notre côté formé une cinquantaine de médecins du travail de la région parisienne sur deux journées séparées par une semaine. L'intérêt de répartir sur au moins deux séances est devenu évident : les consignes données aux «stagiaires» pour leur pratique entre les deux séances leur permettent de s'essayer vraiment, dans les conditions qui sont les leurs, à la réalisation d'un repérage systématique et de quelques interventions brèves. La restitution de ces expériences, et leur discussion en groupe, entre «stagiaires», sont des facteurs de conviction autrement plus persuasifs que le discours des formateurs appointés. A défaut de pouvoir pratiquer plus d'une séance de formation, on peut demander aux «stagiaires» de venir avec des exercices préalables, comme d'essayer de recenser pendant une semaine les clients concernés par une alcoolisation excessive, ou de répondre à l'injonction suivante : «racontez au groupe une de nos interventions qui finit bien». Ces exercices constituent un riche matériel pour les formateurs.
Deux séances de deux heures séparées par huit à quinze jours nous paraissent donc maintenant un compromis satisfaisant pour les médecins généralistes, moins disponibles pour les formations que les médecins du travail. Mais il reste acceptable de réduire à une seule séance si c'est la condition pour que la formation ait lieu.
Un groupe de formation qui utilise des techniques interactives doit pouvoir trouver en son sein les ressources pour les jeux de rôle. Un groupe de dix à quinze personnes est envisageable si l'on dispose d'assez de temps pour bien «s'apprivoiser» (par exemple deux journées), mais si on ne dispose que d'une soirée, un groupe de huit à dix personnes paraît être l'effectif optimal. La cohésion du groupe nécessite son homogénéité professionnelle, les processus d'identification jouant pour beaucoup dans la conviction. Deux formateurs sont nécessaires. Idéalement, au moins un des formateurs doit être «sorti du rang», c'est-à-dire exercer le même métier que les personnes formées, et avoir déjà pratiqué l'intervention brève, ne serait-ce que dans le cadre d'une étude. Il est bien venu que l'autre formateur joue alors le rôle de l'expert en alcoologie, pour répondre aux questions sur l'alcoolodépendance qui resurgissent régulièrement.
Nos formations s'appuient en général sur un contenu type avec comme support une présentation vidéo ou des transparents, en laissant toutefois un temps important pour les jeux de rôle. Le contenu en terme de connaissances ne nécessite guère qu'une demi-heure de parole. Mais nous détaillons plus particulièrement deux points :
I les différentes options pour le repérage : l'approche «opportuniste» (où le médecin s'appuie sur une situation rendant plus «naturel» le dialogue sur la consommation d'alcool) et l'approche systématique utilisant les questionnaires (essentiellement pour la France l'AUDIT autoquestionnaire de salle d'attente et le FACE questionnaire en face à face) ;
I le «contenu souhaitable» d'une intervention brève, sous la forme d'une «check-list» dont chaque point est détaillé (tableau 1).
Les jeux de rôles portent sur le repérage (comment utiliser les «opportunités» de parler d'alcool, comment restituer un autoquestionnaire, comment proposer et utiliser le questionnaire en entretien) et sur la délivrance de l'intervention brève. Ils permettent souvent de mettre en évidence le caractère moins stigmatisant du repérage systématique, et la facilitation que constitue un questionnaire pour l'ouverture du dialogue. Ils sont l'occasion d'apporter les premières réponses aux critiques faites aux questionnaires : instruments de repérage et non de diagnostic, ils n'ont qu'une valeur indicative et leur restitution doit être l'occasion de rendre la parole au patient.
La check-list est un moyen donné aux «spectateurs» des jeux de rôle sur l'intervention brève pour repérer le contenu effectif du conseil délivré. Les formateurs insistent dans le «debriefing» sur le caractère contingent de certaines rubriques de la liste : une intervention brève n'est pas nulle si elle est «incomplète», et une étude récente montre même que le repérage seul est en soi une intervention efficace.26 Il est à noter que lorsqu'on s'intéresse à la réalisation concrète des interventions brèves après formation, elles sont effectivement plus brèves que telles qu'elles ont été «apprises».27
Les formations peuvent aussi faire appel à d'autres moyens techniques. Nous citerons notamment la formation par vidéo, élémentaire mais qui a montré un niveau non négligeable d'efficacité dans une étude chez les obstétriciens.28 La formation individuelle au cabinet, citée également dans une autre étude américaine cette fois tournée vers les généralistes, y a donné un résultat (en terme d'activité de conseil) perceptible jusqu'à 32 mois après l'intervention de formation.29 Notre courte expérience de cette pratique en France est pour l'instant très décevante.
Nous souhaitons attirer l'attention sur l'importance des formations initiales : en effet la disponibilité des jeunes médecins aux idées nouvelles est bien supérieure à celle de leurs aînés installés. Deux moments semblent importants pour que les jeunes médecins achèvent leurs années d'études mieux armés pour la pratique du repérage précoce et de l'intervention brève :
I le deuxième cycle (à partir de la troisième année d'étude en France), où il est important de donner une vision plus englobante :
des problèmes liés à l'alcool (avec le continuum abstinence/usage simple/risque/problèmes/
dépendance, et des complications somatiques abordées de façon clairement distinguée de la dépendance) ;
et de la réponse «par paliers» qu'il convient de développer face à ces différents niveaux de difficultés ;
I le troisième cycle (pendant le résidanat) où les futurs médecins peuvent mieux percevoir la dimension relationnelle de leur métier, et la fréquence des problèmes d'alcool dans la pratique quotidienne.
Les méthodes pédagogiques «actives» comme les patients standardisés (consultants représentés par un acteur formé)30 et les supervisions ou autocontrôles par vidéo semblent être particulièrement pertinentes pour aider les jeunes médecins à percevoir les contre-attitudes et à bien les utiliser.31 Il n'est pas cependant bien établi qu'elles donnent des résultats supérieurs aux méthodes traditionnelles d'enseignement. Quoi qu'il en soit, si le résultat de l'enseignement est surtout sensible dans les semaines qui le suivent, son effet persiste à long terme.
Il nous paraît évident que l'ambition de peser sur la santé publique en diffusant la pratique du repérage précoce et de l'intervention brève ne peut passer par l'activité d'une seule équipe, mais qu'il convient de constituer un réservoir de formateurs. Quatre points aident à y parvenir :
a) les formateurs doivent être des pratiquants convaincus ;
b) il est souhaitable de constituer des binômes, et de les former si possible en même temps ;
c) il est recommandé de s'appuyer sur les dynamiques locales et/ou régionales ;
d) les formateurs doivent échanger régulièrement sur leurs expériences de formations dans le cadre d'un réseau, qui assure à la fois l'assurance qualité et la promotion de méthode ou de supports nouveaux.
Pour que la formation soit efficace, le plus important des prérequis est la participation à la formation. Or il n'est pas nécessaire de rappeler à quel point il est difficile de mobiliser les médecins généralistes, du fait de leur manque de temps mais aussi de la multiplicité des sollicitations qui leur sont adressées. Le sujet alcool n'est pas spécifique de ce point de vue, même s'il suscite, à l'évidence, des préventions particulières.
La proposition de formation arrivant par courrier rencontre une indifférence générale. Une formation sans lendemain a une faible efficacité sur les changements de comportement. C'est pourquoi le groupe de travail de l'OMS a travaillé plusieurs années sur les barrières et sur les modes de stimulation (incentives) aussi bien individuels que collectifs, pour entrer dans la formation, pour entrer dans la pratique, pour installer celle-ci dans la routine. Nous nous contenterons d'en faire un rapide descriptif, bien que nous soyons convaincus que ces points sont aussi importants que les formations.
Elle suppose que les médecins changent en même temps que la communauté. Le corps médical n'échappe pas aux représentations communes, aux usages communs, et l'évolution de la clientèle influence l'évolution du médecin. Pour cela, la contribution de l'ensemble des relais d'opinion est utile, aux niveaux politique, administratif, associatif, médiatique. Les démonstrations, les études, les événements peuvent être exploités pour qu'une alliance large se crée dans le but de changer les représentations des problèmes liés à l'alcool et conforter du côté du médecin comme de celui du patient l'idée que le médecin généraliste est légitime et capable d'intervenir utilement pour conseiller les personnes en danger du fait de leur consommation d'alcool. Par exemple, un sondage en population générale a été réalisé en Ile-de-France,32 qui montre que le public fait très largement confiance aux généralistes pour s'occuper des problèmes d'alcool, et qu'il considère comme «normal» de parler d'alcool au cabinet du médecin de famille : c'est un puissant argument pour lever les inhibitions des praticiens. L'affichage d'une politique nationale de santé publique, perceptible par les médecins, et qui ne se contente pas de demander de faire plus mais affiche des moyens pour faire mieux, est également demandé par les généralistes, par exemple dans une récente enquête en Grande-Bretagne.33
Il est possible d'amener les médecins aux formations sans faire appel aux gendarmes : il suffit de leur téléphoner. Le marketing téléphonique a été testé pendant la phase III du travail de l'OMS, et plusieurs expériences ont été concordantes : c'est le moyen le plus «coût-efficace» de motiver les médecins à s'inscrire aux formations proposées. Nous l'avons vérifié en France : les médecins contactés par téléphone ont été sept fois plus nombreux (21% vs 3%) à venir se former selon qu'ils étaient contactés par téléphone ou par courrier. La démarche nous a coûté 20 minutes de travail par médecin contacté, et, puisqu'un médecin sur cinq est venu en formation, cinq fois plus par médecin formé.
L'idée d'une rémunération supplémentaire pour un acte de prévention contredisait jusqu'à récemment la philosophie générale de l'assurance maladie en France. Une évolution est en train de se dessiner, que notre programme accompagne en proposant dans une phase de notre recherche-action une rémunération des médecins pour chaque acte de repérage (2 ¤) et pour chaque intervention brève conduite à bon escient (10 ¤). En l'attente des résultats définitifs de notre travail, nous pouvons dire que cette rémunération ne semble pas beaucoup augmenter la participation aux formations, mais qu'elle semble par contre avoir un pouvoir important de maintien de l'activité chez les médecins qui commencent à pratiquer à la suite de nos formations.
La problématique d'un changement de comportement professionnel doit s'inscrire dans une longue durée, ce qui nécessite à la fois que soit bien établie la preuve de l'intérêt de cette nouvelle pratique, et un programme de diffusion attachée à une volonté politique. Cette volonté politique, quel que soit le niveau où elle s'exprime, Etat, région ou canton, doit être celle des autorités sanitaires et des professionnels eux-mêmes, ou du moins d'une «fraction marchante» parmi ceux-ci. Et la diffusion ne peut se faire que si, au niveau de chaque cabinet médical, s'établit une balance décisionnelle qui allège les poids des réticences et augmente celui de l'intérêt de l'action. Il est certainement capital de comprendre que les médecins sont dans une situation idéale pour aider les moins dépendants des buveurs à risque et à problèmes, mais qu'ils n'acceptent à juste titre de remettre en cause leur façon d'être et de faire qu'à condition d'être eux-mêmes les acteurs du changement, dans ses objectifs comme dans ses moyens. C'est donc un paradoxe que de proposer des formations ? C'est aussi un paradoxe que de vouloir réaliser une intervention brève auprès d'un patient qui n'a rien demandé au sujet de sa consommation d'alcool. Et pourtant il écoute, et une fois sur trois à une fois sur deux, il change : tout est affaire d'empathie. Il en est de même pour les médecins généralistes, grâce à des techniques de formation qui portent plus sur les aspects relationnels que sur le savoir.