Résumé
Notre Parlement, quel chaos ! Mardi dernier, alors que la mesure semblait acquise, voilà que le Conseil des Etats sacrifie l'allégement des primes dès le deuxième enfant sur l'autel de la justice sociale (c'est du moins l'argument). Puis, lors de la même séance, il renonce à transférer les coûts des soins à domicile et aux EMS sur les personnes âgées. Mercredi, il recule d'un pas supplémentaire : sentant monter la menace concrète de différents référendum (venant du parti socialiste et de l'association suisse des infirmières pas de la FMH, qui pour le moment ne fait peur qu'à ses membres), la Commission responsable du dossier décide que la deuxième révision de la LAMal ne sera pas bouclée avant la prochaine session parlementaire. Histoire de remettre une couche d'incertitude. Et la fin de l'obligation de contracter ? Les Etats n'ont toujours pas décidé s'ils suivaient ou non le National dans sa décision de l'abolir. On devrait savoir cela le 1er octobre. Normalement. Mais rien n'est sûr. Vu la méchante tendance anti-médecine libérale des sénateurs, le résultat ne fait cependant pas de doute....Moralité de cet étrange ballet d'annonce et de rétractation : hormis le jeu des lobbys que les médecins ont perdu depuis longtemps la seule chose qui influence réellement le Parlement, c'est la menace de référendum. Il déteste cela, le Parlement. Difficile de faire plus clair comme message à la Chambre médicale de la FMH qui se réunira le 11 octobre : lancez un référendum sans hésiter ! Si la décision de supprimer l'obligation de contracter n'est pas encore prise par le Parlement au 11 octobre, au moins décidez tout de suite d'en lancer un dès le moment où ce sera le cas....Maintenant, la FMH doit faire des choix. Soit elle s'enfonce dans son mutisme et se contente de sa tactique des compromis avec un monde politique pour lequel elle constitue une quantité négligeable, soit elle agit. Agir suppose de sortir du statu quo. De proposer des solutions de gestion, de contrôle des coûts. De définir des projets d'alliance et de communication....Premier aspect d'une stratégie : les médias. Investir une énergie colossale dans la bataille de communication qui va s'ouvrir lorsque des référendums seront lancés. Décider, en particulier, quels sujets défendre. Sur certains points, nous avons déjà perdu. Donc : où se trouve l'important ? La fin de l'obligation de contracter ? Oui, à l'évidence. La clause du besoin ? Oui encore, les jeunes générations étant la colonne vertébrale de la médecine. Mais surtout : le rôle culturel, anthropologique des médecins. Tout, dans ce domaine, reste à faire.Second aspect : organiser des alliances. Avec les patients (évidemment), mais aussi avec les hôpitaux, les cliniques, les facultés de médecine, les pharmaciens, les infirmières, les physiothérapeutes, etc. : de ces partenaires actuels du système de santé, aucun n'a intérêt à la mainmise programmée des assureurs sur l'ensemble. Mais c'est aux médecins que revient de lancer une réflexion sur le réseau qui pourrait les fédérer....Plus que jamais, la population apprécie les médecins : c'est ce que montre une étude présentée par la World Medical Association.1 Dans l'ensemble des pays étudiés (tous développés), les gens classent la relation médecin-malade au second rang, juste après les relations familiales, mais loin devant les relations avec la catégorie des «conseillers spirituels» ou avec les collègues de travail. Commentaire de Mike Magee, responsable de l'étude : «La relation médecin-patient est un élément fondamental de la stabilité des sociétés
Elle affermit les liens de famille, prend en charge les peurs et les soucis quotidiens de la population et aide à renforcer la confiance et la volonté de s'investir dans le futur». Et nous bouderions cela, nous en gaspillerions le sens, nous laisserions les assureurs faire des confettis de ce genre de réflexion ?...Ni les sondages ni les indicateurs multiples n'empêchent l'apparition de crises sociales inattendues. Tout d'un coup, s'opère un décrochement entre les élites dirigeantes d'une part et la société d'autre part. Pareil phénomène pourrait bien s'observer dans les prochaines années à propos du système de santé.Leur peur de la hausse des prix est telle que les politiciens, de plus en plus, fixent obsessionnellement leur attention sur les chiffres, les solutions économiques, les approches rationnelles et techniques. Mais ce qu'ils commencent à ne plus voir, c'est que la population est plus que jamais attachée à sa médecine. Attachement irrationnel ? Certes. Ou plutôt, attachement culturel. Et un changement majeur, comme celui qu'entraînerait la suppression de l'obligation de contracter, pourrait déclencher une crise soudaine. Avec la question posée, à la racine de la crise : quelle est la vision culturelle du changement ? Tout d'un coup, on se rendra compte qu'il n'y en a pas. Rien à dire. La santé est pilotée le nez dans le guidon, les yeux sur les statistiques. Pas de carte, de projet véritable, de vision d'avenir.On connaît la question centrale que pose Durkheim : sur quoi repose la cohésion d'une société ? La réponse classique est : sur les institutions, les autorités, les croyances et les représentations collectives. Ce qui est nouveau, cependant, c'est que la cohésion se joue de manière croissante autour du pouvoir de transformation du corps et de l'esprit par la technique. Or, pour le moment, il n'y a guère que la médecine à proposer une culture de cette transformation. Et il se pourrait bien que la population l'ait compris....C'est étrange, mais il faut s'y faire : nous avons un assureur parmi nos conseillers fédéraux. Ses décisions sont exactement celles que prendrait le PDG de l'ensemble de la branche de l'assurance s'il était à sa place : elles arrangent les assureurs, elles leur permettent de continuer à faire les profits qu'elles entendent, elles n'exigent aucune clarté. Impossible de faire mieux. Si l'on résume la réponse de Pascal Couchepin à ceux qui lui demandent sur quelles bases à partir de quels chiffres et selon quelle prévision il diminue le taux minimum du deuxième pilier, il répond qu'il faut faire confiance aux assureurs. Les experts indépendants estiment à l'unanimité que cette baisse est exagérée ? Cela n'entame en rien sa détermination. Même attitude avec les primes maladies. Les assureurs savent ce qu'ils font (eh oui, reconnaissons-le : ils font des affaires), pas question donc d'aller regarder leurs comptes de trop près. Et puis, il y a le reste. Il y a, exemple entre mille, la conférence de presse de Couchepin sur les primes, la semaine passée, à laquelle assiste Yves Seydoux, «spin doctor» archiconnu de santésuisse, non-journaliste (ce qui est interdit à ce genre de conférence de presse) donnant aux journalistes le point de vue des assureurs en live, cela après avoir reçu la bénédiction publique de Couchepin, bref, faisant comme chez lui. «Vous êtes chez moi comme chez vous» : pas de meilleur résumé de l'attitude de M. Couchepin à l'égard des assureurs. Si vous écrivez à M. Couchepin, n'oubliez pas d'indiquer tous ses titres : Pascal Couchepin, assureur, président de la Confédération.1 Patients put their relationship with their doctors as second only to that with their families. Pincock S. BMJ 2003 ; 327 : 581.