Notre époque, qui s'y connaît en matière de désacralisation et de gommage des repères religieux, s'est amusée à détourner le sens de certains mots. Ainsi celui d'«icône». Que s'est-il passé dans la tête des informaticiens qui sont à l'origine, sur nos modernes établis électroniques, de cette étrange «Barre d'icônes» qui nous aide parfois à ne pas perdre le fil dans le dédale virtuel de notre ordinateur ? Faut-il voir là un simple ettriste hasard, le symptôme d'une acculturation grimpante ou, au contraire, un discret clin d'il, la démonstration légère, pour les générations futures, que tout n'est pas définitivement perdu. Car, enfin, les choses devraient être claires comme l'établit doctement «Le Petit Robert». Nous avons à notre disposition deux mots. Le premier est «icone», nom masculin issu de l'anglais qui est à la fois un «signe qui ressemble à ce qu'il désigne, à son référent» et le «symbole graphique affiché sur un écran d'ordinateur qui représente et permet d'activer une fonction du clavier». Et puis, bien évidemment, nous avons la féminine «icône», née du russe «ikona» et du grec «eikona» qui renvoie aux célèbres peintures religieuses, à l'affirmation imagée d'une croyance, le reflet sur panneau de bois de l'invisible sacré.Ce long préambule pour dire que le terme a d'ores et déjà d'autres utilisations qui ne figurent pas encore dans les dictionnaires. Ainsi peut-on en toute impunité dire de Brigitte Bardot qu'elle est une «icône du féminisme.» Ou plus exactement qu'elle fut. Brigitte Bardot ancienne et célèbre actrice que nous retrouvons sur les frontières dangereusement mouvantes qui séparent l'homme de l'animal. Brigitte Bardot qui mène depuis de longues années déjà, corps et âme, un combat pour «les droits de l'animal», qui a créé à cette fin une fondation qui porte son nom et qui revient sur le sujet dans un livre fort décrié qui rencontre un fort succès de librairie.1 Brigitte Bardot, 68 ans, qui près de cinquante ans après la naissance de son mythe dans «Et Dieu créa la femme» voit dans l'extrême droite française l'honneur et l'avenir de la France.Ecoutons la nous parler des bêtes. Citant Tolstoï («Tant qu'il y aura des abattoirs, il y aura des champs de bataille») elle évoque, dans des chapitres où elle parle d'elle à la troisième personne, Konrad Lorenz. «Konrad Lorentz, ce visionnaire, amoureux fou d'une nature qu'il prévoyait déjà en perdition dans Sauver l'espoir, lui avait appris à ne jamais baisser les bras dans les épreuves quelles qu'elles soient et aussi à aimer les oies, ces animaux doués d'une intelligence et d'un courage méconnus, considérés comme «confit« ou «foie gras» par ces imbéciles de mangeurs, de gaveurs, de profiteurs que sont les êtres humains complètement dominés par leurs entrailles et leur appât du gain.»On retrouve là, sans surprise, ce mouvement pervers qui, rapprochant l'homme des animaux, le conduit à exalter les vertus de tout animal à la fois anthropomorphisé mais perçu de manière indistincte pour mieux condamner les vices des membres de l'espèce humaine également perçus de manière indistincte. Pour le dire autrement, Mme Bardot n'imagine pas un seul instant qu'il puisse y avoir des différences entre les oies. Toutes les oies de tous les troupeaux d'oies sont douées «d'une intelligence et d'un courage méconnus». C'est ainsi depuis le Capitole et cela sera ainsi jusqu'au jugement dernier. Pas d'oie qui n'ait à confesser quelques petites turpitudes, quelque grosse méchanceté, quelque solide mesquinerie...Le jars, peut-être, quoique. Quant aux amateurs de confit du moins de confit d'oie car il en existe aussi de canard, mais d'eux on ne sait que peu de choses ils sont immédiatement assimilés aux amateurs de foie gras (ce qui, pour ce que nous en savons, nous semble discrètement excessif) et rangés au grand rayon de l'imbécilité, de la méchanceté (les pratiquants du gavage du volatile permettant l'obtention de la stéatose hépatique) et du double vice que constituent l'appât du gain et les plaisirs de la table.«L'air du temps fut allégé par un souffle, très doux, à peine perceptible qui balaya ses étranges pensées, écrit encore Mme Bardot en parlant d'elle-même. Son regard fut attiré par un envol de tourterelles qui avaient élu domicile sur son domaine. Elles étaient arrivées là, s'étaient reproduites et depuis restaient fidèlement telles des parures veloutées, libres et symboliques de la paix. Cela l'émerveilla. Au même titre que ces sangliers sauvages qui, depuis des années, petit à petit, s'étaient intégrés à ses troupeaux, ayant investi l'écurie pour certains, le tas de fumier auprès des cochons pour d'autres. Les femelles «suitées» de leur minuscules petits marcassins à peine plus gros que des rats, venaient chercher refuge et nourriture dans l'enclos des chèvres. Au son de sa voix, elle les voyait arriver en rangs serrés, couinant, se pressant autour d'elle, bousculant le seau de maïs, mangeant à même dedans, se frottant à ses jambes, c'était une récompense qu'elle estimait miraculeuse.»Sauf à s'interroger sur les raisons profondes de la référence au miracle, on en viendrait presque à sourire. L'ancienne actrice aime à la folie les animaux qui le lui rendent au centuple. Elle estime aussi que les sangliers ne sont en aucune manière nuisibles pas plus que ne le sont renards, martres, putois, belettes, ragondins, rats musqués et castors. On connaît bien des campagnards qui ne partagent pas ce point de vue ; pour autant c'est le droit deMme Bardot de penser ainsi et de l'écrire. C'est aussi son droit de poursuivre en expliquant qu'elle ne considère comme «nuisible» que l'espèce humaine qui s'est octroyée «le droit de vie et de mort sur tous ces animaux pacifiques persécutés à vie.» On connaît aussi quelques ragondins français et amoureux de bébés tourterelles qui doivent sourire dans leur moustache.1 Un cri dans le silence/Révolte et nostalgie. De Bardot B. Monaco : Editions du Rocher, 2003.