Après quelques années où l'incidence des MST telles que la syphilis ou la gonorrhée diminuait d'année en année en Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis, la tendance actuelle est à une stabilisation voire à une remontée de l'incidence de ces deux maladies selon les pays étudiés. Il est donc probable que ces maladies refassent partie de notre environnement médical. Si le plus inquiétant reste l'augmentation des cas de VIH en 2002, les médecins doivent se préparer à la bonne prise en charge de l'ensemble des maladies sexuellement transmissibles. Le médecin de premier recours et le spécialiste vont donc devoir reconnaître ces infections que nous avons peut-être eu tendance à oublier. Il va devoir les traiter de façon optimale et finalement s'impliquer dans la prévention. L'augmentation des MST en Europe de l'Ouest pose des questions difficiles quant aux meilleurs moyens de prévention : nos campagnes politiquement correctes, visant la population générale, sont-elles vraiment adéquates si les nouvelles infections VIH touchent, avant tout, les hommes homosexuels et les personnes d'origine subsaharienne ?
Au début des années 1990, le nombre de nouveaux cas de maladies sexuellement transmissibles (MST), telles que la syphilis ou la gonorrhée, diminuait en Occident. Les données épidémiologiques nationales disponibles aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne montraient un déclin, d'année en année, de l'incidence de ces deux maladies.1,2 Depuis peu, de petites épidémies sont rapportées dans de grandes métropoles occidentales.3-10 Plus récemment, nous avons rapporté une recrudescence des MST à Genève en 2002.11 Dans ce travail, nous avons constaté que le nombre absolu de gonorrhée, de syphilis et de nouvelles infections VIH était supérieur en 2002, par rapport à 2000 et 2001. Un questionnaire envoyé aux médecins traitant des cas de gonorrhée fit ressortir que les relations sexuelles à risque concernaient l'ensemble des personnes sexuellement actives, quels que soient leur orientation sexuelle ou leur statut sérologique VIH. De plus, le traitement proposé n'était pas toujours optimal.
Nous nous sommes donc demandé si les petites épidémies rapportées ici et là n'étaient que des phénomènes isolés ou s'ils étaient le signe d'un réel retour des MST en Occident. Pour répondre à cette question, nous avons repris des données françaises, anglaises, américaines et suisses.
La gonorrhée est un bon marqueur des conduites sexuelles à risque, puisque les symptômes apparaissent quelques jours après la contamination et qu'ils sont souvent suffisamment désagréables pour que le patient consulte rapidement.
Les statistiques britanniques sont particulièrement intéressantes, car les données nationales existent depuis 1925 et sont illustrées à la figure 1. L'incidence était très importante à la fin des années 70 et au début des années 80 : jusqu'à 60 000 cas par année ont été diagnostiqués. A la fin des années 80, la diminution de l'incidence fut spectaculaire, pour atteindre environ 10 000 cas/an au milieu des année 1990. Depuis, une augmentation du nombre de cas s'amorce et en 2000, il y avait environ 20 000 cas par année.2
Les données américaines montrent également une forte diminution des cas de gonorrhée au début des années 1990. Par contre, le nombre de cas semble se stabiliser ces trois dernières années avec une incidence de l'ordre de 145 000 cas/an.1
En France, la surveillance MST est basée principalement sur les déclarations de laboratoires. Le réseau RENAGO (Réseau national du gonocoque) a pour but de suivre l'évolution du nombre de gonococcies en France, ainsi que la sensibilité des souches de N. gonorrhoeae aux antibiotiques. Une recrudescence brutale des gonococcies a été mise en évidence en 1998.12 Bien que les données comportementales (préférences sexuelles) ne soient pas recueillies par RENAGO, l'augmentation des isolements ano-rectaux et le changement du sex-ratio suggèrent que cette recrudescence concerne plus particulièrement les hommes homosexuels et bisexuels d'Ile-de-France. Cependant, au niveau national, cette augmentation touche aussi la population hétérosexuelle féminine.13,14 Depuis deux ans, cette tendance s'inverse et le nombre de nouveaux cas a tendance à diminuer.
Alors que la presse parle du retour de la syphilis dans nos contrées, les chiffres américains ne corroborent pas ce phénomène. Le nombre de cas annoncés par le CDC d'Atlanta, concernant les syphilis primaire et secondaire, oscille entre 2000 et 3000 cas annuels aux Etats-Unis, ces trois dernières années. Par comparaison, plus de 7000 cas/an étaient diagnostiqués en 1995.1 La mise en évidence de petites épidémies dans de grandes villes américaines ces dernières années n'a donc pas été associée à une augmentation du nombre de nouveaux cas aux Etats-Unis. La situation est tout autre en Grande-Bretagne. Les chiffres britanniques y font état d'une recrudescence de syphilis ces dernières années.2 Ce phénomène touche en particulier les hommes entre 20 et 44 ans (fig. 2). Entre 1998 et 2000, l'incidence de la syphilis aurait plus que doublé en Angleterre, particulièrement en raison de quatre petites épidémies qui ont été bien identifiées. Ces épidémies suggéraient des prises de risques lors des rapports sexuels, touchant aussi bien les hétérosexuels que les homosexuels. Il s'agissait d'un tiers de syphilis primaire, un tiers de syphilis secondaire et un tiers de syphilis latente. Une séropositivité VIH concomitante n'était pas rare. Un cas de syphilis congénitale lié à ces épidémies a été identifié.15 Les données provenant de Londres montrent une augmentation de transmissions hétérosexuelles en 2002 et en 2003.16 Les cas rapportés étaient de 25 en 2001, 72 en 2002 et 40 pour les cinq premiers mois de l'année 2003.
En France, la syphilis n'est plus une maladie à déclaration obligatoire et les données disponibles proviennent des laboratoires de diagnostics. Son incidence augmenterait de nouveau depuis trois ans. A Paris, le nombre de cas diagnostiqués est ainsi passé de 30 en 2000, à 148 en 2001 et à 203 pour les dix premiers mois de 2002.17 La recrudescence de la syphilis concernait majoritairement les homo/bisexuels, et près de la moitié des homo/bisexuels infectés avaient également une sérologie positive pour le VIH. Les hétérosexuels multipartenaires n'étaient que marginalement concernés. En mai 2002, une incitation au dépistage de la syphilis a été mise en place, ciblant particulièrement les hommes homo/bisexuels. Comme on aurait pu le prédire, l'augmentation des tests pratiqués fut suivie d'une augmentation de nouveaux cas dépistés. S'agit-il d'une augmentation réelle ou d'un effet artificiel causé par la campagne d'incitation au dépistage ? Au vu des chiffres (voir ci-dessus), nous penchons pour la première hypothèse, mais nombreux sont ceux qui n'y croient pas, argumentant que le déclin des gonorrhées parle contre l'existence d'une épidémie de syphilis.
Les dernières nouvelles sur l'épidémie du VIH ne sont pas encourageantes. Une réémergence des comportements sexuels à risque chez les homosexuels fait craindre une augmentation des nouvelles contaminations. En Europe de l'Ouest, on observe une augmentation de 23% des nouveaux diagnostics d'infection à VIH déclarés en 2002, par rapport à 2001. C'est ce que constate le programme européen EuroHIV de surveillance épidémiologique de l'infection à VIH et du sida. Ainsi, par exemple, les nouveaux cas de VIH en Grande-Bretagne sont passés de moins de 3000 en 1998 à plus de 5000 en 2002. Cette augmentation touche particulièrement les personnes originaires d'Afrique subsaharienne. Approximativement 70% des infections hétérosexuelles nouvellement dépistées en Grande-Bretagne auraient été acquises en Afrique. Les nouveaux diagnostics sont également en hausse chez les homosexuels et les bisexuels masculins, mais pas chez les utilisateurs de drogues injectables. Ces données excluent celles de trois des pays les plus touchés, où la déclaration de la séropositivité n'est pas opérationnelle au niveau national : l'Espagne, où des données partielles indiquent une diminution importante du nombre de cas chez les utilisateurs de drogues au cours des dernières années, l'Italie et la France, où la déclaration obligatoire n'a débuté qu'en 2003. Après plusieurs années de baisse consécutive à l'introduction des trithérapies, l'incidence du sida (données disponibles pour tous les pays) s'est maintenant stabilisée et montre des signes d'aggravation dans certains pays.18
Une augmentation de l'incidence du VIH semble également se dessiner en Suisse pour 2002. La figure 3 montre le nombre de nouveaux tests VIH positifs entre 1988 et 2002. A partir de 1992, on assiste à une diminution du nombre de tests positifs. Depuis 2000, la tendance est à une recrudescence. Si l'on étudie le mode de transmission, les données disponibles montrent que cette hausse touche surtout les homosexuels et les personnes hétérosexuelles originaires de la région subsaharienne. Les données sur les nouvelles primo-infections VIH, témoignant d'une infection récente, font également état d'une augmentation, celles-ci passant de 74 en 2000, 61 en 2001 à 128 en 2002. S'il n'est pas exclu que des biais épidémiologiques rentrent en ligne de compte, cette situation, si elle se confirme, est préoccupante. Elle pose des questions difficiles quant aux meilleurs moyens de prévention : nos campagnes politiquement correctes, visant la population générale, sont-elles vraiment adéquates si les nouvelles infections touchent, avant tout, les hommes homosexuels et les personnes d'origine subsaharienne ?
Après quelques années où l'incidence des MST telles la syphilis ou la gonorrhée diminuait d'année en année en Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis, la tendance actuelle est à une stabilisation, voire à une remontée de l'incidence de ces deux maladies selon les pays étudiés. Il est donc probable que ces maladies refassent partie de notre environnement médical. Si le plus inquiétant reste l'augmentation des cas de VIH, les médecins doivent se préparer à la bonne prise en charge de l'ensemble
des maladies sexuellement transmissibles. Le médecin de premier recours et le spécialiste vont donc devoir reconnaître ces infections, que nous avons peut-être eu tendance à oublier. Il va devoir les traiter de façon optimale et finalement s'impliquer dans la prévention.
Certaines MST sont faciles à diagnostiquer, comme les urétrites à Neisseria gonorrheae, d'autres par contre le sont moins. C'est le cas de la syphilis, qui peut prendre de multiples aspects cliniques. Dans le doute, une sérologie syphilitique doit être pratiquée.
Il est important d'optimaliser le traitement. La formation continue, que suit le médecin potentiellement confronté aux MST, doit lui rappeler la bonne prise en charge de ces maladies. A titre d'exemple, nous nous sommes aperçus que le traitement proposé aux personnes atteintes d'urétrite à Neisseria gonorrheae en 2002 à Genève, ne couvrait pas le Chlamydia
trachomatis dans un tiers des cas. Or, celui-ci est fréquemment présent en cas de gonorrhée. Les urétrites à Chlamydia sont parfois peu symptomatiques mais elles sont impliquées dans des problèmes de stérilité et ne doivent donc pas être négligées.
La prise en charge des partenaires sexuels est importante, d'une part pour protéger l'individu, mais également la communauté. Si cela est particulièrement important en cas de séropositivité VIH, c'est également le cas pour les autres MST. La syphilis et la gonorrhée sont des marqueurs qui traduisent une sexualité à risque. De plus, des MST telles que la syphilis ou l'herpès génital, augmentent le risque de transmission de l'infection à VIH.
La prévention reste donc tout à fait d'actualité. Elle est même un défi majeur face aux pratiques sexuelles non protégées. Deux nouvelles situations doivent être prises en compte. La première concerne les personnes bien informées qui, malgré une bonne connaissance du problème, choisissent délibérément une sexualité à hauts risques. La prévention destinée à ces personnes est particulièrement difficile. Un autre cas de figure, également délicat, est celui des populations migrantes, chez lesquelles les messages de prévention classiques sont mal compris, mal interprétés, voire rejetés. Ainsi, améliorer la communication et comprendre leur culture deviennent nécessaires, notamment chez les personnes d'origine subsaharienne, particulièrement touchées par le VIH.