Une épidémie encore plus importante qu'on ne pensait, selon une projection de l'OMS et de la Fédération internationale du diabète.
Le cri d'alarme n'est pas nouveau, mais les chiffres révélés récemment à Paris devant les 15 000 participants au 18e Congrès mondial du diabète, et contenus dans la dernière édition de l'«Atlas du diabète» sortie à cette occasion, font froid dans le dos.
Depuis 1995, où l'on recensait déjà 135 millions de diabétiques dans le monde, on est passé en effet à 190 millions aujourd'hui, et le chiffre pourrait monter jusqu'à plus de 330 millions d'ici 2025 si l'on ne trouve pas le moyen d'enrayer ce cercle infernal. On estime que le nombre de diabétiques pourrait tripler au Moyen et Proche-Orient, et doubler en Europe et en Asie.
Or ce n'est rien si l'on peut dire car non seulement un pourcentage non négligeable de diabétiques ignorent leur affection jusqu'à ce que se manifeste l'une ou l'autre de ses complications, mais une proportion importante de la population mondiale souffre déjà d'une tolérance abaissée au glucose, dont on sait qu'elle fait le lit du diabète. Quand on se livre à des projections à ce sujet, ce sont alors plus de 470 millions d'individus, à l'échelle du globe, qui seront probablement concernés en 2025.
D'où la mobilisation à la fois des scientifiques, des médecins, et des firmes pharmaceutiques (le marché est déjà estimé à plus de 10 milliards de francs), décidés à freiner ensemble cette évolution dramatique. Tous conscients qu'un diabétique a deux fois plus de risque qu'un non-diabétique de succomber à l'une des affections associées à cette maladie, pathologies cardiovasculaires et insuffisances rénales terminales en tête.
Et il est en outre inutile de rappeler que le diabète est la première cause de cécité chez l'adulte suite à une rétinopathie diabétique, ou que les diabétiques sont de 15 à 40% plus exposés au risque de devoir subir une amputation, en raison des problèmes de circulation ou de micro-circulation qui affectent alors la jambe ou le pied.
Jusqu'à 400 milliards de dollars
Comme à chaque fois, le cri d'alarme revêt aussi une dimension économique, et l'IDF n'a pas manqué de le souligner bien fort à l'occasion de son 18e congrès mondial.
Les diverses formes de diabète entraînent en effet des coûts très importants non seulement en frais de santé directs, mais également en frais indirects liés soit aux pathologies qui en découlent, soit à la perte de productivité ou aux répercussions que doivent assumer les familles de diabétiques.
Pour les seuls coûts directs, l'étude conjointe de l'OMS et de l'IDF révélée à Paris les évalue, à l'échelle de la planète, à au moins 153 milliards de «dollars internationaux» (devise qui tient compte des différences de pouvoir d'achat relatif de plusieurs devises) et peut-être même jusqu'à 286 milliards.
En 2025, ajoutent les experts, cela pourrait monter jusqu'à 396 milliards de dollars internationaux. On rappellera qu'en Suisse, où l'on compterait actuellement plus de 250 000 diabétiques, on estime que le seul diabète de type 2 coûte chaque année environ 1 milliard de francs.
Ambitieuse campagne planétaire
Mais ce 18e Congrès mondial du diabète a surtout donné l'occasion à l'IDF, en collaboration avec la Société internationale de néphrologie, de lever le voile sur une campagne globale ambitieuse que ces deux institutions ont lancée en collaboration avec Bristol-Myers Squibb et Sanofi-Synthélabo.
Baptisée «DEMAND» (acronyme un peu tiré par les cheveux pour Developing Education on Microalbuminuria for Awareness of reNal and cardiovascular risk in Diabetes), cette campagne internationale a, en point de mire, la redoutable néphropathie diabétique.
Car comme l'a rappelé à Paris le Pr Philippe Halban, des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), président de l'Association européenne pour l'étude du diabète (EASD) : «Si l'on ne parle guère du diabète dans le bus, ou si les pouvoirs publics n'y prêtent guère attention en dépit des projections alarmantes rappelées ci-dessus, c'est que le diabète n'apparaît jamais sur un certificat de décès ! On ne meurt pas, en fait, du diabète. Mais de tout ce qui en découle».
Or justement, parmi toutes ses complications, les dommages souvent graves que le diabète peut infliger aux reins des malades sont largement sous-estimés par le grand public et par certains généralistes. Car s'ils n'y prennent garde, certains diabétiques peuvent y laisser leurs reins, puis la vie. Comme ce fut le cas du célèbre musicien Barry White, décédé en juillet dernier, à 58 ans.
Les projections révélées à Paris indiquent qu'en 2010 il pourrait y avoir jusqu'à deux millions de patients atteints d'insuffisance rénale terminale.
Un dépistage peu coûteux serait doublement rentable
Même si l'on estime que le diabète est à l'origine de 35-40% des nouvelles insuffisances rénales détectées chaque année, rien n'est pourtant inéluctable. On peut en effet d'une part contrôler très strictement son diabète, et d'autre part détecter les premiers signes d'une atteinte rénale, en recherchant la présence dans l'urine d'infimes traces de protéines, la «microalbuminurie» (de 30 à 300 mg par 24 h).
Et en cas d'albuminurie jugée trop élevée (plus de 300 mg par 24 h), on peut viser une réduction énergique de la pression artérielle, un traitement qui s'est révélé efficace pour ralentir fortement la détérioration de la fonction rénale. C'est d'ailleurs pour cette indication de néphropathie diabétique que Swissmedic a décidé d'approuver récemment la prescription d'un inhibiteur des récepteurs de l'angiotensine, l'irbesartan (Aprovel®), pour lequel une étude récente (IRMA2) a montré qu'il réduisait très largement l'évolution d'une microalbuminurie vers une protéinurie.
Un dépistage systématique de la microalbuminurie pourrait se révéler doublement payant, ont souligné les spécialistes à Paris : pour les patients, d'une part, et pour la société, d'autre part, qui risque sinon de devoir faire face à des coûts (dialyse et transplantation) de plus en plus faramineux en raison de l'explosion du nombre de diabétiques de type 2, liée elle-même à l'explosion du nombre d'obèses.
D'où cette campagne originale «DEMAND», entreprise auprès d'environ 40 000 diabétiques avec la collaboration de 5000 généralistes dans 34 pays : procéder à la première estimation épidémiologique jamais entreprise à cette échelle des cas de microalbuminurie chez des diabétiques de type 2. Et initier par là même une large prise de conscience quant à la nécessité de procéder régulièrement à ce genre de test de dépistage, désormais peu coûteux quoique d'une sensibilité toujours accrue.
Les résultats de cette campagne seront révélés le 13 novembre à Bruxelles, à l'occasion de la Journée mondiale du diabète qui sera célébrée le lendemain, et en conjonction avec le Congrès international de néphrologie qui se tiendra à San Diego. Le choix de cette date n'est toutefois pas une coïncidence : la Fédération internationale du diabète a en effet choisi, pour cette Journée mondiale 2003 qu'elle patronne avec l'OMS, de mettre l'accent sur les dégâts que le diabète peut occasionner aux reins. Le slogan retenu en dit d'ailleurs long : «Le diabète peut vous coûter les reins, agissez maintenant».
Innovation suisse
Si ce 18e Congrès mondial du diabète n'aura été marqué par aucune percée spectaculaire, il a toutefois laissé percevoir des progrès importants pour le proche avenir, notamment sur le front de l'autosurveillance de la glycémie et du futur «pancréas artificiel».
Car si les diabétiques disposent désormais d'un choix extrêmement large d'appareils de plus en plus petits et conviviaux pour surveiller leur glycémie, l'avenir pourrait bien résider dans des dispositifs non invasifs, comme celui qu'a présenté à Paris la jeune firme helvétique Pendragon Medical, de Zurich.
Son capteur automatique Pendra®, que les diabétiques pourront porter au poignet, a obtenu son homologation européenne au printemps 2003 et devrait être commercialisé au début de l'année prochaine dans cinq pays européens, dont la Suisse. Cet appareil révolutionnaire sait «lire au travers de la peau» le taux de glucose sanguin, sans qu'il soit besoin de prélever la moindre goutte de sang, ni de déposer sur la peau un produit quelconque comme l'avaient proposé des appareils similaires apparus il y a quelques années.
Grâce à un détecteur mesurant la conductivité du sang (qui varie comme on le sait en fonction de la glycémie), ce senseur d'un nouveau genre s'appuie sur ce que les spécialistes nomment la «spectroscopie par impédance», et fournit une lecture et un enregistrement en continu, enregistrement que le praticien pourra analyser ultérieurement s'il le souhaite.
Comme l'a expliqué le Dr Stephan Rietiker, CEO de la société, au cours de sa conférence de presse, l'appareil va surtout servir, dans un premier temps, de complément aux autres méthodes de mesure, et permettra d'alerter le malade, notamment durant la nuit, en cas d'hypoglycémie qui pourrait lui être fatale.
Des pompes implantables au «pancréas artificiel»
Un autre secteur où le Congrès mondial du diabète a montré que les promesses d'avenir étaient grandes est celui des pompes à insuline entièrement automatiques, que d'aucuns baptisent déjà des «pancréas artificiels».
D'ici là, les pompes implantables sont déjà prêtes à prendre le relais des pompes à insuline externes, dont 250 000 exemplaires sont déjà en service dans le monde. La firme Medtronic, par exemple, a annoncé à Paris avoir équipé de son modèle MIP 2007 un total de 300 patients, dans le cadre d'un essai clinique devant mener à la validation complète par la FDA de cet appareil et de l'insuline très spéciale qu'il utilise.
En effet, dans la mesure où l'insuline doit rester à l'intérieur de la pompe durant plusieurs mois, il faut qu'elle soit non seulement concentrée (vu la taille de l'appareil) mais encore d'une stabilité exceptionnelle. Ainsi, bien que la pompe en tant que telle soit certes déjà homologuée au sein de l'Union européenne, l'homologation américaine visée par l'essai clinique doit couvrir en même temps l'appareil et son produit.
L'idéal serait bien sûr de disposer à la fois d'une pompe implantable et d'un capteur automatique de glycémie qui lui soit couplé en permanence, ce que les spécialistes nomment un peu pompeusement un «pancréas artificiel».
Or, cette perspective se rapproche à grands pas, notamment grâce aux travaux rapportés au congrès de Paris par l'équipe du Pr Eric Renard, du CHU de Montpellier.
Un tel appareil, dont une première version partielle équipe déjà à titre expérimental 26 patients (19 en France et 7 à Santa Barbara aux Etats-Unis), devrait à terme combiner une pompe à insuline fonctionnant en continu avec un capteur de glycémie qui lui «parlera» en permanence. Ce «pancréas artificiel» pourra ainsi ajuster finement comme le fait le pancréas les doses d'insuline qu'il libèrera, de minute en minute, directement dans le péritoine. Ce n'est toutefois encore que de la musique d'avenir, car pour l'instant ce couple idéal (pompe implantée-capteur en continu) n'a été testé que durant 48 heures, les 26 malades équipés par le groupe du Pr Eric Renard devant encore commander eux-mêmes leur pompe, en fonction des indications que leur livre le capteur de glycémie.
Diabète 2 : aide-toi, le ciel t'aidera
Enfin, sur le front des médicaments destinés aux diabétiques de type 2, ce ne sont pas les options qui manquent, à commencer par les classiques sulfonylurées et la metformine.
Et pourtant, de l'avis unanime des spécialistes réunis à Paris, la priorité numéro 1 est ailleurs : car il est de plus en plus évident qu'en perdant du poids, en privilégiant une alimentation saine et en s'adonnant à une activité physique régulière une grande proportion des diabétiques de type 2 pourraient très bien se passer de médicaments.
L'étude désormais célèbre DPP (Diabetes Prevention Program) qui a été rappelée lors du Congrès, et qui avait été menée sous les auspices des très réputés Instituts nationaux de la santé des Etats-Unis (NIH), avait en effet montré qu'un changement radical du mode de vie, avec une activité physique soutenue, permettait de réduire de 58% le risque de survenue d'un diabète de type 2 après cinq ans, contre 30% seulement si l'on s'en remettait uniquement à un médicament antidiabétique.
Cela dit, lorsque les médicaments doivent être appelés en renfort, la panoplie dont dispose le diabétique de type 2 est aujourd'hui déjà très riche, et elle promet de s'élargir davantage encore ces prochaines années. Les chercheurs progressent en effet assez vite dans la compréhension de la physiopathologie de ce diabète-là, très différente de celle du diabète de type 1. Le diabète de type 2 se caractérise à la fois par la relative inefficacité de l'insuline, qui a de la peine à pénétrer dans le muscle pour y faire entrer le glucose, et par une sécrétion d'insuline devenant progressivement insuffisante de la part du pancréas, comme s'il s'épuisait avec le temps.
Des médicaments selon trois axes
D'où désormais trois axes d'intervention et de recherche, que reflètent bien les médicaments actuels ou en cours d'expérimentation : cibler les tissus graisseux qui semblent envoyer au muscle de mauvais signaux perturbant l'action de l'insuline ; mieux comprendre les mécanismes qui permettent au muscle d'utiliser le glucose sanguin sans l'aide de l'insuline, mécanisme encore mystérieux mais qui explique les bénéfices de l'activité physique ; enfin aider le pancréas en le stimulant, surtout pendant les repas.
Au premier axe correspondent les relativement nouvelles molécules nommées glitazones (essentiellement l'Actos® (pioglitazone) de Takeda et l'Avandia® (rosiglitazone) de GlaxoSmithKline), qui ont en outre un effet bénéfique sur les taux de graisse dans le sang. Pour que le muscle capte mieux le glucose sanguin sans l'aide de l'insuline deuxième axe les scientifiques et les industriels cherchent à stimuler l'enzyme qui joue le rôle d'intermédiaire entre la contraction musculaire et la captation du glucose, bien qu'ils n'en soient encore qu'au tout début. Quant à la stimulation du pancréas, c'est là que les espoirs sont les plus forts. Car si l'on pouvait influencer toute la machinerie biochimique qui régule la sécrétion d'insuline en fonction du taux de glycémie, on ouvrirait des portes thérapeutiques très prometteuses.
Le GLP1 a le vent en poupe
L'une des nombreuses enzymes responsables de cette régulation, la glucokinase, fait déjà l'objet de travaux prometteurs, à mettre au crédit des chercheurs de Roche : leurs activateurs de la glucokinase pourraient mener à terme à des médicaments extrêmement efficaces.
Mais l'hormone qui a le vent en poupe, pour stimuler la sécrétion d'insuline par le pancréas, c'est le GLP1 (pour Glucagon-like polypeptide 1). Cette hormone fait partie des nombreuses molécules sécrétées par le tube digestif en présence de glucose, dont on a compris récemment qu'elles provoquaient une sécrétion d'insuline par le pancréas trois fois plus importante que le simple glucose sanguin. Elli Lilly et Novo Nordisk développeraient des produits qui s'inspireraient de cette voie.
On comprendra dès lors que le traitement du diabète de type 2, de loin le plus répandu et en pleine explosion mondiale, bénéficiera simultanément de tous ces développements. Davantage d'ailleurs que de toutes les tentatives décevantes liées à la génétique, cette voie de recherche qu'on considérait il y a quelques années comme potentiellement miraculeuse, et qui promettait de corriger les maladies grâce au remplacement de tel ou tel gène.
Car comme l'a rappelé à Paris Jean-François Gautier, professeur de diabétologie à l'hôpital St-Louis, «le diabète de type 2, dont tous les mécanismes sont d'ailleurs encore mal compris, est manifestement une maladie polygénique, qui va nécessiter de viser simultanément plusieurs cibles thérapeutiques».