Nous poursuivons ici et achèverons bientôt l'exposé des grandes lignes des recommandations que l'Agence nationale française d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes) vient de publier sur le thème majeur en termes de santé publique du diabète de type 2 (Médecine et Hygiène des 24 septembre, 1er et 8 octobre 2003). Et après le quand et le comment nous ajouterons le pourquoi avec l'abord des aspects économiques inhérents à ce dépistage dès lors qu'il est proposé comme une action fondamentale menée au nom de la santé publique et de l'intérêt collectif.
Notre époque n'est plus, en effet, de celles où la médecine pouvait être dissociée des considérations économiques de sa pratique. De telles époques ont-elles d'ailleurs jamais existé ? Qu'en est-il véritablement du fameux «âge d'or» qu'évoquent parfois, en fin de soirée et sur le ton de la plus extrême confidence, les plus âgés des médecins libéraux français ? Indubitablement, certains praticiens dans certaines disciplines particulières réussirent en un exercice professionnel à constituer une fortune qui, sous d'autres latitudes laborieuses et en d'autres temps, demandait plusieurs générations ; mais combien parmi tous ceux qui disposaient du glorieux titre de docteur en médecine ? Peut-être y a-t-il eu, entre la période du docteur Knock et celle de l'avènement des systèmes de couverture sociale, des espaces privilégiés durant lesquels l'argent primait moins qu'aujourd'hui dès lors qu'il s'agissait de santé, de dépistage et de prévention ; voire.
Mais voilà que nous nous égarons et qu'il est grand temps de revenir au diabète et aux recommandations de l'Anaes. En d'autres termes, la question peut être aisément formulée : le dépistage de masse des formes asymptomatiques du diabète de type 2 est-il rentable ? Ou pour le dire autrement y a-t-il une «efficacité économique» à organiser un tel dépistage ? Rappelons que l'évaluation économique dans le champ médical consiste à comparer les coûts d'une maladie au résultat d'une intervention visant notamment à réduire les coûts induits par cette même maladie. Les experts réunis sous l'égide de l'Anaes prennent soin de souligner que l'on distingue trois types d'évaluation :
analyse coût/efficacité : les effets sur la santé sont, dans cette approche, quantifiés en termes physiques (décès évités, nombre d'années de vie «gagnées», amélioration des paramètres biologiques) ; ces effets sont ensuite comparés aux coûts générés pour obtenir ces effets sur la santé. Les résultats obtenus dépendent, on le comprend sans mal, des critères d'efficacité qui auront été retenus.
Analyse coût/utilité : elle conduit à mesurer l'effet sur la santé au moyen de différents indicateurs dits «d'utilité» ou de «satisfaction». L'un des indicateurs les plus fréquemment retenus est on appréciera ou non l'idéologie sous-jacente le Quality Ajusted Life Years ou QALY fondé sur le nombre d'années de vie «gagnées», ajusté par la «qualité» de cette même vie.
Analyse coût/bénéfices ou coûts/avantages : elle consiste à affecter une valeur aux effets appelés «bénéfiques» ou «avantages». «Elle assimile le surplus social obtenu à un bénéfice net actualisé. La difficulté d'attribution d'une valeur monétaire au bénéfice conduit souvent les évaluateurs à mesurer le bénéfice uniquement par les coûts évités» peut-on lire dans le document de l'Anaes. Qu'en termes prudents ces choses-là sont dites.
«Dans le cas du diabète, soulignent les experts, l'importance des dépenses de santé associées est à la fois liée à la forte prévalence de cette affection dans la population et à l'importance des dépenses engendrées par les complications micro et macrovasculaires qui s'accompagnent généralement d'arrêts de travail et de décès prématurés. L'existence de pathologies associées rend difficile l'évaluation économique des conséquences strictes du diabète. Il n'est pas en effet justifié d'attribuer systématiquement la prise en charge de telle ou telle pathologie au diabète.»
Pour les experts réunis par l'Anaes, la difficulté de la mesure de l'intérêt économique d'une opération de dépistage précoce du diabète résulte du fait «que ce dépistage précoce n'empêche pas la maladie d'apparaître». «Ce dépistage permet une prise en charge avancée qui devrait diminuer ou retarder l'apparition de certaines complications, voire d'éviter des décès prématurés, ajoutent-ils. Pour les mêmes raisons que les études cliniques, aucun essai randomisé n'a évalué les bénéfices d'un dépistage précoce sur le coût médical direct et indirect du traitement des diabétiques. Toutefois, en parvenant à estimer le risque pour un diabétique de développer une complication et à dater l'année de sa survenue (sans dépistage accompagné d'un suivi), il est possible de calculer les coûts évités par le dépistage.»
Ces experts ajoutent : «Dans le cadre d'une politique de dépistage, le traitement intensif préconisé pour prévenir les complications entraînerait une augmentation des dépenses dans la population concernée. Ces coûts supplémentaires devraient alors être compensés par les économies attendues dans la prise en charge des complications.» Quatre études se sont intéressées à un tel calcul. Pour la population américaine, on doit compter avec l'étude des Centers for Diseases Control and Prevention (CDC) en 1998, suivie deux ans plus tard de celle de Lee pour les plus de 65 ans. Pour la population de Taïwan, il y a l'étude de Chen datée de 2001 et pour la population française de la région Languedoc-Roussillon l'étude de Dana publiée en 2000. Nous y reviendrons.
(A suivre)