Poursuivons un instant la relation de notre séjour à Arcachon où se tenait il y a peu un forum organisé «par et pour» les patients souffrant du syndrome d'apnées du sommeil (Médecine et Hygiène du 15 octobre).En France, les choses sont, du moins d'un point de vue théorique, simples. Un arrêté du 7 mai 1997 établissant la liste des incapacités physiques incompatibles avec l'obtention ou le maintien du permis de conduire prend en compte les données établies sur ce thème et publiées dans la littérature médicale spécialisée. Il préconise ainsi une incompatibilité totale de conduite pour les apnéiques conduisant des véhicules lourds et une incompatibilité temporaire pour les propriétaires de véhicules légers.Rien que de très logique dira le rigoureux. Il y a plus d'une dizaine d'années, déjà, que l'on a commencé à prendre la mesure de l'impact du syndrome d'apnées du sommeil (SAS) dans le domaine de la sécurité routière. Résumons. Ce fut en 1989 que les responsables de la «Clinique du sommeil» d'Ann-Arbor (Michigan) expliquèrent qu'ils avaient retrouvé chez leurs patients apnéiques un risque quatre fois et demi plus important d'accident de la route que chez ceux qui ne souffraient pas de ce syndrome. Ce constat a, depuis, été fait à de multiples reprises. Plus récemment, un travail effectué par une équipe espagnole de l'hôpital universitaire de Santander (publié dans The New England Journal of Medicine) a retrouvé, chez des patients accidentés, une proportion nettement plus élevée de personnes atteintes de SAS que dans une population témoin : 20,6% contre 3,9%.«Différents travaux laissent aujourd'hui penser que le SAS multiplie le risque d'accident par un facteur d'environ sept, nous a expliqué à Arcachon le Pr Jean-Louis Racineux, spécialiste de pneumologie (CHU d'Angers.) La situation est tout particulièrement problématique, et le risque plus élevé, pour les personnes dont la conduite est au centre de l'activité professionnelle, qu'il s'agisse des chauffeurs routiers ou des conducteurs de bus, voire de TGV.»Plusieurs spécialistes des troubles du sommeil ne sont d'ailleurs pas loin de penser que la privation de sommeil et la conduite automobile en état de somnolence peuvent être comparées, du point de vue des risques d'accidents encourus, à la conduite en état d'alcoolémie.Dès lors, que conclure ? Un SAS non traité renvoie-t-il immédiatement à la privation séance tenante, définitive ou temporaire du permis de conduire ? «Attention !» dira le praticien prudent. Il ne faudrait pas que les termes de cet arrêté, que l'on peut trouver excessif, conduisent en définitive les patients à ne pas se faire prendre en charge. En pratique, l'important est avant toute chose d'informer les personnes souffrant d'un SAS des risques auxquels elles s'exposent et exposent les autres en continuant à conduire. Ces personnes doivent aussi savoir que leur état s'améliorera rapidement grâce au traitement que nous leur proposerons et qu'elles pourront alors, reprendre leur volant avec une vigilance et un plaisir retrouvés.«Nous sommes ici véritablement confrontés à un dilemme éthique, nous confiait pour sa part à Arcachon le Pr Racineux. Il ne me semble pas justifiable, comme le font certains de mes confrères, de se réfugier derrière le concept de secret médical et de ne pas prendre nos responsabilités face à des patients, notamment les professionnels de la route atteints d'un SAS, qui refusent de suivre la thérapeutique disponible et croient pouvoir «tenir» en consommant de fortes doses de tabac et de café. Mais pouvons-nous aller jusqu'à signaler à l'autorité préfectorale une personne qui, privée de son permis de conduire, perdrait immédiatement son emploi ? Comment parvenir à convaincre sans contraindre ?»Prémices d'une société sanitaire gentiment totalitaire ? Allons plus loin et abordons les propositions sur les contre-indications médicales à la conduite automobile, ainsi que leurs modalités de dépistage faites à l'attention du gouvernement et à sa demande par un groupe d'experts présidé par le Pr Alain Dômont, responsable du DIU de médecine des transports terrestres (Paris VI). Ce rapport fait suite au Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du 18 décembre 2002, où avait été annoncée l'instauration d'une évaluation médicale de l'aptitude à la conduite, avant la délivrance du permis de conduire, au cours de la vie active du conducteur et au-delà de 75 ans.Morceaux choisis : «La généralisation de l'évaluation des capacités médicales à travers des rendez-vous médicaux réguliers, et à chaque fois que le besoin en cas de dégradation des capacités médicales ayant des incidences sur la conduite, apparaît (...) scientifiquement judicieux. En effet, n'est-il pas opportun de disposer de tous ses moyens lorsque l'on est notamment confronté à des situations qui nécessitent un bon degré de performances dans la prise d'informations, une rapidité dans le traitement de celles-ci et de la précision dans les réponses sensori-motrices qu'implique la conduite d'un véhicule en toute sécurité ?»Et encore : «De nombreux pays de par le monde ont depuis de nombreuses années mis en place des politiques de lutte contre le fléau routier en y impliquant le corps médical. Certains de ces pays ont même introduit l'incapacité médicale comme un fait délictuel au volant. Par exemple en Angleterre (Pays de Galle), il existe depuis 15 ans deux délits qui cadrent la répression de l'insécurité au volant. L'un punit la conduite dangereuse ; elle englobe l'utilisation d'un véhicule en mauvais état, la vitesse excessive et les états médicaux incompatibles avec la conduite ; l'autre punit la notion de comportement accidentogène («careless driving») : changements de direction sans précaution, usage inapproprié de l'éclairage des véhicules, inattention et mauvaise gestion de la capacité de vigilance en situation de conduite. Sans rendre délictuel le fait d'être malade au volant, il apparaîtrait tout aussi illogique de méconsidérer l'intérêt de l'intervention médicale.»«Méconsidérer» ? Qu'en termes abscons ces choses-là sont dites.(A suivre)