La tuberculose est rare en Suisse mais elle s'observe proportionnellement plus souvent chez les personnes nées à l'étranger. Les migrants provenant de pays extra-européens qui entrent en Suisse par la voie légale (comme travailleurs étrangers ou requérants d'asile) sont examinés à la frontière et les malades atteints de tuberculose sont mis immédiatement au bénéfice d'un traitement antituberculeux. Chez les autres étrangers (immigrés illégaux, touristes, étrangers résidant depuis plusieurs années en Suisse), une tuberculose peut se déclarer en cours de séjour. En cas de suspicion clinique ou radiologique, il est impératif de pratiquer rapidement des examens bactériologiques pour confirmer ou exclure une tuberculose. La prise en charge des migrants atteints de tuberculose peut poser de nombreux problèmes pratiques, en particulier en raison de la grande mobilité de ce groupe de population.
L'incidence de la tuberculose, soit le nombre de nouveaux cas déclarés par année, varie entre les différents pays et régions du monde, de cinq cas pour 100 000 habitants en Norvège et aux Etats-Unis à plus de 300/100 000 pour certains pays d'Afrique.1 En Europe également, certains pays connaissent un taux voisin de 100/100 000 (par exemple la Russie et la Roumanie). En outre, à l'intérieur de la plupart des pays, même à faible incidence, il existe des groupes de population dans lesquels l'incidence est plus élevée que la moyenne. L'exemple classique est celui des détenus de certains pays de l'Est européen, l'incidence pouvant atteindre 4000 cas (!) pour 100 000 individus.
Il est donc normal que les migrants entrant en Europe, qui proviennent pour la plupart de pays où l'incidence de la tuberculose est plus élevée que dans le pays d'accueil, représentent un groupe dans lequel la tuberculose est plus fréquente que dans la population autochtone des pays occidentaux. Par ailleurs, les migrants sont pour la plupart de jeunes adultes, soit la catégorie de population la plus touchée par la tuberculose dans les pays à haute incidence, comme en Occident il y a un siècle, alors que la tuberculose tend à devenir une maladie qui ne touche plus chez nous que les personnes âgées (fig. 1).
En Suisse, l'incidence de la tuberculose est basse. En 2000, elle était de 8 cas/100 000 habitants , mais sur 629 cas de tuberculose déclarés, 218 (soit 34,6%) l'ont été chez des personnes de nationalité étrangère résidant dans le pays, pour la plupart des travailleurs étrangers d'origine européenne et 132 (soit 20,9%) chez des requérants d'asile, des réfugiés et des étrangers de passage.2 Une augmentation progressive de la proportion de cas déclarés chez les personnes nées à l'étranger s'observe également dans la plupart des pays occidentaux.3
L'arrivée dans les pays occidentaux de migrants potentiellement porteurs d'une maladie contagieuse a fait naître des craintes, justifiées ou non, de transmission de la maladie à la population locale. Même si la tuberculose est peu contagieuse et la transmission rare, les autorités sanitaires de la plupart des pays européens ont arrêté un plan d'action destiné à réduire le risque de transmission de la tuberculose à la population locale, en premier lieu aux membres du personnel d'accueil et d'assistance ainsi qu'aux autres migrants qui partagent souvent le logement et les locaux d'hébergement dans les premiers temps de leur séjour. Des recommandations sur le dépistage et la prise en charge de la tuberculose dans la population étrangère des pays européens ont été publiées, qui détaillent les situations où un dépistage actif de la tuberculose est indiqué.4 Pour la Suisse, des recommandations adaptées à la situation locale ont également été publiées.5
Depuis 1992, les migrants qui déposent une demande d'asile en entrant en Suisse sont examinés dans les centres d'enregistrement ou de transit de la Confédération (Office des réfugiés) où ils subissent un cliché thoracique (sauf les enfants et les femmes enceintes) et un test tuberculinique. Les porteurs de lésions suspectes de tuberculose sont examinés immédiatement dans un hôpital de référence (en cas d'urgence) ou adressés dans les cantons d'accueil pour examen spécialisé.6 La majorité des immigrants atteints de tuberculose sont ainsi identifiés et traités peu de temps après leur demande d'asile et ne font pas courir de risque immédiat de transmission de la maladie à leur entourage, pour autant qu'ils suivent un traitement adéquat.
Entre 1996 et 2000, parmi 92 000 requérants d'asile, 136 ont été déclarés pour une tuberculose dans les semaines qui ont suivi l'entrée en Suisse, pour la plupart des porteurs d'anomalies radiologiques dépistés à la frontière, soit environ un cas de tuberculose sur 350 examens et un cas contagieux (examen microscopique direct des expectorations positif) sur 500 examens.
Les travailleurs étrangers provenant de pays autres que la Communauté européenne, les Etats-Unis, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui entrent en Suisse pour la première fois sont également soumis à l'examen radiographique obligatoire, sauf exception. Dans ce groupe, le risque de transmission immédiate d'une tuberculose non détectée à l'entrée est très faible.
Les étudiants étrangers, les touristes et les immigrés entrés illégalement en Suisse ne sont soumis à aucun examen de dépistage, de même que les travailleurs étrangers qui proviennent de pays européens et dont certains séjournent en Suisse depuis plusieurs années. Dans ce groupe d'immigrés, une tuberculose peut se manifester après l'entrée en Suisse et ne peut être détectée que si le malade se présente spontanément pour un examen médical. La prise en charge doit répondre à certaines règles épidémiologiques de manière à éviter la transmission de la maladie aux autres membres de la même communauté et à la population locale.
Le traitement des cas infectieux et le traitement préventif des cas infectés et susceptibles de présenter une réactivation de la maladie constituent les deux piliers de la lutte antituberculeuse dans les pays à basse incidence.7
Malades envoyés par les centres d'enregistrement ou de transit de la Confédération et porteurs de lésions radiologiques suspectes de tuberculose pulmonaire
Les malades porteurs de lésions radiologiques compatibles avec une tuberculose bacillaire sont adressés pour examen aux institutions désignées par le médecin cantonal pour subir des examens destinés à confirmer ou exclure une tuberculose. Suivant les recommandations de l'Office fédéral de la santé publique, tous les porteurs de lésions suspectes doivent subir au moins deux examens bactériologiques des expectorations à la recherche de mycobactéries. Chez les malades qui n'expectorent pas ou qui sont incapables de fournir un échantillon adéquat, il est indiqué de procéder à la récolte d'une ou deux expectorations provoquées, dont le rendement est identique, voire meilleur que celui de la bronchoscopie.8 En cas d'échec, une bronchoscopie avec lavage broncho-alvéolaire peut être envisagée. Si les examens bactériologiques directs restent négatifs, il peut être utile de mettre d'emblée le malade au bénéfice d'un traitement antituberculeux, vu le risque de réactivation tuberculeuse chez les porteurs de lésions radiologiques étendues. Les autres examens biologiques et radiologiques n'ont qu'une valeur d'indice et ne constituent pas une preuve de la tuberculose. Le traitement de la tuberculose doit être conduit selon les recommandations actuelles.5,9
La majorité des malades étrangers atteints de tuberculose sont de jeunes adultes. Les symptômes qu'ils présentent en cas de tuberculose peuvent être peu spécifiques ou discrets, voire même absents.10 Il est donc important de considérer la tuberculose dans le diagnostic différentiel de toute affection respiratoire ou générale, particulièrement si elle s'accompagne de lésions radiologiques pulmonaires, et d'effectuer des recherches bactériologiques dans les expectorations à la moindre suspicion clinique ou radiologique de tuberculose. Là aussi, les examens bactériologiques devraient être menés de manière à recueillir des échantillons valables et permettre un examen complet. L'attitude ultérieure concernant le traitement des cas négatifs à l'examen direct doit répondre aux mêmes critères que pour les malades adressés directement depuis la frontière.
La plupart des immigrés proviennent de pays où le risque annuel d'infection tuberculeuse est plus élevé qu'en Europe. La plupart d'entre eux ont également été vaccinés au BCG, parfois à plusieurs reprises (en particulier les ressortissants de pays de l'Est européen). Le test tuberculinique est donc plus souvent positif chez les personnes nées à l'étranger et parmi elles la proportion de sujets infectés est plus grande que dans la population Suisse. Les personnes porteuses d'une infection latente courent un risque de réactivation tuberculeuse estimé globalement à 10% pour la vie entière. Ce risque est d'autant plus élevé que l'infection est récente et que le sujet infecté présente un ou plusieurs facteurs de risque de réactivation (co-infection VIH, diabète, corticothérapie au long cours, malnutrition).11 Tous les porteurs d'un test tuberculinique jugé positif devraient passer un examen médical et avoir un cliché thoracique, afin de dépister les cas de tuberculose active et d'éviter la prescription d'une monothérapie inappropriée. Il est donc important d'identifier les sujets chez lesquels un test tuberculinique positif représente vraisemblablement la signature d'une infection tuberculeuse latente et de leur prescrire une chimiothérapie préventive. La chimiothérapie préventive est prescrite de manière insatisfaisante en Suisse12 bien que son bénéfice ait été clairement démontré.13
Il n'existe pas de définition absolue de la positivité du test tuberculinique. La limite à partir de laquelle la taille d'un test tuberculinique indique une infection tuberculeuse dépend de l'âge du sujet, de la vaccination préalable au BCG, de la notion de contact avec un cas de tuberculose contagieuse et de l'évolution du test dans le temps.14 Une récente méta-analyse a montré que les individus vaccinés au BCG gardent pendant plusieurs années un test tuberculinique dont la taille est supérieure à celle des individus non vaccinés et que seuls les tests dont la taille est supérieure à 15 mm peuvent être attribués avec une bonne probabilité à une infection tuberculeuse.15 Dans la pratique, la notion de contact étroit avec un cas de tuberculose contagieuse prime sur la notion de vaccination au BCG.
Les deux modes de chimiothérapie actuellement recommandés sont la prescription d'isoniazide (5 mg/kg/j, dose maximale 300 mg/j) pendant neuf mois ou de rifampicine (10 mg/kg/j) pendant quatre mois en une seule prise journalière.13