Les activités du pharmacien hospitalier s'orientent de plus en plus vers le patient. Dans les pays anglo-saxons, le rôle d'un pharmacien spécialisé en soins intensifs est bien établi. Une collaboration entre la Division de soins intensifs de chirurgie du CHUV (SIC) et le Service de pharmacie existe depuis de nombreuses années. Récemment, un projet structuré d'intégration d'un pharmacien aux SIC a été initié. Le but est d'apporter un soutien pharmaceutique à toutes les étapes du circuit du médicament : stockage, prescription, préparation, administration et suivi. Le bilan provisoire de cette activité est considéré comme très positif, tant du point de vue médical qu'infirmier.
Par le passé, les rôles principaux d'une pharmacie hospitalière étaient l'approvisionnement et la fabrication de médicaments. Depuis quinze à vingt ans, ces activités avant tout logistiques ont été complétées par une activité orientée davantage vers le patient, la prescription et l'utilisation du médicament. Ses missions peuvent actuellement être définies comme suit : 1) assurer l'approvisionnement de l'hôpital en produits pharmaceutiques ; 2) promouvoir l'utilisation rationnelle et économique de ces produits et veiller à leur application correcte ; 3) assurer l'enseignement et la recherche dans le domaine de la pharmacie hospitalière et, 4) faire respecter les dispositions légales régissant l'emploi des médicaments. La deuxième de ces missions implique la mise en place d'une documentation, la diffusion de l'information pharmaceutique et économique, une activité de soutien médical (équivalences, posologies, interactions, effets indésirables des médicaments notamment) et une activité de soutien infirmier (administration des médicaments). Les activités d'assistance pharmaceutique s'exercent sur quatre niveaux :
I diffusion de bulletins d'information généraux relatifs à de nouveaux médicaments, de nouvelles indications ou modes d'administration ;
I consultations téléphoniques sur appel des soignants (médecins, infirmières,...) avec réponse orale complétée fréquemment par l'envoi de documents écrits (hotline) ;
I consultations sur site avec la présence du pharmacien aux visites et/ou aux colloques des soignants répondant ainsi à une demande croissante des unités de soins ;
I conseil et référence pour toutes les questions liées à l'administration du médicament.
En médecine intensive, la pharmacothérapie se caractérise par des posologies souvent supérieures à celles utilisées dans les autres unités de soins, par un nombre élevé de médicaments administrés simultanément et par voie parentérale ainsi que par le recours à des traitements d'exception. Elle doit également tenir compte des états hémodynamiques souvent instables et des défaillances organiques multiples, en particulier des organes de métabolisme et d'élimination des médicaments. En outre, les traitements utilisés sont parmi les plus onéreux. La complexité des traitements génère de multiples questions tant pharmaceutiques que pharmacologiques conduisant à une collaboration accrue entre les unités de soins intensifs et les services de pharmacie.
Les pays nord-américains ont identifié cet état de fait qui les a incités à former des pharmaciens spécialisés en soins intensifs au même titre que des pharmaciens spécialisés en maladies infectieuses, en oncologie ou en pédiatrie par exemple. Des guidelines définissant leurs activités ont été publiées récemment.1 Celles-ci classifient les activités du pharmacien de soins intensifs en fondamentales, désirables et optimales. Des exemples de chacune de ces classes sont donnés dans le tableau 1. Les infrastructures, la logistique et les ressources liées à ces activités sont également décrites dans le même document.1 Les bénéfices d'une activité d'assistance pharmaceutique au niveau d'unités de soins intensifs ont été démontrés sur plusieurs aspects : économies, diminution du nombre d'erreurs d'administration, voire établissement de recommandations visant à augmenter la qualité de l'administration des médicaments.2-4
En Europe, la situation est peu documentée. Cependant, deux études récentes sur les erreurs d'administration5,6 démontrent clairement qu'un soutien pharmaceutique peut être bénéfique dans une unité de soins intensifs. Par ailleurs, en Grande-Bretagne, la position des pharmaciens en clinique est proche de celle occupée en Amérique du Nord.7
La classification et les activités mentionnées ci-dessus doivent être comprises dans le cadre du système de santé d'Outre-Atlantique et ne sont pas transposables telles quelles dans notre système de santé. Il n'en demeure pas moins qu'une certaine extrapolation à notre contexte local est possible. Différents travaux ponctuels ont d'ailleurs déjà été menés. Ainsi, dans le domaine des soins intensifs, un système d'étiquetage des perfusions a été développé à l'hôpital de Schaffhouse pour aider le corps infirmier à faire face aux problèmes d'incompatibilités physico-chimiques.8 Par ailleurs, un travail a récemment été mené sur la pertinence d'utilisation des antibiotiques aux Soins intensifs de chirurgie des hôpitaux universitaires genevois.9 Les résultats de cette étude ont mis en évidence les paramètres prioritaires sur lesquels devront porter de futures interventions.
Au CHUV, la collaboration entre les soins intensifs et la pharmacie est active depuis de nombreuses années. Dès 1986, le Service de pharmacie prépare des poches de nutrition parentérale ou d'oligoéléments spécifiquement adaptées aux besoins de patients de soins intensifs.10 Par ailleurs, un travail analysant les implications de la pharmacothérapie sur les coûts et sur la santé publique a été conduit au sein des divisions de soins intensifs adultes.11 Cette étude a identifié la gestion du processus d'utilisation des médicaments comme secteur où l'activité du pharmacien est la plus bénéfique. Finalement, une étude a été menée aux soins intensifs de pédiatrie sur les erreurs d'administration des médicaments.12 Ce travail a conduit à l'activité régulière d'un pharmacien dans cette unité depuis lors.
Depuis le printemps de cette année, un projet visant à l'intégration d'un pharmacien dans la Division de soins intensifs de chirurgie adultes a été initié. Ce projet se veut une approche systémique visant à amener un soutien autant dans le circuit du médicament (logistique, administration) que dans l'assistance pharmaceutique orientée vers le patient. Le pharmacien participe à la visite médicale une fois par semaine et au colloque hebdomadaire de la division. La présence régulière du pharmacien aux activités de la division permet des discussions multidisciplinaires (médecins, infirmiers, physiothérapeutes) constructives sur la pharmacothérapie et sur l'alimentation entérale et parentérale des patients par exemple. Parallèlement, différents projets sont menés avec les équipes médicales et infirmières.
Les activités entreprises avec le corps médical portent sur des médicaments à indication très limitée tels que la protéine C activée (drotrecogine alpha) ou sur des médicaments non ou plus disponibles sur le marché suisse mais nécessaires à une prise en charge optimale des patients (argatroban pour l'anticoagulation lors de thrombopénie induite par l'héparine par exemple). Dans ce dernier cas, la pharmacie entreprend les démarches auprès de Swissmedic en vue de l'obtention de ces produits à l'étranger. Pour ces médicaments, des fiches concises sont élaborées et sont destinées à faciliter l'usage du produit, de la prescription à l'administration. La rédaction de ces fiches fait partie d'un projet visant à augmenter la qualité de la prescription au niveau de l'unité. Enfin, le pharmacien collabore avec les médecins de la division à la réévaluation constante de la liste des médicaments utilisés afin d'en optimaliser le contenu aussi bien d'un point de vue pharmacologique qu'économique.
Les activités envers le corps infirmier résident essentiellement dans un soutien par rapport à la complexité d'administration des médicaments. Le nombre important de médicaments administrés en perfusion est une source potentielle de multiples problèmes d'incompatibilités physico-chimiques. La mise à disposition d'une documentation claire sur ce sujet est donc essentielle. Par ailleurs, le pharmacien participe à l'optimalisation de la qualité de la préparation de médicaments injectables et à l'organisation de la pharmacie d'étage. En effet, plusieurs études ont montré que la préparation et l'administration des médicaments sont la source de nombreuses erreurs.5,6,12 La présence du pharmacien en tant qu'observateur vise donc à mettre en évidence des imprécisions ou erreurs et à proposer des moyens pour y remédier. Une collaboration étroite avec l'équipe infirmière est nécessaire pour que le pharmacien ne soit pas considéré comme inquisiteur ou policier mais bien comme un partenaire assurant un soutien pharmaceutique.
En fait, un soutien peut être apporté à toutes les étapes du circuit du médicament : stockage, prescription, préparation, administration et suivi post-administration du médicament. En effet, le pharmacien, lors des visites sur site, peut s'assurer du stockage optimal des produits dans la pharmacie de l'unité de soins (respect de la chaîne du froid, stupéfiants,...) et peut valider la possibilité d'obtention des médicaments. Lors de la prescription, le pharmacien participe aux discussions interdisciplinaires quant au choix du traitement. Il est ensuite à disposition du corps infirmier pour régler les problèmes liés à la préparation (principalement pour les injectables) et à l'administration du médicament. Finalement, il participe à la pharmacovigilance au sein de l'unité. Au niveau d'un hôpital universitaire, les activités liées notamment à la pharmacovigilance et au suivi des taux plasmatiques des médicaments (therapeutic drug monitoring) se font naturellement en étroite collaboration avec le Service de pharmacologie clinique.
Au sein du Service de pharmacie, le pharmacien rattaché aux Soins intensifs transmet les informations ou demandes aux pharmaciens des unités internes concernées (fabrication, logistique) et coordonne la réponse apportée à l'unité de soins. Le bénéfice pour l'unité de soins est de ne s'adresser qu'à un seul interlocuteur alors que cette approche permet au pharmacien rattaché à l'unité de soins d'être informé de toutes les questions posées.
Au CHUV, la mise en route des activités décrites précédemment a nécessité neuf mois. Si l'on se réfère aux recommandations américaines sur les activités du pharmacien en soins intensifs,1 on réalise qu'environ la moitié de celles-ci sont actuellement concrétisées. Une période d'un à deux ans est encore nécessaire pour réaliser la totalité du projet. Cependant, la présence du pharmacien aux soins intensifs est déjà jugée comme indispensable par les soignants médecins et infirmiers de la division. Les effets bénéfiques doivent encore être évalués afin de déterminer le rapport entre les moyens engagés et les bénéfices. L'extension au niveau des soins intensifs de médecine est en cours, en particulier au niveau infirmier où un système d'étiquetage des pousse-seringues commun aux deux unités de soins intensifs est mis en place.
La présence régulière d'un pharmacien dans une division de soins intensifs génère de nombreuses questions médicales et infirmières et fait apparaître des demandes sur des thèmes nécessitant un approfondissement. Les projets ainsi initiés peuvent ensuite être développés en collaboration avec les spécialistes concernés. Le projet d'assistance pharmaceutique dans les soins intensifs de chirurgie du CHUV est actuellement dans une phase pilote. Comme toute nouvelle activité, il devra être évalué afin de déterminer les bénéfices retirés par les deux parties, en regard des moyens investis. Le prérequis indispensable à l'activité d'un pharmacien en soins intensifs est une solide formation en thérapeutique et en clinique pour cerner au mieux les problèmes posés par les patients défaillants et par les équipes médico-infirmières.
Une telle activité est transposable à d'autres services, avec d'autres spécificités et d'autres besoins.13 Chaque hôpital qui souhaite développer un tel soutien doit se poser la question des départements prioritaires, en fonction du temps et des ressources à disposition.
Le pharmacien-conseil en soins intensifs constitue un partenaire de plus dans une approche multidisciplinaire au service du patient. Dans un tel système, les médecins, infirmiers, physiothérapeutes, diététiciens ou pharmaciens bénéficient réciproquement des connaissances spécifiques des autres et de leur sensibilité face à une situation donnée.