L'ostéoporose et ses complications fracturaires demeurent une préoccupation importante de santé publique. La prise de conscience de cette «épidémie silencieuse» est en constante progression tant chez les patients que chez les thérapeutes. La gestion par le praticien des outils thérapeutiques à disposition n'est pas toujours aisée. Ceci d'autant plus que les «certitudes» à l'égard des «bienfaits» de l'hormonothérapie substitutive de la ménopause ont été récemment ébranlées et que de nouveaux composés vont venir diversifier l'approche thérapeutique en jouant non plus uniquement sur le contrôle de la résorption osseuse mais sur la stimulation de sa formation. Ces nouvelles molécules ainsi que les principales informations actuellement à disposition les concernant sont rapportées.
L'action anabolique de l'hormone parathyroïdienne sur le squelette des mammifères est connue depuis les années 1920. Néanmoins, il faudra attendre les années 1970 pour que les premières études cliniques utilisant cette hormone soient conduites chez des patients ostéoporotiques, et les années 1990 pour voir son utilisation couplée avec différents traitements antirésorbeurs tels que les strogènes ou la calcitonine. Enfin, récemment, de larges études multicentriques ont confirmé l'effet antifracturaire de ce composé. Ces études ont utilisé la parathormone recombinante humaine (1-34) mise au point par le laboratoire Lilly et commercialisée depuis le 1er novembre 2003 sous le nom de Forstéo®. Les indications pour son utilisation sont «...le traitement des femmes postménopausées présentant une ostéoporose avérée et un risque fracturaire élevé» et «...chez les hommes présentant une ostéoporose primaire ou hypogonadique et un risque fracturaire élevé». Le remboursement devrait être effectif à partir du printemps 2004. Le mode d'administration du tériparatide est contraignant. En effet, les patients doivent s'auto-injecter de façon quotidienne, par voie sous-cutanée, 20 mg de produit actif en utilisant un système semblable aux injections quotidiennes d'insuline.
Les effets histologiques du tériparatide ont été étudiés sur des biopsies osseuses trans-iliaques réalisées avant et après des durées de 18 à 36 mois de traitement.1 Chez ces patients ostéoporotiques, les résultats sont en faveur d'une puissante action anabolique sur l'os cortical, ainsi qu'une amélioration de la micro-architecture de l'os trabéculaire.
Les effets du tériparatide sur la densité minérale osseuse et sur les fractures, chez des femmes présentant une ostéoporose postménopausique, ont été publiés en 2001.2 Il s'agit d'une étude prospective, randomisée, en double aveugle, chez 1637 femmes postménopausiques, d'âge moyen 69 ± 7 ans, présentant une ostéoporose avec fractures vertébrales. Des suppléments quotidiens de 1g de calcium et de 400 à 1200 UI de vitamine D ont été associés à l'injection sous-cutanée quotidienne de 20 ou 40 mg/j de tériparatide ou de placebo pendant une durée moyenne de dix-huit mois. Les effets secondaires, globalement peu nombreux (tableau 1) sont significativement plus marqués sous 40 mg que sous 20 mg.
Le gain de densité minérale osseuse est, après dix-huit mois de traitement, comparé au placebo, de 9 et 13% au niveau lombaire et de 3 et 6% au niveau du col fémoral respectivement pour les doses de 20 et 40 mg. En terme d'efficacité antifracturaire, les risques relatifs de fractures dans les groupes traités par 20 mg et 40 mg comparés au groupe placebo, sont respectivement, de 0,35 et 0,31 (intervalle de confiance de 0,22 à 0,55 et 0,19 à 0,50). Des fractures non vertébrales ont été enregistrées chez 6% des patientes sous placebo contre 3% dans les deux groupes traités par le tériparatide correspondant à des risques relatifs de 0,47 et 0,46 respectivement (intervalle de confiance de 0,25 à 0,88 et de 0,25 à 0,86).
En contraste avec les gains lombaires et fémoraux, une apparente diminution de la densité minérale osseuse au niveau de l'extrémité inférieure du radius serait due à une augmentation du diamètre extérieur liée à l'opposition périostée3 sans diminution du contenu minéral osseux. Cette modification architecturale pourrait améliorer la résistance mécanique par l'augmentation de la taille de l'os.
Des résultats non encore publiés mais présentés au Congrès de la Société américaine d'endocrinologie en 2002 par Lindsay, rapporte l'évolution de la densité minérale osseuse après l'arrêt du traitement par tériparatide avec relais par un inhibiteur de la résorption osseuse en faveur soit du maintien, soit de la poursuite d'une augmentation modérée de la densité minérale osseuse au décours d'un suivi supplémentaire de trente mois.
Enfin, le tériparatide a été testé dans l'ostéoporose masculine.4 Quatre cent trente-sept hommes présentant une densité minérale osseuse inférieure à -2 déviations standards en T-score, soit au rachis, soit à la hanche, ont été traités par des injections sous-cutanées quotidiennes de tériparatide à 20 ou 40 mg ou par placebo pendant une durée moyenne de onze mois, associées à une supplémentation en calcium et en vitamine D. Sous traitement, s'observe une augmentation importante et précoce des marqueurs biochimiques de la formation osseuse suivie par une augmentation des marqueurs de résorption. Une augmentation significative de la densité minérale osseuse lombaire est obtenue avec les deux doses de tériparatide comparées au placebo dès le troisième mois, avec des gains moyens en fin de traitement, de 5,9% sous 20 mg et 9% sous 40 mg par rapport aux valeurs initiales. L'augmentation de densité minérale osseuse enregistrée au niveau du col fémoral est plus modeste bien qu'également significative respectivement de + 1,5% et + 2,9% dans les groupes sous 20 et 40 mg quotidiens de tériparatide. Cette réponse en terme de densité minérale osseuse apparaissait identique quels que soient l'âge, la densité minérale osseuse initiale, le status gonadique ou la présence de facteurs de risque tels que le tabagisme ou la consommation d'alcool. Il n'existe pas chez l'homme de données sur l'efficacité antifracturaire du traitement par tériparatide.
Les deux études majeures sur l'efficacité du tériparatide dans le traitement de l'ostéoporose (2 et 4) ont été toutes deux prématurément interrompues après une durée moyenne de dix-huit mois au lieu de trois ans chez les femmes postménopausiques et de onze au lieu de vingt-quatre mois chez les hommes ostéoporotiques. La raison de ces arrêts prématurés est une décision du laboratoire Lilly, liée à la survenue de cas d'ostéosarcomes au décours d'études toxicologiques de routine réalisées chez des rats Fischer 344 traités avec le tériparatide en continu pendant toute leur existence. De nouvelles études toxicologiques ont permis de diminuer les cas d'ostéosarcomes en excluant du traitement les animaux en croissance et en réduisant les doses et les durées d'administration.
Le traitement hormonal substitutif de la ménopause est efficace pour contrôler les symptômes liés à la carence strogénique tels que les bouffées de chaleur ou la sécheresse vaginale. Sur la base essentiellement d'études d'observation, cette hormonothérapie substitutive était considérée comme capable de prévenir des affections chroniques liées à l'âge, telles que les maladies cardiovasculaires, les fractures ostéoporotiques ou le déclin des fonctions cognitives voire même de différer le début des démences de type Alzheimer. Deux grandes études cliniques prospectives et randomisées dont les résultats ont été publiés en 1995 et en 2002-2003 ont évalué sous hormonothérapie substitutive de la ménopause comparée à un placebo, ces différents items en prévention secondaire5 et primaire.6 Dans l'étude HERS ou «Heart and Estrogen Replacemend Study», 2763 femmes postménopausiques avec maladies coronariennes, âgées en moyenne de 67 ans, ont été suivies dans une phase initiale (HERS I) pendant 4,1 années avec un suivi supplémentaire de 2,7 années pour 2321 d'entre elles (HERS II). Si la substitution stroprogestative n'a pas pu faire la preuve de son efficacité en prévention secondaire des maladies cardiovasculaires, le risque relatif de présenter une fracture quel qu'en soit son site, était également proche de 1 avec un nombre absolu d'événements fracturaires de 230 dans le groupe traité, contre 222 dans le groupe sous placebo. La sous-analyse des fractures ayant intéressé uniquement la hanche était même en faveur d'une augmentation du risque relatif (1,61 pour un intervalle de confiance de 0,98 à 2,66) dans le groupe traité, correspondant à quarante fractures de hanche versus vingt-cinq dans le groupe placebo. L'étude WHI ou «Women's Health Initiative» est une gigantesque étude américaine, randomisée, en double aveugle, sur 16 608 femmes postménopausiques en bonne santé, âgées de 50 à 79 ans qui ont reçu pendant une durée de 5,2 années au lieu de 8,5 initialement planifiées, un traitement stroprogestatif (0,625 mg/j d'strogènes conjugués équins et 2,5 mg/j d'acétate de médroxy-progestérone) ou un placebo. La prévention primaire par l'hormonothérapie substitutive de la ménopause des maladies cardiovasculaires, du cancer du sein invasif, des accidents vasculaires cérébraux et des fractures par rapport à un placebo était les buts fixés. L'interruption prématurée de l'étude WHI a découlé d'une analyse intermédiaire rapportant des risques pour la santé excédant de façon significative les bénéfices. En revanche, un bras parallèle à cette étude, dont les participantes sont des femmes postménopausiques mais hystérectomisées et ne recevant de ce fait que des strogènes se poursuit. Les résultats sur les événements osseux de l'étude WHI sont rapportés dans le tableau 2. Sous hormonothérapie substitutive de la ménopause, est observée une diminution significative tant des fractures de hanche, que des fractures vertébrales ou que toute fracture quel qu'en soit son site. La population de l'étude WHI n'ayant pas été sélectionnée sur la base de ses facteurs de risque osseux, le nombre absolu d'événements est relativement faible par rapport à l'effectif global. Quoi qu'il en soit, l'étude WHI est la première étude randomisée et contrôlée rapportant sur plusieurs années, l'efficacité de l'hormonothérapie substitutive de la ménopause en prévention des fractures y compris celles de la hanche.
Récemment (octobre 2003), un sous-groupe de 1024 patientes issues de la cohorte WHI a bénéficié à l'entrée dans l'étude puis à trois ans de traitement, d'une mesure de la densité minérale osseuse lombaire et de la hanche totale. La densité minérale osseuse a augmenté de façon significative dans le groupe traité par rapport au groupe placebo, aux deux sites de + 4,5% en lombaire et + 3,6% en fémoral. Dans ce sous-groupe, les événements fracturaires étaient significativement diminués chez les patientes substituées par rapport à celles recevant le placebo.7
Au total, aussi longtemps qu'une patiente utilise une hormonothérapie substitutive de la ménopause pour contrôler ses symptômes de carence strogénique, la protection osseuse est parfaitement assurée. En revanche, il apparaît incertain de conseiller l'initiation ou la poursuite d'un tel traitement sur une longue période dans la seule indication de la prévention de l'ostéoporose et de ses complications fracturaires.
Le ranélate de strontium développé par le laboratoire Servier est composé d'une partie organique (l'acide ranélique) et de deux atomes de strontium non radioactif. In vitro, cette substance est capable de stimuler la formation osseuse en augmentant la réplication des cellules préostéoblastiques d'une part, et de diminuer la résorption osseuse en inhibant la différenciation ostéoclastique mais aussi en interférant de façon directe et/ou indirecte pour diminuer l'activité des ostéoclastes matures. Une première étude de recherche de doses efficaces (STRATOS ou Strontium Administration for Treatment of Osteoporosis) a été publiée en 2002,8 en traitement de l'ostéoporose postménopausique et une seconde en prévention de la perte osseuse de la postménopause récente (PREVOS ou Prevention of early postmenopausal bone loss by strontium ranelate).9 Les principales caractéristiques de ces deux études, randomisées, en double aveugle, contrôlées par placebo sur des groupes parallèles pendant une durée de deux ans, (population recrutée, doses de traitement, évolution en terme de densité minérale osseuse lombaire et risque relatif fracturaire vertébral), sont rapportées dans le tableau 3. Les gains de densité minérale osseuse mesurés sont à considérer avec prudence de par la surestimation par les rayons X de la détection minérale liée à la présence dans l'os, du strontium, substance à haut nombre atomique. Par ailleurs, dans l'étude STRATOS, le nombre de patientes présentant une nouvelle déformation vertébrale au cours de la deuxième année de traitement est significativement diminué dans le groupe traité par 2 g/j par rapport au groupe placebo. Le ranélate de strontium a été dans les deux études très bien toléré sur le plan clinique.
Deux études de phase III10 sont en cours dans douze pays différents incluant 75 centres, en utilisant la dose de 2 g quotidiens de ranélate de strontium afin d'établir l'efficacité de ce composé dans le traitement de l'ostéoporose chez la femme postménopausique : l'étude SOTI (Spinal Osteoporosis Therapeutic Intervention study) et l'étude TROPOS (Treatment of Peripheral Osteoporosis) toutes deux précédées d'une pré-étude intitulée FIRST (Fracture international Run-in for Strontium ranelate Trial) visant à normaliser l'apport en calcium et en vitamine D chez toutes les patientes. Les résultats de l'analyse principale après trois ans de traitement ont été présentés en communications orales dans divers congrès internationaux rapportant une réduction significative de l'incidence des fractures vertébrales dans l'étude SOTI et des fractures périphériques en particulier des fractures de hanche dans l'étude TROPOS. Le ranelate de strontium ne devrait pas être disponible dans les officines avant deux années.
Les bisphosphonates sont de puissants inhibiteurs de la résorption osseuse. Le zolédronate du laboratoire Novartis est un représentant de la troisième génération de la famille des bisphosphonates et le plus puissant actuellement en développement. Son administration se fait par voie intraveineuse en perfusion rapide de quinze à vingt minutes. Cette puissance d'action ainsi que ses effets rémanents sur le contrôle des marqueurs du remodelage osseux ont pu faire envisager son administration avec un rythme seulement annuel. L'étude clinique multicentrique en double aveugle randomisée et contrôlée par placebo pour évaluer l'efficacité et l'absence de toxicité de l'acide zolédronique dans le traitement de l'ostéoporose postménopausique ou étude «Horizon» est en cours de réalisation. Les dernières patientes randomisées termineront l'étude au début de l'année 2006. Les indications du zolédronate restent à ce jour uniquement oncologiques. Une attention particulière doit être portée dans son utilisation concernant la fonction rénale. A ce jour, seuls quelques patients cancéreux traités à fortes doses et de façon prolongée ont présenté des signes de défaillance rénale.11 Néanmoins, il paraît conseillé de non seulement surveiller les valeurs de créatinine sérique avant chaque administration mais aussi d'autre part, de s'abstenir de traiter parmi les patients âgés ceux dont la clearance de la créatinine est inférieure ou égale à 30 ml/min.
De nouvelles substances sont disponibles ou vont prochainement venir compléter nos outils actuels pour la prévention et le traitement de l'ostéoporose. Certaines vont nous faire «repenser» le mode d'administration des inhibiteurs de la résorption osseuse. D'autres vont nous permettre d'élargir nos mécanismes d'action à la stimulation de la synthèse d'un os nouveau. Néanmoins, la place respective, ainsi que la gestion de ces différents composés pour une utilisation la plus rationnelle et la plus efficace possible restent encore à définir. W