Une équipe de l'université d'agriculture de Tokyo a obtenu deux souris adultes sans géniteur mâle grâce à une technique proche de la parthénogenèse que les spécialistes dénomment gynogenèse. Cette première mondiale réalisée par un groupe de biologistes japonais a été révélée sept ans après l'annonce de la création d'un mammifère à partir de la technique du clonage par transfert nucléaire. Comme dans le cas de Dolly, l'annonce en a été faite dans les colonnes de Nature (daté du 22 avril).On sait qu'à la différence du clonage, qui consiste à créer un embryon à partir du transfert du noyau d'une cellule adulte dans un ovocyte énucléé, la parthénogenèse se propose d'obtenir un individu à partir d'un unique patrimoine génétique qui, la gestation étant ce qu'elle est, ne peut être que féminin. La gynogenèse s'en approche de très près en ce qu'elle fait, comme la parthénogenèse, l'économie de l'apport du patrimoine génétique mâle. Les chercheurs japonais dirigés par Tomohiro Kono (Département de bioscience de l'université d'agriculture de Tokyo) parlent d'ailleurs, dans leur publication de Nature de parthénogenèse. En toute hypothèse, ces chercheurs sont bel et bien parvenus à surmonter les difficultés auxquelles se heurtaient, depuis plusieurs décennies, les nombreuses équipes de biologistes qui, à travers le monde, tentaient de créer des mammifères de cette manière. Il s'agissait le plus souvent d'activer de manière électrique ou chimique un ovocyte afin d'obtenir la duplication de son matériel génétique ovocytaire. Lorsqu'une telle duplication était obtenue le développement embryonnaire n'était que de courte durée du fait ce que l'on ne sait que depuis peu des mécanismes complexes d'empreines génétiques maternelle et paternelle.L'équipe japonaise a quant à elle eu recours à une série de manipulations génétiques et cellulaires qui lui ont permis de dépasser cet obstacle généralement tenu pour infranchissable. Elle a ainsi créé un embryon en associant aux chromosomes d'un ovocyte le matériel génétique d'un autre ovocyte (immature et provenant d'un autre animal) au sein duquel un gène étroitement impliqué dans la croissance cellulaire et le développement embryonnaire le gène Igf2 avait été activé.Le rendement de la technique n'est certes pas élevé. A partir de 457 embryons «reconstruits», 417 d'entre eux se sont développés jusqu'au stade blastocyste, 371 ont pu être transférés dans 26 souris, 24 ont démarré une gestation. Au total, 28 souriceaux sont nés parmi lesquels seuls 8 étaient vivants. Au final, deux souris sont parvenues à l'âge adulte et ont pu se reproduire.«Tomohiro Kono et ses collaborateurs ont réalisé un travail impressionnant, qui constitue une avancée majeure. L'obtention d'individus vivants montre qu'il est aujourd'hui possible, même si les mécanismes moléculaires ne sont pas encore compris, de contraindre les processus de maturation et d'activation ovocytaires pour influencer les processus auto-organisés et complexes du développement embryonnaire, a déclaré au Monde, le Pr Jean-Pierre Ozil (Institut national de la recherche agronomique, INRA) et spécialiste des questions relatives à la parthénogenèse. Selon moi, l'enjeu de ces recherches est avant tout de comprendre les mécanismes de remodelage dits épigénétiques des génomes et non de mettre au point de nouvelles méthodes de reproduction lourdes, tristes et sans intérêt. Par un enchaînement sophistiqué de manipulations génétiques conjuguées à des manipulations cellulaires, cette équipe montre que la délétion d'un seul fragment du gène H19 permet une augmentation d'activité du gène Igf2 et l'expression monoallélique du gène H19 dans des embryons des souris reconstitués. C'est le déséquilibre fonctionnel qu'ils ont ainsi réussi à créer entre deux génomes femelles réunis artificiellement dans un même ovocyte qui leur a permis d'obtenir deux souris vivantes.»Pour le Pr Ozil, il s'agit là sans aucun doute d'un acquis majeur, l'obtention d'individus vivants montrant qu'il est possible, même si les mécanismes moléculaires ne sont pas encore compris, de contraindre les processus de maturation et d'activation ovocytaires pour influencer les processus auto- organisés et complexes du développement embryonnaire. «Comme dans le cas du clonage, ajoute-t-il, cette réussite révèle les propriétés biologiques fantastiques des ovocytes au cours de la phase de méiose : ils ont la capacité de reprogrammer l'expression des génomes. Il n'y a pas eu de fécondation, mais peut-on dire qu'il s'agit de parthénogenèse ? Dans le cas présent non, car les deux souris nées ne sont pas uni-parentales. Elles ont deux mères génétiques. L'une a donné l'ovocyte receveur avec son matériel génétique, l'autre, un génome modifié, rendu haploïde artificiellement par une suite de deux transferts nucléaires dont un dans un ovocyte intermédiaire. La reproduction parthénogénétique à l'instar de celle réalisée naturellement chez certains types de dindes par exemple, n'est pas encore possible chez les mammifères. Mieux vaut ici parler de gynogenèse.»«Nous avons affaire ici à de la très belle science fondamentale, estime pour sa part le Pr Marc Peschanski, directeur de l'unité 421 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Le décryptage systématique des phénomènes les plus précoces du développement de l'embryon vient de faire un grand pas car il est rare de "finir" ainsi une quête de mécanismes moléculaires (c'est-à-dire de passer totalement au travers d'un mécanisme fonctionnel essentiel à la vie). Dans ce cas, ce qui me frappe, c'est finalement la simplicité du mécanisme moléculaire, qui semble justifier a posteriori l'hypothèse de travail des auteurs selon laquelle c'était bien le blocage de la parthénogenèse chez les mammifères qui était une dérivation récente des phénomènes de reproduction.»En écho du News and Views qui accompagne l'article de Nature, la question est de savoir pourquoi une telle barrière à la parthénogenèse a évolué chez les mammifères alors qu'elle n'avait pas été nécessaire jusque-là. «Il est intéressant de constater que nous avons, jusqu'à présent, surtout développé des tas d'arguments scientifiques (et philosophiques) parfaitement raisonnables montrant l'intérêt de la reproduction sexuée, ajoute-t-il. Il a fallu que les auteurs prennent presque le parti inverse pour aboutir à un résultat scientifique majeur. Je dis presque dans la mesure où ils n'ont nulle part prétendu ni même suggéré à ce que je puisse savoir qu'il pourrait y avoir le moindre intérêt, autre que scientifique, à réaliser une parthénogenèse.»