Résumé
La classification ATC (Anatomical Therapeutical Classification Index of Chemicals), adoptée par l'Organisation mondiale de la santé, classe les médicaments selon une hiérarchie en cinq niveaux : le groupe principal anatomique, le groupe principal thérapeutique, le sous-groupe thérapeutique et pharmacologique, le sous-groupe chimique et, enfin, la substance chimique. En pratique, les médicaments d'une même classe se reconnaissent par une structure chimique similaire, par un mécanisme d'action biochimique comparable et/ou par une même indication thérapeutique. Cette notion de classe est cependant assez hétérogène. Dans certains cas, les médicaments d'une même classe partagent de nombreuses similitudes de telle sorte que le profil d'efficacité et de sécurité est comparable entre les différents produits de la classe. Les diverses molécules se distinguent alors le plus souvent par leurs propriétés pharmacocinétiques (prodrogue versus molécule active, demi-vies plus ou moins longues, etc.) ou parfois pharmacodynamiques (affinité plus ou moins forte pour un récepteur ou une enzyme, etc.). Dans d'autres cas, les médicaments d'une même classe peuvent se différencier par une série de caractéristiques beaucoup plus importantes (action sur différents types de récepteurs, métabolisme fondamentalement différent, risque d'interaction médicamenteuse variable, etc.). Dès lors, des spécificités propres pourraient être individualisées en termes de puissance d'activité ou de profil de tolérance, voire même d'indications et de contre-indications. A l'intérieur d'une même classe, les exemples sont nombreux de voir un médicament caractérisé par un effet indésirable grave, amenant même au retrait de la molécule du marché, alors que les autres molécules de la classe ne partagent pas cet effet secondaire ou, alors, de façon beaucoup moins fréquente et moins grave. Parmi les exemples les plus récents dans le domaine métabolique, citons la rhabdomyolyse fatale avec la cérivastatine (et retrouvée que très exceptionnellement avec les autres statines), l'hépatotoxicité grave avec la troglitazone (et non observée avec la pioglitazone ou la rosiglitazone). Dans ce numéro consacré aux actualités thérapeutiques, nous discutons le risque de survenue de diabète sucré et de décompensation métabolique pouvant conduire au décès avec certains antipsychotiques dits atypiques. Voilà, à l'évidence, l'exemple d'une classe qui est loin d'être homogène puisqu'elle regroupe des molécules ayant des structures chimiques différentes et agissant sur des récepteurs centraux également différents. Le point commun, qui les a fait regrouper sous cette terminologie d'antipsychotiques atypiques, est qu'ils interfèrent beaucoup moins avec les récepteurs dopaminergiques D2 que les neuroleptiques conventionnels et donc qu'ils ne présentent pas le profil d'effets indésirables de ces derniers (par exemple, syndrome parkinsonien). Il n'est dès lors pas étonnant qu'au sein de cette famille très hétérogène des différences puissent être mises en évidence, notamment en termes de profil de tolérance métabolique.Depuis l'avènement de la médecine factuelle («Evidence-based medicine»), la notion de classe a suscité diverses polémiques. Une question fondamentale est, en effet, de savoir si les preuves apportées par une molécule appartenant à une classe pharmacologique particulière peuvent être attribuées, par extension, aux autres molécules de la classe ou s'il convient que chaque molécule fournisse ses propres évidences d'efficacité et de sécurité. Assurément, la rigueur scientifique et l'éthique médicale plaident pour la seconde option. Cependant, il faut bien reconnaître que la situation n'est pas aussi simple qu'il y paraît. Ainsi, dans certaines classes, les molécules arrivent sur le marché avec une chronologie parfois très variable, certains médicaments étant commercialisés plusieurs années après le leader de la classe. C'est le cas, par exemple, dans la classe des statines où, quelque quinze ans après la commercialisation de la simvastatine, la rosuvastatine est mise sur le marché. Dès lors, la molécule originale a pu déjà apporter la preuve de son efficacité sur des critères d'évaluation forts comme la morbi-mortalité cardiovasculaire alors que la dernière née ne peut faire état que d'une efficacité sur des critères d'évaluation biologique (profil lipidique) ou, au mieux, intermédiaires (signes d'athérosclérose objectivés par des techniques d'imagerie performantes). Est-ce à dire qu'il ne faudrait rembourser que les seules molécules ayant apporté les preuves cliniques, molécules qui, par ailleurs, avaient été initialement remboursées à un moment où elles étaient dépourvues de pareille évidence ? Si tel était le cas, il faudrait refuser le remboursement des nouvelles molécules tant qu'elles ne sont pas élevées au niveau de preuves des médicaments plus anciens de la même classe ; pareille exigence est quasi impossible à rencontrer au vu du coût considérable des études de morbi-mortalité qui exigent un suivi prolongé (plusieurs années) d'un nombre important de malades (plusieurs milliers) et ne peuvent être financées que par les rentrées résultant de la commercialisation du produit. Si la réponse est oui, le danger est de ne plus voir qu'une seule molécule par classe et de couper court à toute innovation au sein de cette dernière ou encore de freiner la recherche clinique puisque les grands essais contrôlés résultent, souvent, d'une saine émulation entre les sociétés pharmaceutiques possédant chacune son médicament à l'intérieur d'une même classe. Si la réponse est non, le danger est de voir arriver sur le marché des molécules qui n'auraient aucune preuve d'efficacité clinique et qui profiteraient, du fait de leur simple appartenance à la dite classe, des retombées apportées par les investissements, souvent énormes en termes de recherche clinique, de leurs concurrents. A l'évidence, il apparaît que, quelle que soit la décision, elle laissera la place à une certaine frustration et/ou une certaine injustice.En conclusion, la notion de classe reste essentielle et, de toute évidence, facilite la tâche de l'enseignement de la pharmaco- thérapeutique, une discipline qui a connu un essor considérable ces vingt-cinq dernières années. Il n'empêche qu'à l'intérieur d'une même classe, chaque molécule peut avoir une certaine spécificité qui, parfois, revêt une importance pour la pratique clinique. Trop souvent, cependant, cette soi-disant spécificité est mise en avant par l'industrie pharmaceutique pour des raisons purement commerciales, parfois au mépris du principe de base de classe pharmaco-thérapeutique.
Contact auteur(s)
André J. Scheen
Chef du service
de diabétologie, nutrition et maladies métaboliques et de médecine interne générale
CHU Sart Tilman
Liège