Les lecteurs de Médecine et Hygiène n'ont pas, ces derniers mois et années, été éloignés des principaux éléments relatifs à ce possible nouveau chapitre en gestation de l'histoire de la médecine ; un chapitre qui englobe de manière encore quelque peu indistincte tout ce qui touche aux cellules souches, au clonage à visée thérapeutique et à cette spécialité à venir que serait la médecine régénératrice. Ils ont ainsi appris à connaître l'essentiel des termes d'une controverse multiforme empruntant à des domaines aussi divers que la biologie cellulaire et l'embryologie, la philosophie et les convictions religieuses. On croise ici la puissance du Vatican et le concept de réification de l'embryon humain, l'expression d'une volonté aux confins du scientisme et l'effacement progressif des interdits, le spectre du clonage reproductif ainsi via l'ombre portée des cellules immortelles autant qu'infiniment plastiques la terre promise de la Jouvence régénératrice.A dire la vérité, et pour nous intéresser depuis déjà quelque temps à ce magnifique sujet, l'affaire n'est pas des plus simples à comprendre ; on comprendra qu'elle n'est pas, de ce fait, des plus aisées à traduire. C'est qu'il y a ici trop de dimensions mêlées, trop de passions contraires, trop d'inconnues mêlées à ces délicieuses angoisses que génère immanquablement l'approche des abîmes. C'est aussi dire toute l'importance qu'il faut accorder aux entreprises de vulgarisation et aux débats qui peuvent être organisés dans ce domaine. Pour avoir eu la chance d'être présent lors de l'enregistrement de l'un de ces débats, nous ne résistons pas à la tentation de faire partager notre plaisir.Cela se passait le mardi 31 août dans un studio de la Maison de la radio à Paris où, dans le cadre de l'émission Science-Friction,1 étaient réunis, sous la houlette du journaliste Michel Alberganti, les Prs Axel Kahn, directeur de l'Institut Cochin et Marc Peschanski, directeur de l'unité neuroplasticité et thérapeutique de l'Institut national français de la santé et de la recherche médicale. Après le feu vert donné par les autorités britanniques au premier projet de création par la technique du clonage d'embryons humains destinés non pas à la reproduction mais à une utilisation scientifique et peut-être thérapeutique (création de lignées de cellules souches) et la promulgation en France de la nouvelle loi de bioéthique qui interdit de telles pratiques le thème du débat était : «Faudra-t-il créer des embryons humains pour soigner ?»Axel Kahn : «Tout d'abord je ne crois pas que l'on puisse dire que la décision britannique est surprenante et qu'elle prend à contre-pied ce qui se fait en France. Il faut rappeler la situation en Grande-Bretagne. Depuis 1990, les chercheurs ont le droit de fabriquer des embryons pour la recherche à condition de les détruire avant quatorze jours et que les recherches portent sur la lutte contre la stérilité ou les maladies génétiques. En 1998, on a réussi à mettre au point les fameuses cellules souches embryonnaires à partir d'embryons humains et les Britanniques ont décidé de modifier leur loi pour savoir si l'on pouvait également fabriquer des embryons pour cette fois-ci isoler des cellules souches. Entre-temps, on s'en souvient, la pétillante Dolly était née le 5 juillet 1996 (sa naissance avait été annoncée en février 1997) et une question se posait : fallait-il dans la loi préciser comment fabriquer des embryons, par rencontre d'un ovule et d'un spermatozoïde ou par transfert d'un noyau c'est-à-dire par clonage. Et après de longues discussions, l'Angleterre a tranché, en 2002, et choisi de ne pas préciser. Qui ne dit mot consent : il était dès lors possible de créer des embryons humains pour la recherche que ce soit par fécondation in vitro ou par transfert de noyau. Ce qui vient de survenir n'est donc que la première autorisation après la promulgation de la loi en 2002. Ce n'est donc pas véritablement inattendu.»Marc Peschanski : «Pour ma part, ma réaction à cette autorisation est très positive car c'est le début de la fin non pas d'un débat éthique mais au moins de ses conséquences antiscientifiques qui bâillonnent aujourd'hui les chercheurs. Les Anglais avec un certain courage et dans le même temps beaucoup de responsabilité ont mis tout ce qu'il fallait de réflexion pour autoriser une très bonne équipe scientifique à réaliser un début de programme qui était évalué par les autres scientifiques comme étant de grande valeur. Que notre collègue Miodrag Stjkovic de l'Institut de génétique humaine de l'université de Newcastle puisse continuer ses études de thérapie cellulaire sur le diabète en essayant maintenant de travailler sur le contournement des réponses immunitaires par le clonage me paraît dans la logique des choses. C'est pour moi le début d'une aventure qui va permettre progressivement à l'ensemble de la communauté scientifique d'avoir accès à cette technique qu'on lui a trop longtemps refusé.»Axel Kahn : «Je n'ai pas du tout la même analyse scientifique que Marc Peschanski.»(A suivre)1 Fruit d'un partenariat réunissant Le Monde et France Culture, l'émission hebdomadaire Science-Friction est diffusée tous les samedis de 12 heures à 12 heures 30 sur les ondes de France Culture.