D'emblée, rassurons les lecteurs de Médecine et Hygiène. L'intitulé de cette chronique ne renvoie en rien à un méchant diagnostic teinté, sinon de racisme, du moins de particularisme. Rien ne nous permet d'affirmer a priori que les citoyens de la Confédération helvétique sont plus que d'autres ceux des pays membres de l'Union européenne par exemple portés à souffrir de cet «état de dépérissement et de langueur causé par le regret obsédant du pays natal, du lieu où l'on a longtemps vécu» (Petit Robert, édition de 1989). On pourrait même soutenir que, de ce point de vue, les Suisses sont peut-être plus que d'autres immunisés contre cette entité née en 1759 du grec nostos («retour») additionné du suffixe trop bien connu des médecins «algie». A moins, il est vrai, de rapprocher la nostalgie de la mélancolie et de rejoindre ainsi Saint-Exupéry qui élargit le concept de nostalgie au «désir d'on ne sait quoi». Rassurons encore nos lecteurs puisque la même veine imprimée qui nous fait citer ce particularisme nous fournit aussi : «Le Suisse et les Suissesses sont robustes». Ainsi donc la robustesse ne serait pas incompatible, camarade, avec la nostalgie. La belle affaire.Nous citons ici des extraits de la version 1905 du célèbre dictionnaire Larousse, monument s'il en est de la francophonie, dont les responsables célèbrent non sans courage le centenaire. Courage ? Ils auraient pu gommer quelques échardes, tout faire pour que la plongée dans la mémoire de cette plastique statue soit sans odeurs ni saveurs. Un choix différent a été fait. Et c'est tant mieux.Au sein de l'entreprise éditoriale qui accompagne la sortie du millésime 2005 de ce dictionnaire, il faut distinguer le petit ouvrage signé de Jean Pruvost, professeur à l'université de Cergy-Pontoise, amoureux des langues et des mots dont on nous dit qu'il possède environ 10 000 dictionnaires. Il publie aujourd'hui «La dent-de-lion, la Semeuse et le Petit Larousse»,1 radioscopie d'un immense et centenaire succès de librairie et d'édification des masses. Le professeur Pruvost nous fait ainsi partager quelques délices contenus dans l'édition millésimée 1905. Au chapitre «nationalités et particularismes» nous découvrons ainsi, pêle-mêle : «La philosophie des Allemands est nébuleuse» ; «L'Angleterre est un pays d'absentéisme» ; «Les Anglais sont de grands parieurs» ; «Les Anglais sont fort pratiques» ; «Le Français aime le panache» ; «Le Français est prompt aux emballements» ; «Les Scandinaves sont dolicocéphales» et nous sommes en 1905 «Les étrangers affluent à Paris».Rien de plus beau, de plus riche d'enseignement que ce tête-à-tête francophone organisé en cette année 2004 finissante avec ce qu'ont peut-être pu lire nos grands-parents quelques années avant de vivre la grande boucherie de la Première Guerre mondiale. Au moment où les pauvres expériences de «télé réalité» se repaissent, en France, d'un nouveau thème (placer durablement des adolescents d'aujourd'hui dans un environnement singeant ce qu'étaient les pensionnats des années 1950), voici que nous redécouvrons ce que l'école laïque insufflait à ses ouailles : «Les mauvais livres pullulent» ; «La vertu tient l'âme dans une assiette inébranlable» ; «Une conscience pure est un bon oreiller» ; «Les fripons redoutent la lumière» ; «Les meilleurs pèchent souvent» ; «Les criminels sont la honte de leur famille» ; «Ne fréquentez que vos pareils, pareilles» ; «Le repos amollit» et nous sommes toujours en 1905 et en France «Nous devons aimer même nos ennemis».Comment ne pas s'arrêter un instant sur cette merveille qu'est la formule : «Ne fréquentez que vos pareils, pareilles». Basés rue du Montparnasse à Paris, les responsables du dictionnaire Larousse voulaient bien évidemment donner un exemple judicieux de l'usage qui pouvait être fait de «pareil». Pour autant, ils jugèrent indispensable de faire comprendre, qu'en l'espèce homme et femme trouvaient l'un et l'autre leur place dans la langue française ; avec, il est vrai, une formule pouvant laisser penser que la raison voulait que l'on ne se mélangeasse pas, ou du moins guère ; ou de manière dûment codifiée. Une question : quelle lecture les meutes féministes de garde, aux lisières du bien-pensant autoproclamé, feront-elles bientôt des formules officielles en vigueur en 1905 ? Ecrivons ici en vrac : «Les femmes vieillissent plus vite que les hommes» ; «Les femmes sont plus impressionnables que les hommes» ; «La plupart des femmes posent» ; «Une femme vieillotte» ; «Cette femme est un trouble-fête» ; «C'est une originale» ; «Que les femmes se rendent malades à force de se serrer» ; «La coquetterie est le péché mignon des jeunes filles» et ce curieux : «On devient patiente quand on devient maman» pour lequel le professeur Pruvost omet (pourquoi ?) de fixer l'italique (s'agit-il de patiente ou de maman ?).Voilà tout un monde de mots imprimés, de possibles résurgences autant que de lointaines résonances qui nous envahit. Avec lui, c'est aussi la possible mesure, au travers de nos mots et des mémoires imprimées, du temps qui passe, de l'éternité qui, sans doute, s'avance. C'est dire si nous allons nous attacher à prendre le pouls de ce passage qui est le nôtre.(A suivre)1 Pruvost J. La dent-de-lion, la semeuse et le Petit Larousse. Paris : Editions Larousse, 2004, IBSN 2-3-532185-4.