La maladie de Crohn et la colite ulcéreuse (aussi appelée recto-colite ulcéro-hémorragique) constituent ensemble les maladies inflammatoires cryptogénétiques de l'intestin (MICI). Ces maladies sont caractérisées par une atteinte inflammatoire du tractus digestif et une évolution chronique récidivante, avec alternance de périodes d'activité et de rémission. Les amino-salicylates et les corticostéroïdes, suivis des immunosuppresseurs, ont constitué depuis plusieurs décennies les piliers de l'arsenal thérapeutique contre ces maladies. A ces traitements est récemment venu s'ajouter l'infliximab, un agent anti-TNFa capable d'induire l'apoptose des cellules pro-inflammatoires qui expriment à leur surface le TNFa.1 D'autres thérapies biologiques sont en cours de développement et leur apparition va certainement encore élargir les possibilités de mise en rémission des patients ainsi que le maintien de ces rémissions à long terme.2 Ces nouveaux développements sont issus des connaissances récemment acquises dans le domaine de la génétique des maladies inflammatoires de l'intestin et de l'analyse des mécanismes par lesquels le système immunitaire développe et entretient l'inflammation intestinale qui prédomine dans ces maladies.
Grâce à ces progrès, le recours à la chirurgie en raison d'une poussée non contrôlable d'une MICI a diminué. Toutefois, il est encore estimé qu'une intervention chirurgicale sera indiquée chez plus de la moitié des patients atteints de maladie de Crohn au cours de l'évolution de leur maladie et, qu'à terme, près d'un tiers des patients avec colite ulcéreuse auront besoin d'une colectomie,3 soulignant l'importance cruciale de la collaboration entre gastro-entérologues et chirurgiens viscéraux pour une prise en charge optimale de ces patients.
L'origine des MICI est peu claire et les causes exactes de la maladie de Crohn ou de la colite ulcéreuse restent inconnues. Toutefois, de multiples observations ont impliqué une base génétique, la présence de micro-organismes dans la lumière intestinale ainsi que des anomalies de la réponse immuno-inflammatoire de l'hôte dans la pathogenèse de ces affections. L'implication possible de micro-organismes exogènes pathogènes dans les MICI reste un sujet controversé, mais d'autres facteurs environnementaux jouent certainement un rôle. Il est aujourd'hui généralement admis que les MICI résultent d'une interaction entre une prédisposition génétique et des facteurs environnementaux pour entraîner une réaction immuno-inflammatoire incontrôlée dirigée contre des éléments de la flore intestinale, qui mène aux dégâts tissulaires typiques de ces maladies.4
Le but de cet article est de faire le point sur la participation de ces différents facteurs à la pathogenèse des MICI en prenant comme exemple la maladie de Crohn et de discuter un nouveau modèle physiopathologique de cette maladie. Ces nouvelles connaissances servent de base théorique pour le développement de nouvelles thérapies dont les premières sont déjà en cours d'évaluation clinique.
Une susceptibilité d'origine génétique a été suspectée de longue date sur la base d'observations de cohortes de patients et d'analyses de registres familiaux de patients atteints de MICI. En effet, le risque pour la parenté de premier degré, et en particulier pour la fratrie d'un patient atteint de MICI, de développer une même maladie est de 10 à 25%. De plus, chez les patients d'une même famille la maladie tend à présenter le même phénotype clinique et à évoluer de façon similaire. Cette agrégation familiale est plus marquée pour la maladie de Crohn que pour la colite ulcéreuse. L'étude de registres de jumeaux a en outre révélé un taux plus élevé de concordance pour les MICI parmi des paires de jumeaux monozygotiques (30-50% pour Crohn, 10-20% pour colite ulcéreuse) que parmi des paires de jumeaux dizygotiques (0-7% quelque pour l'une ou l'autre des MICI), soulignant encore une probable participation génétique à cette maladie,5,6 de même que le fait que la maladie de Crohn soit associée avec certains syndromes d'origine génétique comme le syndrome de Turner.7
En complément aux données humaines, il a été observé chez l'animal, principalement dans des modèles de souris avec inactivation spécifique de gènes, que de nombreuses mutations entraînaient le développement d'une inflammation intestinale analogue à celle décrite dans les MICI. Ceci a notamment été observé chez des animaux dont des gènes impliqués dans la régulation de la réponse immunitaire avaient été inactivés, comme les gènes de l'interleukine 2 ou 10, ou du Tumor Growth Factor beta (TGFb).8
L'étude des familles de patients avec MICI a permis d'identifier des loci génétiques sur plusieurs chromosomes, et en particulier sur le chromosome 16, sur le grand bras duquel un locus nommé IBD1 a été décrit par Hugot et coll. en 1996. L'étude ultérieure de ce site par ce groupe ainsi que par le groupe de J. Cho a permis d'identifier un gène appelé NOD2 (ou CARD15 selon une classification fonctionnelle plus récente) dont trois mutations sont associées avec un risque fortement accru de développer une maladie de Crohn.9,10 L'association entre ces variants de NOD2 et la maladie de Crohn a été confirmée dans plusieurs cohortes de patients d'origine caucasienne, mais n'a pas été retrouvée chez des patients asiatiques ou afro-américains atteints de la maladie. Parmi les patients caucasiens, ces variants montrent un effet de dosage génétique (les patients homozygotes pour un variant ou porteurs de 2 variants ont un risque de Crohn plus élevé que les patients hétérozygotes).11 Toutefois, ces variants n'expliquent pas l'ensemble des cas de maladie de Crohn, car seuls 25 à 40% des patients atteints sont porteurs d'un de ces variants NOD2. Si ces observations permettent clairement de définir que ces variants NOD2 sont liés au développement de la maladie de Crohn, des mutations d'autres gènes sont certainement capables de produire le même phénotype pathologique chez l'être humain. Dans cette perspective, il convient de mentionner, même si les données demandent encore à être confirmées dans d'autres cohortes de patients, que deux autres gènes, DLG5 et OCTN, ont été récemment montrés être en association avec la maladie de Crohn.12,13
Crohn et ses co-auteurs s'étaient déjà intéressés à rechercher une possible origine environnementale à cette maladie et avaient en particulier recherché sans succès la présence d'un micro-organisme pathogène dans les pièces opératoires de leurs patients par des colorations et des cultures. Depuis lors de nombreux groupes de recherche ont tenté d'identifier un agent pathogène responsable de cette maladie et la liste des micro-organismes suspectés n'a cessé de s'allonger.14 Le tableau 1 donne une liste non exhaustive des agents sur lesquels des travaux ont été publiés dans ce contexte. Toutefois, aucun des pathogènes suspectés à ce jour d'être responsable de la maladie de Crohn ne remplit les postulats de Koch, même si ces postulats ont été adaptés à l'ère moléculaire actuelle. D'abord, ces agents n'ont pas été uniformément isolés chez tous les patients. Ensuite, ces agents ne causent en général pas chez l'être humain une pathologie ressemblant à la maladie de Crohn. Enfin, le traitement de telles infections, lorsqu'elles sont présentes, n'est pas uniformément efficace pour faire disparaître la maladie.
Un cas particulier d'agent infectieux fait encore l'objet d'une controverse et mérite d'être discuté : Mycobacterium avium susp. Paratuberculosis. Cet agent cause la maladie de Johne chez les bovins dont la présentation clinique est assez similaire à la tuberculose intestinale et à la maladie de Crohn.15,16 La présence de ce pathogène varie dans différentes populations de bovins, mais est assez élevée en Angleterre, d'où provient la plupart des études ayant montré que cet agent peut être isolé des lésions intestinales humaines de type Crohn. Toutefois, la maladie de Crohn est notablement plus fréquente en ville qu'en milieu rural et des études épidémiologiques n'ont pas permis d'associer la consommation de lait non pasteurisé ou d'eau non traitée avec une séropositivité pour cet agent ou le développement d'une MICI. A ce stade, il paraît clair que ce pathogène animal peut coloniser la muqueuse intestinale des patients avec des lésions ulcérées de type Crohn, mais il faut garder à l'esprit que le fait d'identifier un micro-organisme dans des lésions ne prouve pas encore un lien de causalité, une surinfection secondaire des lésions étant aussi possible.17 Une amélioration du patient après traitement antibiotique, même ciblé sur l'agent identifié, ne prouve pas non plus le lien de causalité car cet agent peut aussi jouer un rôle dans la persistance des lésions ou aggraver celles-ci sans en être la cause initiale.
L'incidence de la maladie de Crohn augmente dans les pays industrialisés et émergents, en relation avec le degré d'industrialisation, une situation associée avec une baisse des infections entériques. Il reste donc possible que des agents pathogènes soient favorisés par l'accès au mode de vie occidental, notamment des agents comme Listeria ou Yersinia qui se multiplient bien au froid, et pourraient avoir bénéficié de l'introduction des armoires frigorifiques pour le stockage des aliments. Cette hypothèse de la chaîne du froid a récemment été rediscutée en relation avec l'identification de NOD2.18 L'incidence basse des MICI dans les pays en voie de développement n'est pas non plus en accord avec le fait que ces maladies soient dues à un micro-organisme pathogène.19,20 Ces différences géographiques ont mené à l'hypothèse (non confirmée) que le niveau d'hygiène du cadre de vie pourrait jouer un rôle et notamment le fait qu'une colonisation intestinale par des parasites pourrait jouer un rôle protecteur. Cette hypothèse a récemment fait l'objet de tentatives de se servir d'helminthes comme traitement des MICI.
Sans avoir un rôle causal dans la pathogenèse des MICI, une infection entérique ou une autre cause d'augmentation de la perméabilité intestinale ou de stimulation aiguë du système immunitaire peuvent jouer un rôle dans l'apparition initiale de la maladie ou dans la survenue d'une rechute. Une incidence accrue de maladie de Crohn et de rechute de la maladie a été rapportée dans les suites d'une entérite infectieuse aiguë.21,22 L'exclusion d'une infection entérique par des examens de selles devrait d'ailleurs faire partie de la prise en charge de ces patients lors de rechute. La prise d'anti-inflammatoires non stéroïdiens peut entraîner aussi une augmentation de la perméabilité épithéliale intestinale, par le blocage des cyclo-oxygénases nécessaires au maintien de l'intégrité de cette muqueuse.22 Ces médicaments sont contre-indiqués chez les patients avec MICI, même pour le traitement des complications articulaires de ces maladies.
Les micro-organismes ne sont pas les seuls éléments de notre environnement qui se sont modifiés avec l'industrialisation.23 La montée de la consommation de tabac avec l'émergence industrielle puis la stabilisation de cette consommation dans les pays industrialisés sont également en corrélation avec l'épidémiologie de la maladie de Crohn. Un lien entre l'incidence, la sévérité et le risque de rechute du Crohn et le tabagisme est maintenant bien établi et a été reproduit dans toutes les populations où des études ont été faites.24,25 Par contre, le tabac semble avoir un effet protecteur dans la colite ulcéreuse. Une appendicectomie est également associée avec un risque réduit de développer une colite ulcéreuse.26 Les mécanismes par lesquels la fumée du tabac et l'ablation de l'appendice exercent ces effets contrastés restent encore peu clairs.25,27
La flore intestinale joue un rôle central dans la pathogenèse des MICI, rôle qui est suggéré par différentes observations : les lésions les plus fréquentes des MICI coïncident avec les zones de haute densité de bactéries notamment anaérobes et Gram négatives dans le tube digestif (iléon terminal et côlon). Une translocation augmentée de bactéries dans la sous-muqueuse et jusque dans les ganglions mésentériques est documentée dans ces affections. La dérivation fécale par stomie améliore les lésions des MICI en aval de la dérivation et la restauration du flux fécal dans le côlon réactive la maladie colique.28 De plus, dans les modèles animaux de MICI, notamment les modèles de souris, une maladie inflammatoire intestinale ne se développe pas si les animaux sont maintenus en milieu axénique, c'est-à-dire stérile dès la naissance.8 Les antibiotiques ont également un effet favorable, au moins transitoirement dans la maladie de Crohn, apportant un soutien à ce mécanisme.
Le fait que dans une paire de jumeaux, malgré une même susceptibilité génétique et le partage d'un même environnement, la maladie ne se développe pas toujours chez les deux jumeaux suggère l'intervention de facteurs supplémentaires. Des variations aléatoires du répertoire des lymphocytes T et l'acquisition individuelle de l'expérience immunitaire sont possiblement impliquées. Ces variations vont mener à l'établissement d'une tolérance immunitaire propre à chaque individu et à des différences de composition de la flore intestinale. Il a été en effet reconnu que les patients atteints de maladie de Crohn présentent une réponse immunitaire spécifique contre des composants de leur flore intestinale.29 Le développement d'une telle réponse pourrait être la conséquence du premier épisode de la maladie et jouer ensuite un rôle dans sa chronicité.
La présence d'auto-anticorps est constatée dans les MICI. En particulier des anticorps de type pANCA (perinuclear Anti-Neutrophil Cytoplasmic Antibodies) sont retrouvés chez 60-80% des patients avec colite ulcéreuse. Ils ont été associés avec une évolution agressive de la maladie, résistance au traitement par 5-ASA, pouchite après colectomie, mais la valeur prédictive de ces anticorps reste controversée30 et leur rôle dans la pathogenèse reste peu clair. Dans 80% des cas de maladie de Crohn, des anticorps anti-Saccharomyces cervisiæ (levure de bière) sont retrouvés.31 Leur rôle n'est pas non plus défini.
Dans les MICI, comme lors de toute réaction immunitaire à des antigènes exogènes, la présentation d'antigènes initiale est faite par les cellules dendritiques. Selon le contexte de leur stimulation (production de co-signaux et de cytokines), les cellules dendritiques vont provoquer la différenciation des lymphocytes T facilitateurs naïfs (T helper 0 ou Th0) en Th1, Th2 ou Th3/Treg32 (fig. 1). Les cellules Th3/reg sont des cellules régulatrices qui jouent un rôle important dans l'établissement de la tolérance immunitaire envers les antigènes non pathogènes comme ceux de la flore intestinale. Ces cellules freinent les réponses Th1 et Th2 stimulatrices. Ces cellules Th1 et Th2 exercent aussi une régulation négative réciproque (l'IL-10 produite par les cellules Th2 bloque les cellules Th1 et inversement l'IL-12 produite par les cellules Th1 bloque les cellules Th2)33 contribuant à la polarisation de la réponse en direction d'un phénotype Th1 (Crohn) ou Th2 (colite ulcéreuse).
Dans la maladie de Crohn, les cellules Th1 ont une production importante de TNFa, qui joue un rôle central dans la genèse des lésions intestinales. Le TNFa a différentes fonctions pro-inflammatoires locales et systémiques qui expliquent le bénéfice des traitements qui inactivent sa production et/ou ses effets.34 Il cause une stimulation de l'endothélium des veinules de la sous-muqueuse, augmentant l'expression d'adressines vasculaires, récepteurs responsables de l'extravasation des lymphocytes et des neutrophiles dans les tissus (infiltration inflammatoire). Le TNFa contribue ensuite à l'activation de ces cellules, notamment au relâchement de protéases et de radicaux libres par les neutrophiles. De plus, le TNFa stimule les fibroblastes du tissu interstitiel, qui vont produire également des protéases et aussi du collagène. Ces produits cellulaires sont à la base des lésions épithéliales et du remaniement tissulaire observés dans les zones affectées du tractus digestif. Le TNFa augmente aussi la perméabilité de l'épithélium et exerce ainsi une activité de renforcement positif de la présentation d'antigènes, contribuant à perpétuer la réaction inflammatoire. Cette cytokine est aussi responsable de la production de protéine C réactive par le foie.
L'analyse de la fonction du gène NOD2/ CARD15 dans les différentes cellules qui expriment ce gène a permis un pas important dans la compréhension de la physiopathologie de la maladie de Crohn. Chez l'individu sain, les macrophages sont le site principal d'expression de NOD2. Ce gène code pour une protéine qui se localise dans le cytoplasme des cellules. Cette protéine appartient à une grande famille de récepteurs cellulaires qui ont une fonction de reconnaissance d'éléments viraux ou bactériens, permettant aux macrophages d'identifier une attaque extérieure. La protéine NOD2 se lie avec une haute affinité aux peptidoglycans des bactéries Gram négatives. Après cette liaison, la protéine NOD2 se dimérise et participe à une cascade d'activation avec production de facteurs pro-inflammatoires dont le TNFa.35 Les variants NOD2 associés avec la maladie de Crohn entraînent toutefois une perte de fonction de NOD2 et donc une baisse de la faculté qu'ont les macrophages de régler leur réponse aux bactéries Gram négatives, très abondantes dans la flore intestinale. Le gène NOD2 est également exprimé dans les cellules épithéliales de la muqueuse intestinale, dans les cellules de Paneth des cryptes coliques36 ainsi que dans les cellules dendritiques,37 toutes impliquées à des degrés divers dans la protection non immune contre les micro-organismes présents dans la lumière intestinale (fig. 2).
Les éléments présentés ci-dessus permettent de modifier le modèle accepté depuis presque deux décennies et qui propose que la maladie de Crohn est une réponse anormale face à des antigènes ubiquitaires à la flore intestinale. La découverte des mutations NOD2/CARD15, et plus récemment d'autres gènes (voir plus haut), suggère plutôt qu'en raison d'une défaillance des défenses innées de la muqueuse avec ou sans une perméabilité augmentée de l'épithélium des antigènes de bactéries de la flore intestinale normalement ni invasives ni pathogènes sont présentés au système immunitaire adaptatif.38,39 Celui-ci montre alors une réponse immunitaire spécifique de type Th1 contre ces bactéries, qui ne se produit pas lorsque les défenses innées de la muqueuse fonctionnent (fig. 3). Cette réponse puissante entraîne le recrutement de cellules effectrices qui génèrent les lésions observées dans les tissus. La genèse de cette réponse adaptative s'accompagne de l'apparition de cellules T mémoires qui jouent probablement un rôle central dans les rechutes ultérieures une fois la maladie déclenchée. La survenue de la première poussée ainsi que des rechutes pourraient être facilitées par une augmentation de l'exposition du système immunitaire aux antigènes de la flore ou par une augmentation du niveau d'activation immunitaire.
La mise en évidence que la maladie de Crohn résulte en fait d'une défaillance des défenses innées de l'intestin a amené à tester des stratégies thérapeutiques visant à stimuler cet étage de la protection de la muqueuse. La première approche suivie a été de stimuler la croissance et l'activation des macrophages, non suffisamment activés par défaut d'expression de NOD2, dans la phase initiale d'une poussée de la maladie. Se basant sur des connaissances déjà anciennes des facteurs de croissance hématopoïétiques, Dieckgraefe et Korzenik ont testé, dans une première étude pilote chez des patients avec maladie de Crohn active, la sécurité d'emploi et l'efficacité du sargramostim (commercialisé sous le nom Leukine® par Berlex, Inc.), qui n'est autre que du GM-CSF humain, un facteur de croissance pour les neutrophiles, les cellules dendritiques et les monocytes/macrophages. Suivant un schéma d'escalade de dose entre 4 et 8 mg/kg/jour, ces investigateurs ont traité quinze patients avec du sargramostim. Aucun patient ne s'est péjoré durant l'étude et après huit semaines de traitement quotidien, douze patients présentaient une baisse de plus de 100 points du score de maladie utilisé (CDAI), huit étant en rémission.40 Devant ce succès, les mêmes investigateurs ont dirigé une étude multicentrique randomisée en double aveugle sur 124 patients assignés avec un rapport de 2 : 1 à 6 mg/kg/jour de sargramostim ou un placebo. Ces patients avaient à l'entrée dans l'étude une maladie modérée à sévère avec un CDAI moyen de 300 points et des taux d'échecs préalables de 89% aux corticostéroïdes, de 62% aux immunomodulateurs et de 51% à l'infliximab. Après huit semaines de traitement, le taux de patients avec une réponse clinique (100 points de baisse du score CDAI) a été de 48% et 27% respectivement pour le sargramostim et le placebo (p 41 Des douleurs osseuses et aux sites d'injection ont été les seuls effets secondaires observés avec ce produit. Ces résultats sont excellents compte tenu de la sévérité de la maladie et du fait qu'il s'agissait de patients réfractaires à de nombreuses thérapies. Par ailleurs, ces résultats confirment le nouveau concept que la maladie de Crohn est une immunodéficience innée. Une étude de phase III multicentrique internationale est en cours d'initiation, à laquelle les services de gastro-entérologie de Lausanne et de Zurich vont participer.
L'échec des défenses innées peut aussi expliquer l'éducation inadéquate des lymphocytes T helper. Les deux cytokines centrales dans l'orientation des cellules Th0 en cellules Th1 sont l'IL-12 et l'IL-23, qui partagent une de leurs sous-unités, la protéine p40. Un anticorps anti-IL-12, dirigé contre p40, a donc été testé pour sa capacité à réorienter la réponse immunitaire dans la maladie de Crohn, prévenant ainsi la réaction de type Th1. Mannon et coll. ont ainsi assigné 79 patients en double aveugle à un traitement de sept injections sous-cutanées hebdomadaires de 1 ou 3 mg/kg de traitement anti-IL-12 ou de placebo.42 Après 12 semaines, 69% des patients ayant reçu le traitement anti-IL-12 avaient une réponse clinique et 50% étaient en rémission, contre 13% et 0% pour le groupe placebo, respectivement, des différences statistiquement significatives. Les effets secondaires se sont limités à des réactions locales aux sites d'injection. D'autres études avec ce produit de Wyeth et Abbott devraient suivre.
La percée considérable qu'a représentée l'identification de variants du gène NOD2 associés à la maladie de Crohn a permis de revisiter les données accumulées depuis plusieurs décennies sur la pathogenèse de cette affection chronique pour laquelle il n'y a encore ni cure ni traitement uniformément efficace. Ces nouvelles connaissances permettent pour la première fois de proposer un modèle physiopathologique englobant toutes les observations issues de la génétique, de l'épidémiologie, de la microbiologie et de l'immunologie. Ce modèle a déjà permis d'imaginer deux approches thérapeutiques novatrices qui n'auraient sans doute pas été tentées autrement. En effet, l'utilisation de GM-CSF dans une maladie avec une telle réponse inflammatoire était tout sauf intuitivement évidente. Le rôle thérapeutique potentiel du blocage de l'IL-12 n'aurait peut-être pas été testé non plus. Les résultats de ces études sont très encourageants et confirment les hypothèses actuelles. Il convient encore d'attendre des résultats plus définitifs avec ces produits mais ils représentent un espoir de thérapies plus précises et moins toxiques que celles disponibles actuellement pour cette maladie chronique pour laquelle une cure reste à découvrir.
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