Edito: Assurer avec l'infliximab
Christian Felley et Pierre Michetti
Rev Med Suisse
2004; volume 0.
24104
Résumé
Le facteur de nécrose tumorale alpha (TNFa) est une cytokine majeure dans la réaction inflammatoire de la maladie de Crohn. L'infliximab (Remicade®), un anticorps chimérique (75% de séquences humaines et 25% de séquences murines) dirigé contre le TNFa, a été approuvé par l'administration américaine de régulation des médicaments (FDA) en octobre 1998 puis introduit en Europe. Il est administré lors de maladie de Crohn luminale ou fistulisante modérée à sévère et résistante aux traitements conventionnels que sont la prednisone ou les immunomodulateurs (azathioprine/6-mercaptopurine, méthotrexate). Il peut être utilisé aussi bien pour induire une rémission1,2 que pour la maintenir.3,4 L'infliximab, comme d'autres agents anti-TNFa, est maintenant également approuvé dans d'autres indications, dont la liste continue à s'allonger. L'introduction de ce nouveau traitement a donc entraîné une nouvelle forme de prise en charge de nombreux patients, en grande partie ambulatoire. De nouvelles données ont été récemment publiées, qui donnent l'occasion de faire le point sur les complications qui peuvent survenir à distance des perfusions, en dehors des centres d'administration. L'utilisation pratique de l'infliximab et les registres de suivi de patients nous ont appris que ce médicament est généralement bien toléré. En effet une récente revue de 912 patients, souffrant dans la majorité des cas de maladie de Crohn ou de polyarthrite rhumatoïde, a montré que seuls 1,9% des patients ont dû interrompre ce traitement en raison d'effets secondaires par rapport à 0% dans le groupe contrôle. L'expérience cumulée par différents centres démontre toutefois que l'emploi de l'infliximab nécessite certaines précautions.Problèmes infectieuxDans l'étude ACCENT I,3 évaluant l'utilité de l'infliximab dans le maintien de la rémission de la maladie de Crohn, des infections sévères sont survenues chez 4% des patients traités. Ces dernières concernaient surtout le tractus respiratoire supérieur. Afin de mieux évaluer la sécurité de l'infliximab dans la pratique quotidienne, un registre a été constitué aux Etats-Unis appelé «TREAT». Ce registre a permis de recueillir, sur la base d'informations volontaires, les données concernant 5807 patients (2850 traités par l'infliximab et 2957 par des thérapies standards).5 Au total, 11 504 perfusions ont été pratiquées avec un suivi moyen de 0,9 an. Des infections sévères ont été observées, plus fréquemment chez les sujets de sexe féminin et chez les patients recevant des corticoïdes ou des narcotiques. Une augmentation de dix fois de la mortalité a également été observée, en particulier chez les patients recevant de l'infliximab et traités de façon concomitante avec des corticoïdes. Une autre étude de population effectuée dans le comté de Stockholm chez 217 patients rapporte le décès de deux patients suite à une septicémie.6 Dans cette étude, les patients ayant présenté une issue fatale étaient significativement plus âgés que les autres. Un autre problème a été la survenue de cas de tuberculose souvent disséminée chez des patients traités par l'infliximab et porteurs d'une tuberculose latente.3 Il est donc nécessaire de rechercher une tuberculose active ou latente chez tout patient destiné à recevoir de l'infliximab en effectuant une radiographie du thorax et un test à la tuberculine.Problème des anticorps dirigés contre l'infliximabComme l'infliximab est un anticorps chimérique avec une composante non humaine, il peut être reconnu par notre système immunitaire. La formation d'anticorps anti-infliximab a été mise en évidence lors de traitement par l'infliximab chez plus de 60% des patients traités.7 Cette situation peut entraîner une réaction systémique lors de perfusion ultérieure et la perte de l'efficacité du médicament. La revue des différentes cohortes de patients a permis de démontrer que cette immunogénicité est diminuée chez les patients recevant de façon concomitante des immunomodulateurs (azathioprine/6-mercaptopurine ou méthotrexate) ou de la prednisone à une dose supérieure ou égale à 20 mg/j. Une étude randomisée a en outre montré qu'il est aussi possible de diminuer la formation d'anticorps par une dose de 200 mg d'hydrocortisone administrée par voie intraveineuse juste avant l'infliximab.8 Finalement, une stratégie de trois perfusions initiales à 0, 2 puis 6 semaines diminue également la formation d'anticorps anti-infliximab.9Problème de l'insuffisance cardiaqueL'infliximab peut précipiter une insuffisance cardiaque ou aggraver une maladie cardiaque préexistante10 et devrait donc être utilisé avec une extrême prudence chez des patients présentant des symptômes ou signes d'insuffisance cardiaque.Infliximab et colite ulcéreuseLes résultats de l'infliximab dans la colite ulcéreuse sont contradictoires. Deux grandes études randomisées appelées ACT1 et ACT2 ont été réalisées aux Etats-Unis et en Europe dont les résultats devraient être prochainement disponibles. L'utilisation de l'infliximab dans cette indication dépendra de ces résultats.L'infliximab, malgré un profil de sécurité acceptable, doit donc être utilisé dans le cadre d'une stratégie de traitement et de suivi précise. Le patient devrait si possible être préalablement traité par un immunomodulateur pour une durée permettant la réduction des risques de développements d'anticorps anti-infliximab. Si le traitement ne peut être différé pour les 3-6 mois requis, une prémédication avec de l'hydrocortisone devrait être envisagée. De plus, l'indication à ce produit devrait être soigneusement évaluée chez les patients présentant des infections chroniques ou latentes, une insuffisance cardiaque même légère ou chez une personne âgée. L'association de corticoïdes à l'infliximab, en dehors d'une prémédication, paraît également délétère car elle aggrave significativement le risque infectieux. Malgré ses risques, l'infliximab représente un gain important pour les patients et il convient de se rappeler que d'autres médicaments couramment utilisés dans la maladie de Crohn, en particulier les corticoïdes, peuvent occasionner des effets secondaires sévères, y compris une issue fatale.11
Contact auteur(s)
Christian Felley
et du professeur
Pierre Michetti
Service de gastro-entérologie et d'hépatologie
CHUV
Lausanne