Le diagnostic des infections fongiques invasives en particulier celles causées par Candida et Aspergillus est difficile et souvent tardif. Pour en améliorer et accélérer le diagnostic microbiologique basé sur l'examen direct et la culture d'échantillons cliniques représentatifs de nouvelles approches ont été développées récemment, soit la détection d'antigènes de la paroi des champignons (galactomannane pour Aspergillus, mannane pour Candida, glucane), soit la détection d'acides nucléiques fongiques par Polymerase Chain Reaction (PCR) directe dans les échantillons cliniques. Parmi ces méthodes encore expérimentales, le dosage répété du galactomannane dans le sérum des patients à risque de développer une aspergillose est considéré aujourd'hui comme un test diagnostique complémentaire de valeur permettant d'accélérer le diagnostic d'aspergillose invasive.
Les infections causées par des mycoses en particulier les infections sévères ou profondes ont considérablement augmenté et leurs agents étiologiques se sont diversifiés ces dernières années, en grande partie à cause du nombre croissant de patients aux défenses amoindries par une maladie ou son traitement (cancer, infection VIH, transplantation d'organes, traitement par corticoïdes ou immunosuppresseurs).1,2
Parallèlement, les possibilités thérapeutiques se sont aussi élargies, rendant le diagnostic précis et si possible rapide de ces infections souvent opportunistes directement utile au traitement et au pronostic du patient.
Une classification simplifiée des principales mycoses vues en pratique médicale distingue :
1. les mycoses superficielles ou cutanées au niveau de la tête (teigne, folliculite due aux dermatophytes ou à Candida), au niveau du corps et des membres (pityriasis versicolor, dermatomycoses, atteinte des ongles, folliculite) ;
2. mycoses au niveau des muqueuses (candidose orale, sophagite, candidose génitale, en particulier vaginale) ;
3. les mycoses sous-cutanées rares sous nos climats comme les mycétomes ou la sporotrichose, et enfin
4. les mycoses profondes ou systémiques, dont l'approche diagnostique sera plus particulièrement développée ici.
Les mycoses profondes et systémiques sont dues essentiellement chez nous à deux genres de champignons opportunistes et ubiquitaires, Candida et Aspergillus, mais le nombre de cas causés par d'autres genres ou espèces sont en augmentation (tableau 1). Tous deux peuvent entraîner des complications infectieuses graves, particulièrement chez des patients très susceptibles comme les patients neutropéniques, les greffés de moelle osseuse et d'organes solides, ainsi que certains patients de soins intensifs avec multiples facteurs de risque (antibiotiques à large spectre, cathéters intravasculaires, insuffisance rénale, dialyse, intubation de longue durée). Il est donc essentiel d'avoir un indice de suspicion élevé face à de tels patients développant un état septique, un foyer radiologique ou des lésions cutanées, car la présentation clinique de ces infections fongiques profondes est peu spécifique, ceci particulièrement au début, quand un traitement efficace est encore envisageable.
En plus d'une présentation clinique souvent peu évocatrice, les moyens diagnostiques conventionnels pour détecter une atteinte fongique sont insuffisamment sensibles et rapides. Il n'est dès lors pas étonnant que de nombreux développements de nouveaux tests diagnostiques aient été entrepris ces dernières années avec certains résultats prometteurs. Cet article présente l'état de ces nouveaux développements diagnostiques en les positionnant par rapport aux méthodes conventionnelles.
Le diagnostic conventionnel des mycoses profondes repose sur la triade classique : examen direct, culture et examen anatomopathologique, ce dernier étant trop rarement à disposition.3
L'intérêt de l'examen direct en est sa rapidité. En cas de résultat positif, l'interprétation doit tenir compte du site de prélèvement (site normalement stérile ou non), des facteurs de risque présents chez le patient et de la clinique associée. Vu leur aspect ubiquitaire, des champignons peuvent coloniser la peau ou les muqueuses en particulier respiratoires sans être nécessairement responsables d'un processus pathologique. En cas de résultat négatif, une infection fongique n'est de loin pas exclue, vu la sensibilité très modérée de cet examen.
Les principaux examens directs microscopiques utilisés pour la mise en évidence d'éléments mycotiques dans les échantillons cliniques sont :
La culture reste actuellement la pierre angulaire du diagnostic des mycoses profondes. Elle seule permet une identification précise au genre et à l'espèce, ainsi que la détermination de la sensibilité aux agents antifongiques. Ce dernier test, appelé antifongigramme par analogie à l'antibiogramme, est de plus en plus demandé pour des espèces avec résistance connue, ou en cas de réponse thérapeutique insatisfaisante. Comme avec l'examen direct, une culture positive pour un champignon opportuniste comme Candida ou Aspergillus ne prouve pas automatiquement une infection à ces germes. Un simple traitement antibiotique de quelques jours peut favoriser la croissance de Candida dans des prélèvements respiratoires ou vaginaux, et la grande majorité des cultures de prélèvements respiratoires «non stériles» positifs pour Aspergillus représentent une simple colonisation plutôt qu'une infection nécessitant un traitement.4 Là aussi, l'interprétation clinique d'une culture positive tiendra compte du type de patients, des facteurs de risque et d'autres paramètres biologiques ou radiologiques.
Pour le diagnostic des infections disséminées à levures (en particulier celles à Candida), le prélèvement de choix reste l'hémoculture, même si sa sensibilité est très imparfaite (50 à 70%) malgré les perfectionnements techniques et l'utilisation de milieux spécifiques dédiés aux champignons. A la sensibilité modeste de l'hémoculture s'ajoute le délai de positivité qui peut atteindre plusieurs jours, voire une semaine.
Pour le diagnostic des infections disséminées à champignons filamenteux (en particulier à Aspergillus), l'hémoculture est d'une rentabilité quasi nulle. Font exception à cette règle les infections à Fusarium sp., que l'on peut diagnostiquer dans plus de la moitié des cas par hémocultures, ainsi que celles dues à Histoplasma capsulatum, un champignon dimorphique rare en Europe, qui sont aussi classiquement diagnostiquées par hémocultures, mais après plusieurs semaines d'incubation.
L'identification précise (au genre et à l'espèce) des champignons poussant sur les milieux de cultures fait appel à des tests de reconnaissance phénotypiques macroscopiques (morphologie et pigmentation des colonies) et microscopiques (type de mycélium, présence de levures, filaments ou pseudo-filaments), ainsi que pour les levures à des systèmes commerciaux basés sur l'assimilation de différents hydrates de carbone. De plus en plus, on a recours à une approche diagnostique moléculaire par séquençage de régions variables du génome pour l'identification précise d'un champignon, permettant souvent un gain de temps et de précision, surtout quand cela est utile cliniquement.5
L'examen histopathologique, qui nécessite de disposer d'un fragment de tissu, est rarement pratiqué pour diverses raisons. Cet examen a l'immense avantage de permettre de visualiser les éléments fongiques directement dans les tissus au site d'infection, et est souvent requis pour poser un diagnostic de certitude.
Deux catégories de tests diagnostiques ont été développées ces dernières années dans le but d'améliorer et d'accélérer le diagnostic des mycoses profondes ou systémiques : la détection d'antigènes circulants et celle d'ADN fongique dans différents liquides biologiques.
Cette approche est utilisée depuis de nombreuses années pour détecter la présence de cryptocoques, en particulier dans le LCR et le sérum. Elle est basée sur un test d'agglutination ou un Elisa entre un anticorps spécifique et un composant antigénique polysaccharidique soluble de la capsule des cryptocoques présent dans le LCR ou le sérum. Ce test, réalisable en quelques minutes, est très sensible (> 95%) et très spécifique (> 95%) pour le diagnostic d'une infection à cryptocoques. Quelques réactions croisées sont connues avec d'autres champignons, comme Trichosporon beigelii. Le diagnostic d'histoplasmose peut aussi se faire à l'aide d'un test Elisa détectant la présence d'un antigène polysaccharidique spécifique, en particulier dans les urines, mais ce test n'est pas disponible en Suisse.
Les développements récents concernent essentiellement Aspergillus et Candida. Pour Aspergillus, un test commercial (Platelia Aspergillus, Biorad®) permet la détection par méthode Elisa d'un composant de la paroi, le galactomannane, dans différents échantillons cliniques, dont en particulier le sérum. D'une haute sensibilité analytique, ce test est surtout utilisé comme test de screening chez les patients présentant un risque élevé d'aspergillose invasive, soit les patients greffés de moelle ou traités pour une leucémie myéloïde aiguë avec agranulocytose de longue durée. Dans ce contexte, la détermination sérielle de galactomannane (au minimum deux fois par semaine pendant la période de risque) a montré une sensibilité de 50 à 95%, et une spécificité de 60 à 98% pour la détection d'une aspergillose invasive, selon les collectifs étudiés.6-9 Il existe un certain nombre de causes de résultats faussement positifs (absorption alimentaire chez les enfants, contamination de certains antibiotiques bêtalactames) et aussi des faux négatifs. Ce test a aussi été utilisé avec succès dans des échantillons de lavage broncho-alvéolaire et de LCR. Il est donc important de le réserver aux patients à risque, comme l'a bien montré une large étude récente.8 Les données actuelles disponibles suggèrent que le suivi de l'évolution dynamique des taux est plus utile au diagnostic qu'un taux limité fixe (cut-off). La diminution du taux de galactomannane circulant paraît associée à un bon pronostic, sa persistance ou son augmentation sous traitement avec un mauvais pronostic.10
Pour Candida, un test analogue au Platelia Aspergillus a été récemment développé pour la détection d'un composé de paroi, le mannane (Platelia Candida, Biorad®). Ce dernier test a jusqu'ici été essentiellement évalué rétrospectivement dans des collectifs de patients onco-hématologiques ou de soins intensifs. La sensibilité de la détection du mannane sérique pour détecter une candidose invasive est relativement basse (de l'ordre de 40 à 50% selon les études), mais la détection combinée de l'antigène mannane et des anticorps antimannane permet d'accroître significativement la sensibilité de ce screening (80%) sans en réduire la spécificité.11 Nous avons utilisé cette approche dans un collectif de patients leucémiques et observé une excellente sensibilité de la combinaison mannane-antimannane pour la détection précoce de candidose hépatosplénique chez 23 patients (sensibilité 89%, spécificité 84%) par rapport à des patients contrôles.12 Cependant, des études prospectives supplémentaires sont nécessaires avant de proposer l'utilisation de ce test, particulièrement chez des patients de soins intensifs présentant un risque accru d'infection à Candida.
Un troisième test a été développé, qui détecte la présence d'un composé de paroi commune à la plupart des champignons (dont notamment Candida et Aspergillus), le glucane (b1-3 d glucane). Une étude prospective récente a démontré l'intérêt de ce test utilisé comme screening chez des patients onco-thématologiques à risque de développer notamment une candidose invasive.13
En résumé, l'intérêt de ces tests de détection d'antigènes circulants pour le diagnostic des infections fongiques invasives est double : en cas de résultats négatifs, conduire à une réduction de l'utilisation empirique d'agents antifongiques souvent très onéreux ; en cas de résultats positifs, initier une administration préemptive plus précoce d'agents antifongiques avec l'espoir d'une efficacité accrue.
Il s'agit d'un domaine encore expérimental, aucun test commercial n'étant aujourd'hui disponible pour le diagnostic moléculaire des infections fongiques.
Trois approches principales ont été explorées, visant à détecter soit Candida, soit Aspergillus ou l'ensemble des mycoses potentiellement responsables d'infections chez l'homme (méthode dite panfongique). De nombreuses méthodes ont été investiguées, utilisant des cibles moléculaires variées, des formats d'extraction d'amplification et de détection des acides nucléiques différents. Ces méthodes ont montré une bonne sensibilité analytique in vitro, mais les études prospectives utilisant des échantillons cliniques sont encore très fragmentaires et ne permettent pas ou pas encore de proposer cette approche en dehors de protocoles cliniques.14 Il y a presque dix ans, un groupe allemand publiait une des premières études utilisant une méthode PCR capable de détecter Aspergillus et Candida dans le sang de patients greffés de moelle osseuse.15 En fait, les résultats excellents obtenus alors (sensibilité de 100%, spécificité de 100%, valeur pronostique de la persistance ou disparition de la présence d'ADN fongique dans le sang sous traitement) n'ont jamais été égalés par la suite. De son côté, un groupe italien a testé une méthode PCR pour détecter l'ADN de Candida dans le sang de patients d'hémato-oncologie neutropéniques restant fébriles après trois jours d'administration d'antibiotiques à large spectre. Leur méthode moléculaire a donné une sensibilité de 93% (contre seulement 31% à l'hémoculture prise conjointement) pour détecter la présence d'une candidose disséminée.16 Un taux de résultats faussement positifs élevé (25%) représentait probablement des colonisations cutanéo-muqueuses sans atteinte profonde.
Les principaux obstacles au développement de tests de détection moléculaires fongiques ont trait à la difficulté à extraire l'ADN d'un champignon, à la faible quantité d'ADN fongique dans le sang, et à l'inhibition par le sang. L'absence de standardisation et de tests commerciaux en limite drastiquement l'emploi en clinique, malgré leur intérêt potentiel évident.
En résumé, les méthodes conventionnelles (examens directs, cultures, examens histopathologiques) restent en 2005 les examens de choix pour le diagnostic des infections fongiques, en particulier les infections invasives à Candida et à Aspergillus.
Parmi les approches diagnostiques modernes, la détection d'antigènes circulants est maintenant d'une aide diagnostique certaine, en particulier pour l'aspergillose pulmonaire invasive ou disséminée, à condition de restreindre cette recherche aux patients à risque. Les évaluations cliniques pour la recherche du mannane (Candida) et du glucane sont encore fragmentaires et insuffisantes pour recommander l'utilisation de ces tests en dehors de protocoles cliniques. Pour la détection d'acides nucléiques fongiques, il n'y a, à l'heure actuelle, aucun test commercial disponible, et cette approche certes prometteuse en est encore au niveau de la recherche clinique.
Au plan clinique, l'enjeu de l'utilisation de ces tests vise d'une part, l'obtention d'un diagnostic plus précoce permettant un traitement plus efficace d'infections au pronostic sévère, et d'autre part, à réduire l'administration d'antifongiques en prophylaxie ou d'une manière empirique en ciblant mieux les patients qui en ont réellement besoin.