Le contexte clinique définit plusieurs usages pour les méthodes de détection des IgE spécifiques. Dans le contexte de la médecine de premier recours, les analyses rapides, réalisables à proximité du patient ont une place comme alternative aux tests cutanés. Pour l'usage habituel du cabinet médical, les méthodes quantitatives de dépistage d'atopie (Phadiatop ou équivalent) sont préférables. Leur valeur prédictive négative est utile pour exclure l'atopie. De plus, la distinction entre une allergie saisonnière et perannuelle est aisée.
A l'usage du spécialiste, les résultats quantitatifs d'IgE spécifiques peuvent être liés à une probabilité de réaction clinique à un allergène. Des points de décision clinique ont été établis pour plusieurs allergènes alimentaires communs associés aux eczémas atopiques de l'enfant.
L'algorithme diagnostique qui permet de confirmer une allergie IgE-médiée débute par l'anamnèse et l'observation de l'atteinte d'organes cibles de la maladie. L'association des symptômes d'allergie avec l'exposition à des facteurs externes (par exemple pollens, poils de chat...) renforce la présomption de causalité. La sensibilisation aux allergènes présumés est confirmée par des tests cutanés in vivo ou par la recherche sérique d'IgE spécifiques d'allergène. Les différentes techniques de recherche d'IgE spécifiques d'allergènes ne présentent cependant pas les mêmes caractéristiques.
Le test cutané en «Prick» est l'étalon reconnu pour la mise en évidence des réactions d'hypersensibilité immédiate liées à un allergène habituel. Grâce à son résultat disponible rapidement, le test cutané est l'outil de prédilection de l'allergologue. Le lien de causalité entre les symptômes et l'allergène suspecté peut être établi plus formellement par des tests de provocation si nécessaire.
Les indications reconnues pour la détection sérique d'IgE spécifiques sont résumées dans le tableau 1.1 Ces méthodes in vitro présentent de nombreux avantages : une quantification précise, la sécurité absolue, une absence d'interférence médicamenteuse et la possibilité de stocker des échantillons pour des analyses ultérieures. De nombreuses technologies permettent de rechercher ces anticorps spécifiques mais leurs propriétés diffèrent.
Dès 1967, la technique de radioimmunoassay (RIA) a permis l'identification de la «réagine» comme une IgE spécifique d'allergènes.2 Des IgE humaines monoclonales, purifiées à partir d'un myélome à IgE, ont servi à la production d'anticorps polyclonaux spécifiques de la chaîne lourde e. Dans la méthode initiale d'usage clinique (PhadebasRAST), les allergènes étaient fixés sur des disques de cellulose activée et permettaient l'expression semi-quantitative des résultats sur la base d'une courbe de calibration établie avec des IgE spécifiques de pollen de bouleau. Une quantité relative d'IgE sérique fixée à l'allergène était interpolée sur la base de l'intensité de la fixation d'anti-IgE. Un système de score semi-quantitatif en six classes a été établi et est encore utilisé actuellement. Son usage devrait cependant être abandonné au profit de valeurs quantitatives en kUI/l.3
L'amélioration progressive des différents aspects méthodologiques a abouti aux méthodes de référence actuelles qui sont quantitatives, calibrées sur un même standard international 4 et le plus souvent automatisées.
Les principales évolutions techniques sont les suivantes.
L'usage d'allergènes en phase solide (allergosorbent) ou en phase liquide confère des propriétés de liaison différentes aux IgE en termes de spécificité, d'affinité notamment. La possibilité de travailler en excès d'allergènes minimise ces effets, c'est pourquoi les capacités de liaison d'allergènes sur un support sont devenues déterminantes pour assurer une bonne sensibilité de ces techniques. Un des progrès majeurs est le développement d'un polymère encapsulé dans une matrice hydrophobique permettant la liaison covalente de grandes quantités d'allergènes. Ce polymère, appelé Pharmacia CAP system, a permis d'améliorer la sensibilité et la spécificité de la détection d'IgE spécifiques. Les nombreuses études cliniques réalisées dans les mêmes conditions en font aujourd'hui une méthode de référence.
Partant de propriétés techniques différentes, d'autres méthodes ont eu un développement parallèle. Diagnostic Products Corporation (DPC) a choisi de travailler en phase soluble avec des allergènes marqués à la biotine. La réaction allergène/anticorps IgE du sérum du patient se fait en phase liquide, puis est immobilisée sur un support constitué de billes recouvertes de streptavidine. La concordance des résultats obtenus par cette technique (Immulite) en comparaison avec l'UNICAP est acceptable. Elle est par exemple de > 80% pour la recherche d'IgE spécifiques contre des aliments.2
La standardisation des allergènes et les comparaisons avec les données cliniques ne sont pourtant que partiellement réalisées. En effet, la nature complexe des extraits allergéniques constitue un défi de taille pour l'optimalisation des méthodes de détection des IgE spécifiques d'allergènes. L'identification des allergènes majeurs parmi les groupes de patients allergiques prend parfois des années. De plus, ces allergènes peuvent varier entre différents pays notamment.5 Les propriétés de chaque allergène recombinant doivent être comparées individuellement avec les allergènes naturels sur les patients allergiques, comme ce fut le cas pour l'arachide.6 Ce travail minutieux est en cours pour de nombreux allergènes.
L'amélioration des méthodes de détection des IgE spécifiques pour le latex est une illustration récente de l'apport et de l'importance des allergènes recombinants pour le diagnostic clinique. En effet, l'allergène majeur du latex naturel, Hevea brasiliensis 5 (Hev b5) est une protéine acide, labile et modifiée lors de l'extraction et la fixation sur le support de matrice.7 L'addition de la protéine recombinante Hev b5 à l'extrait naturel fixé (spiking) sur la matrice a permis un gain de sensibilité de 10%, sans diminution de la spécificité.8 L'usage clinique des IgE spécifiques contre des protéines recombinantes de pollens présente aussi de grands espoirs, pour mieux prédire la réponse à des traitements d'immunothérapie.
Une deuxième ligne de développement implique la fixation d'allergènes individualisés sur un même support, ensuite le signal est quantifié et extrapolé en résultat semi-quantitatif pour chacun des allergènes. Ces techniques sont utilisées pour les analyses sur bandelettes. Elles présentent des difficultés de standardisation et de reproductibilité pour certains allergènes.
Plus récemment, les puces de microarray ont permis le développement de nouvelles méthodes en utilisant des spots de protéines allergéniques liées à une matrice de silice activée.9 L'utilisation de quantités infimes de protéines (par exemple, 10nL/ spot) dans cette technique robotisée permet théoriquement la recherche d'IgE spécifiques contre une multitude de protéines individuelles en utilisant peu de sérum. La quantification du signal des différents spots est réalisée par spectrofluorométrie. Les performances actuelles de telles méthodes présentent des désavantages qui ne justifient pas l'utilisation clinique pour l'instant.
La calibration et l'expression quantitative de résultats ont posé des problèmes méthodologiques. Initialement, l'intensité de la liaison des IgE spécifiques d'un sérum, rapportée à une courbe standard réalisée avec une préparation d'IgE spécifiques de bouleau en cinq concentrations, était exprimée en unités arbitraires (PRU/mL ; Phadebas RAST). Des intervalles semi-quantitatifs d'intensité ont été définis en quatre classes. La sensibilité analytique variait en fonction des allergènes ; l'inhibition compétitive des IgG était un handicap, par exemple chez des patients hautement exposés naturellement comme les apiculteurs. Plusieurs de ces problèmes ont pu être résolus grâce à l'introduction du système Pharmacia CAP au début des années 1990. En effet, l'usage d'un standard OMS (IRP 70/702) d'IgE humaines a permis d'élaborer une courbe standard fiable dans chaque série et l'expression quantitative des résultats en kUI/l.3 Des courbes de dilution parallèles à la courbe standard ont été réalisées pour chaque allergène. Ces travaux essentiels de standardisation ont permis de valider la méthodologie pour chaque allergène et d'exprimer des résultats réellement quantitatifs (tableau 2).
Une amélioration supplémentaire de la reproductibilité des résultats est liée à l'automation des méthodes de détection. La précision gagnée est appréciable pour l'expression des résultats quantitatifs.10 En particulier, ces derniers permettent d'établir des valeurs de probabilité clinique positive et négative.
Les méthodes quantitatives et automatisables se distinguent par plusieurs spécificités des méthodes semi-quantitatives (tableau 3). Les résultats quantitatifs sont exprimés en unités internationales (kUI/l) et se référent au standard utilisé pour la courbe d'étalonnage. En l'absence de standard international pour les IgE spécifiques, l'étalon est la préparation d'IgE WHO 75/702 (1 UI = 2,4 ng IgE).
La variabilité de la maladie allergique et les multiples facteurs d'interférence (allergies croisées, allergènes fixés...) devraient inciter les laboratoires et les médecins à n'utiliser que des techniques quantitatives dans le but de confirmer une sensibilisation spécifique ou d'établir une valeur de probabilité clinique.
Le mode d'expression des résultats en classe de RAST (1 à 6), même s'il peut faciliter l'interprétation clinique, n'est pas pertinent pour les dosages quantitatifs. Il permet cependant, une expression cohérente des résultats de méthodes semi-quantitatives et la comparaison des différentes méthodes entre elles, en particulier dans les essais d'aptitude.
L'assurance qualité des méthodes de détection des IgE spécifiques d'allergènes doit être rigoureuse au vu des difficultés de standardisation et en l'absence de standard international pour les IgE spécifiques. La part du fabricant inclut la vérification de tous les aspects de la production et de la reproductibilité des réactifs.
C'est, par le contrôle global de la performance que l'on peut, en permanence, assurer l'adéquation des méthodes utilisées pour l'usage clinique. On distingue habituellement le contrôle interne (de valeur cible connue) introduit dans chaque série d'analyses du contrôle externe d'aptitude (de valeur cible inconnue) adressé plusieurs fois par an par un centre de qualité organisé.
Le contrôle interne de performance de chaque série est de la responsabilité du laboratoire ou du médecin qui réalise les analyses. L'échantillon du contrôle interne doit être indépendant de la calibration et sa performance exprimée par rapport à une cible établie. Après plusieurs séries, un coefficient de variation de la méthode peut être calculé.
Le contrôle externe des IgE spécifiques a été initialement mis en route par un fabricant comme soutien d'aptitude aux clients. La fiabilité et la reproductibilité de leur méthode ont pu être démontrées, sur plusieurs années, avec un coefficient de variation de l'ordre de 10%. Actuellement, des centres indépendants proposent des essais d'aptitude inter-laboratoires qui permettent l'accréditation de ces méthodes.
En Suisse, dans le cadre de la LAMal et de ses ordonnances, un contrôle de qualité externe a été organisé pour les prestations du laboratoire médical et des soins de base. Le Centre suisse de contrôle de qualité, avec l'aide de la Société suisse d'allergie et immunologie, propose un contrôle de qualité dans ce domaine. Trois allergènes communs représentatifs d'une classe diagnostique (pollen de bouleau, épithélium de chat, arachide) et un mélange pour la détection de l'atopie sont proposés comme contrôle externe depuis 2003. D'autres centres de qualité européens proposent des essais d'aptitude indépendants pour de multiples IgE spécifiques. Ils sont accessibles pour les laboratoires médicaux, mais disproportionnés pour le laboratoire d'un praticien.
Les contrôles de qualité externes pour les IgE totales et spécifiques sont une obligation légale depuis 2004 pour obtenir le remboursement de ces prestations par les caisses-maladie. Les résultats de ces contrôles montrent une adéquation des méthodes de détection des IgE spécifiques proposées (avec une tolérance autorisée par la Qualab, d'une classe de RAST).
La détection des IgE spécifiques contre plusieurs allergènes fixés sur le même support permet d'évaluer la sensibilisation à un ensemble d'allergènes. L'atopie ou une allergie respiratoire sont détectées par Phadiatop (mélange d'allergènes respiratoires), Sx1( mélange contenant phléole, seigle, bouleau, armoise, acariens, squames de chat, de chien, Cladosporium herbarum), Alatop (mélange d'allergènes respiratoires DPC) ou équivalent.
Le résultat de ces analyses est habituellement présenté comme positif/négatif. La particularité du Phadiatop est une bonne valeur prédictive négative. Son utilité est donc l'exclusion de l'atopie chez des patients présentant une faible probabilité de maladie atopique. Plusieurs études ont confirmé la correspondance de ces résultats d'analyse avec les résultats de tests cutanés dans de grandes études de cohortes comme Sapaldia (environ 25% des adultes sensibilisés) ou Scarpol (environ 35% des enfants sensibilisés).
Plus récemment, une corrélation a pu être établie entre les résultats quantitatifs de Phadiatop et la probabilité d'une affection atopique. Dans un contexte de premier recours, chez l'enfant, l'utilité du dépistage d'atopie (Phadiatop + fx5) s'est révélée comme déterminante pour le praticien.11
De nombreux groupes d'allergènes connus ont été assemblés pour rechercher une sensibilisation à une famille d'allergènes correspondant à un ensemble de signification clinique. Les groupes plus généraux incluent les allergènes importants pour dépister une allergie saisonnière (Rx1) ou une allergie perannuelle (Rx2).12 Le groupe fx5 permet de détecter les allergies alimentaires fréquentes du petit enfant (lait, uf, blé, arachide, soja).
Une nomenclature des groupes d'allergènes a été élaborée pour décrire les divers mélanges : graminées (gx), herbacées (wx), arbres (tx), moisissures (mx), animaux (ex), aliments (fx) entre autres. Les résultats des IgE spécifiques contre ces groupes d'allergènes de composition connue sont quantitatifs, mais sans relation avec le nombre d'allergènes. Ces tests sont souvent prescrits pour rechercher une sensibilisation à une famille d'allergènes, sans possibilité d'identifier simultanément l'allergène incriminé. Les résultats négatifs doivent être confrontés à la clinique, en connaissance des allergènes inclus dans le mélange et des autres éléments de l'algorithme diagnostique allergologique. La qualité de ces tests et leur corrélation avec la clinique sont satisfaisantes, mais variables selon les techniques et les groupes d'allergènes considérés.
Il s'agit le plus souvent de méthodes de détection dans lesquelles les allergènes sont fixés (individuellement ou en groupe) sur une membrane de nitrocellulose, incubée avec le sérum du patient, puis révélée par un système de détection enzymatique simple. Ces méthodes de détection sont validées comme dépistage d'une atopie, de groupes d'allergènes ou d'un allergène donné.
Cependant, de par leur calibration, ces méthodes de détection permettent d'exprimer des résultats semi-quantitatifs, ensuite extrapolés habituellement, en classe de RAST. Elles devraient être effectuées à proximité du malade, comme méthode alternative aux tests cutanés quand ils ne sont pas réalisables.
L'amélioration des techniques quantitatives de détection des IgE spécifiques a permis de confirmer une sensibilité et une spécificité clinique de plus de 90% pour un grand nombre d'allergènes.
L'interprétation des résultats et leur intégration clinique ont été développées de plusieurs manières. Tout d'abord, la définition d'une valeur seuil idéale a pu être établie dans une population donnée pour les allergènes les plus importants par l'analyse statistique de receveur-opérateur ou courbe ROC.13 Les difficultés liées à cette approche incluent la connaissance de la prévalence et la variation du seuil pour chaque allergène. De la même manière, ce type d'analyse statistique a été utilisé pour dissocier les patients sensibilisés avec ou sans symptômes.14 La portée pratique de ces études reste pour l'instant limitée.
Récemment, une autre approche a permis d'associer les valeurs quantitatives d'IgE spécifiques à la probabilité clinique de développer une réaction pour un allergène (figure 1). Cette analyse statistique, qui nécessite de se comparer à une méthode de référence diagnostique, s'est avérée particulièrement utile pour les allergies alimentaires de l'enfant. Des points de décision cliniques ont été définis, au-delà desquels il existe une probabilité élevée (> 95%) de réagir dans un test de provocation orale. Ces valeurs de probabilité clinique positive ont pu être établies pour plusieurs allergènes communs chez les enfants souffrant d'eczéma atopique (uf 6 kU/l, arachide 15 kU/l, poisson 20 kU/l, lait 32 kU/l, soja 30 kU/l, blé 26 kU/l).15 Elles ont été aussi adaptées pour les petits enfants de moins de 2 ans (uf 2 kU/l, lait 5 kU/l).16 De la même manière, une valeur de probabilité clinique négative de 0,35 kUI/l a été établie pour de nombreux allergènes. De telles approches ont une importance clinique primordiale, elles permettent, en effet, d'éviter des actes médicaux supplémentaires en particulier des tests de provocation risqués et coûteux. L'extension de ces points de décision cliniques à d'autres domaines a été rapportée pour des allergènes respiratoires et vont certainement jouer un rôle dans la pratique.
L'évolution des techniques quantitatives de détection des IgE spécifiques a permis d'établir des relations entre les valeurs des résultats quantitatifs et la probabilité de réagir cliniquement à un allergène. Ces valeurs de probabilité clinique positive/négative, basées sur une méthodologie quantitative établie dans un système de mesure ne seront pas applicables dans d'autres systèmes, sans vérification. Les méthodes de détection quantitatives des IgE spécifiques répondent mieux aux besoins de confirmation des spécialistes. Les résultats quantitatifs permettent de guider le traitement et d'éviter des procédures diagnostiques complexes.
La distinction entre les différents types de méthodes de détection des IgE spécifiques suggère un usage spécifique de chacune pour la clinique. Dans le contexte de la médecine de premier recours, les méthodes qui génèrent un résultat dans un court délai ont une place comme alternative aux tests cutanés. Leurs résultats permettent de mettre en uvre des traitements ciblés. Les tests de dépistage d'atopie ont démontré leur utilité dans la démarche du praticien, en particulier pour leur valeur prédictive négative.