Voyager enceinte est possible. On recommandera de : voyager au deuxième trimestre, éviter les régions à forte endémicité de paludisme, favoriser les destinations où il existe des services médicaux de qualité, prévoir un voyage de type confortable, sans grands trajets en voiture ou en avion, avoir une bonne couverture d'assurance, s'abstenir en cas de grossesse à risque. Les risques et bénéfices des vaccinations et des médicaments prescrits doivent être pesés, en se rappelant qu'une femme enceinte est plus vulnérable et à plus haut risque de complications.
Les femmes enceintes voyagent et souvent prennent des risques. Deux études révèlent que la moitié des quelque 300 parturientes interrogées avaient voyagé durant leur grossesse, le plus souvent entre le quatrième et le cinquième mois, hors Europe et sans assurance couvrant le nouveau-né. Deux tiers n'avaient pas consulté avant leur départ, les autres avaient consulté un médecin généraliste ou une sage-femme ciblant uniquement les vaccinations.1 Pourtant, plus fragile et prenant des risques pour deux, la femme enceinte devrait être conseillée judicieusement pour partir en connaissant les risques liés au voyage et à la grossesse.2 Avant de décider de partir, une femme enceinte devrait être convaincue de la nécessité ou du bien-fondé du voyage pendant sa grossesse.
La grossesse entraîne de nombreuses adaptations physiologiques qui rendent la femme enceinte plus sensible aux pertes liquidiennes, à l'hyperthermie, aux hypoglycémies, aux risques thromboemboliques, aux infections et aux troubles digestifs. Les modifications du cycle entéro-hépatique peuvent altérer le métabolisme de certains médicaments, dont le choix est déjà restreint pendant la grossesse.2 Par exemple au troisième trimestre de la grossesse la concentration plasmatique de l'atovaquone-proguanil donnée en traitement s'avère être moins de la moitié de celle mesurée chez les malades non enceintes.3
La grossesse comprend deux périodes instables : le premier trimestre avec un risque augmenté d'accouchement spontané ou de grossesse extra-utérine et le troisième trimestre avec risque d'accouchement prématuré, hémorragie, rupture prématurée des membranes, hypertension artérielle. De fait la meilleure période pour voyager est le deuxième trimestre (16e - 28e semaine), à condition qu'il s'agisse d'une grossesse uni-embryonnaire, d'évolution normale chez une femme en bonne santé habituelle.
Par ailleurs, plusieurs situations médico-obstétricales peuvent être une contre-indication au voyage (tableau 1), d'où l' importance d'une consultation médicale avant le voyage.2
Dans un vol transatlantique la cabine est pressurisée à un équivalent de 1524 à 2438 mètres. La PaO2 qui au niveau de la mer est de 98 mmHg, passe alors à 55 mmHg à 2500 mètres. L'air y est très sec (8% d'humidité), les trous d'air peuvent être fréquents et l'irradiation reçue correspond à 4 millirems, soit moins de la moitié d'une radio du thorax avec protection.2 Cette irradiation, ainsi que la diminution du taux de saturation en oxygène à 90% constatée chez la mère, sont a priori sans conséquence sur la grossesse d'une voyageuse en bonne santé lors d'un vol occasionnel.4 Par contre, les hôtesses de l'air travaillant au cours du premier trimestre, semblent avoir plus d'avortements spontanés.5 Le ftus lui est protégé d'une désaturation grâce à l'hémoglobine ftale.
L'âge gestationnel maximal accepté à bord varie entre la 28e et la 36e semaine, mais le dernier mot revient toujours au capitaine.4 Les urgences obstétricales à bord sont régulièrement rapportées, alors que moins du tiers des compagnies emmènent un kit d'accouchement.6
En avion il est recommandé de marcher régulièrement, de porter des bas de contention, de boire suffisamment (6 à 8 verres de liquide non gazeux sans caféine par jour) pour éviter la déshydratation et les risques thromboemboliques et d'utiliser une ceinture de sécurité bouclée au niveau pelvien. S'asseoir en bordure de l'allée donne plus de place pour étendre les jambes et pouvoir se lever. Il faudra se munir d'un certificat médical datant l'âge de la grossesse en s'assurant que les trente-six semaines ne sont pas dépassées au vol retour et se renseigner auprès de la compagnie d'aviation sur leurs règlements.
Il s'agira donc pour la femme enceinte en voyage de boire et manger régulièrement, d'éviter le port de lourdes charges, de se protéger correctement du soleil et de respecter scrupuleusement les règles d'hygiène.7
Le bateau n'est pas sans risque : mal de mer, épidémies (diarrhées, grippe, rubéole) et suivant les destinations l'évacuation n'est pas toujours possible. En voiture, le mal des voyages, les accidents représentent l'essentiel des risques. Pour les longs trajets il est recommandé de faire une pause de dix minutes chaque deux heures.2
Tout voyage permet de mettre à jour les vaccinations de base. Selon la destination, certains vaccins sont obligatoires ou recommandés. La sécurité des vaccins pendant la grossesse reste difficile à évaluer car, comme pour les médicaments, les données restent limitées. Mais s'il est reconnu que les risques des vaccins pendant la grossesse sont plus théoriques que réels, les règles de rigueur restent : peser les risques et les bénéfices, penser à vérifier en cas de doute le titre des anticorps, éviter autant que possible de vacciner durant la grossesse et si nécessaire le faire de préférence à partir du deuxième trimestre. Si, en général, les vaccins inactivés peuvent être utilisés pendant la grossesse, en revanche les vaccins vivants atténués sont contre-indiqués (BCG, rougeole, oreillons, rubéole, varicelle, fièvre jaune) (tableau 2).8 Le délai entre l'injection du vaccin vivant et le début d'une grossesse devrait être d'un mois au minimum. Toutefois, en raison de la gravité de la maladie et de l'absence de traitement, le vaccin contre la fièvre jaune peut être proposé lors de voyage à très haut risque (épidémie). Lors de vaccinations de masse contre la fièvre jaune aucune augmentation significative de malformation n'a été observée9 et une vaccination effectuée au début d'une grossesse ignorée n'est pas une indication à une interruption de grossesse.
Les femmes enceintes, quelles que soient leur parité et leur immunité, sont plus sensibles au paludisme avec une sévérité et une mortalité augmentées respectivement de deux et cinq fois.10 Cette susceptibilité accrue est maximale au deuxième et au troisième trimestre, mais persiste durant les deux mois du post-partum. Divers facteurs jouent : attraction accrue des moustiques, diminution de l'immunité cellulaire, réponse TH2 augmentée, séquestration placentaire des parasites.10,11 La gravité du paludisme est modulée par l'immunité de la patiente, sa parité et son âge. La maladie est plus sévère chez la femme non immune, avec des complications neurologiques, pulmonaires et rénales. La mortalité maternelle peut varier de 0,6 à 23%. L'atteinte ftale est cause d'avortements, d'enfants mort-nés ou se marque par un petit poids de naissance (20-35%), dû à une prématurité ou à un retard de croissance intra-utérine. Les pertes ftales et périnatales peuvent s'élever jusqu'à 60 à 70%.12 La séquestration des parasites dans le placenta augmenterait la susceptibilité de l'enfant au paludisme et diminue le transfert des anticorps maternels au ftus. Le paludisme périnatal ou congénital est plus fréquent en cas de forte séquestration parasitaire placentaire, lors de la première grossesse et chez une mère infectée par le VIH. Des 7-10% de nouveau-nés infectés, moins de 7-10% tomberont malades.13 Toutes ces données concernent le Plasmodium falciparum, mais le P. vivax est lui aussi à l'origine d'enfants de petit poids à la naissance et atteints d'anémie.
Ainsi durant la grossesse est-il recommandé d'éviter les zones impaludées, surtout celles à haut risque de transmission ou à souche résistante. En cas de voyage, la protection combine toujours la réduction de l'exposition aux moustiques à la prise d'une chimio-prophylaxie ou d'un traitement de réserve.14 Se protéger contre les moustiques le soir et la nuit implique le port de vêtements longs de couleur claire qui peuvent être imprégnés de perméthrine et l'utilisation de répellents, qui ne devraient pas être trop dosés (DEET
Les seuls médicaments prescriptibles à une femme enceinte en chimio-prophylaxie sont la chloroquine, le proguanil avec la chloroquine et la méfloquine. Les autres antimalariques sont contre-indiqués : la doxycycline en raison de dépôts dentaires et l'atovaquone-proguanil (Malarone ®) par manque de données.15,16 Seule la méfloquine reste efficace dans les zones de multirésistance, exception faite de celle du Triangle d'or et les régions frontières des provinces Trat et Tak. Elle ne devrait être utilisée qu'à partir du second trimestre, toutefois les Américains et les Français considèrent qu'elle peut être utilisée dès le début de la grossesse.7 En cas d'intolérance ou de contre-indication à la méfloquine, seule l'association chloroquine-paludrine peut être prescrite au risque de n'avoir qu'une protection partielle ; elle sera alors accompagnée d'un traitement de réserve. Cette décision doit être prise en connaissance de cause par la femme concernée. L'effet tératogène décrit chez l'animal après de fortes doses de méfloquine n'a pas été observé chez l'homme. Une étude a trouvé en zone d'endémie un risque augmenté d'enfants mort-nés suite à des doses thérapeutiques.17
En traitement de secours la chloroquine reste efficace en Amérique centrale et la méfloquine peut être utilisée à partir du deuxième trimestre dans les zones chloroquino-résistantes. En cas de contre-indication, l'association quinine-clindamycine peut être prescrite, ce qui est loin d'être idéal vu le nombre de doses à prendre et la fréquence des effets secondaires. Il apparaît de plus en plus que des dérivés de l'arthémisinine et l'atovaquone-proguanil pourraient être utilisés chez la femme enceinte.3,16,18
Cette dernière doit être bien informée de la sévérité potentielle du paludisme et de la nécessité d'une consultation médicale en urgence dans la journée en cas d'apparition de fièvre.
Toute femme enceinte doit être consciente qu'un voyage comporte certains risques qui peuvent être en partie maîtrisés, mais qu'elle reste plus vulnérable pendant cette période et que l'accès à des services médicaux de qualité peut être très restreint. La diarrhée, qui touche jusqu'à 50% des voyageurs, ou la fièvre peuvent rapidement amener à une déshydratation à laquelle la femme enceinte est particulièrement sensible. Le risque peut être diminué en évitant les repas froids et autres crudités et en étant très attentif à l'eau consommée. Une diarrhée implique la compensation des pertes liquidiennes et un régime constipant (riz, bananes). Le lopéramide (Imodium ®) peut être utilisé modérément si nécessaire. Un antibiotique sera prescrit en cas d'apparition de signes de gravité (tableau 3). Certaines pathologies tropicales ont clairement une gravité, voire une mortalité maternelle et/ou ftale accrue.19,20 C'est le cas de la fièvre dengue, de l'hépatite E et de la fièvre typhoïde. Leur prévention passe par la réduction de l'exposition aux moustiques de jour (dengue) et la plus stricte observance des règles alimentaires et d'hygiène. Indépendamment des voyages, la fréquence des malformations congénitales reste significative, de l'ordre de 3 à 4%. Il est d'autant plus important de bien peser les risques et bénéfices de chaque vaccination ou prescription de médicament. Tout problème de malformation ou de complication de la grossesse pourrait toujours être interprété comme leur étant lié.
La plongée est contre-indiquée pendant la grossesse vu le risque de syndrome de décompression chez le ftus. Les séjours ou treks en altitude nécessitent une bonne acclimatation et ne devraient pas dépasser 4000 mètres.2,7 Les safaris sur des pistes ou des routes défoncées ne sont pas recommandés. Les accidents de la route restent une cause majeure de morbidité et de mortalité pour les voyageurs. L'utilisation de la ceinture de sécurité bouclée au niveau pelvien est essentielle.
A l'heure où des voyages de dernières minutes vous offrent l'autre bout du monde pour fort peu d'argent, il est encore plus important qu'une femme enceinte parte en connaissance de cause. Voir son médecin, effectuer les vaccins nécessaires, connaître les précautions à suivre, les risques à éviter, avoir une couverture d'assurance suffisante couvrant les frais d'un accouchement prématuré et ceux liés à son nouveau-né, sont des pré-requis à un voyage qui doit rester un plaisir avant l'arrivée à terme de l'heureux événement.